Le faisceau de lumière bondit du visage du marine vers celui de l'indienne, descendant ainsi de plus de vingt centimètres.

- C'est une menace ? demande calmement l'ancien militaire.

- Pas du tout, mais je soupçonne que vous ne savez pas vraiment où vous avez mis les pieds, répond l'indigène.

- Raconte-nous tout alors, vu que toi tu sais, coupe alors la fugitive. Et, tant qu'on y est, pourquoi t'habiller comme ça ? Tu fais partie des indiens qui vivent dans leurs réserves, qui élèvent des bisons et qui s'épousent entre cousins, c'est ça ?

Un sourire triste passe sur le visage halé de l'indienne, puis elle soupire et dit :

- Non, je ne vis pas dans une réserve indienne, je travaille simplement dans un parc d'attraction. Déjà entendu parler de l'attraction "la rivière de Pocahontas" ? C'est moi qui gère les départs des kayaks. Vous n'avez pas à connaître toute ma vie, alors je vais juste vous dire comment je me suis retrouvée ici.
Je venais de finir ma journée et j'allais me changer pour rentrer chez moi quand plusieurs hommes ont déboulé dans le parc, armés de flingues. Je les avais déjà vu auparavant : ils ont cherché des noises à mon mari et mon frère il y a quelques mois. J'imagine que, cette fois-ci, il s'est passé quelque chose de pire.
En les voyant, j'ai laissé tomber l'idée de me changer. J'ai pris ma chienne et je suis partie en voiture. Ils mon poursuivie sur la route pendant un peu moins d'une heure, puis j'ai emprunté un petit chemin qui mène dans les bois et j'ai réussi à les semer pour un moment. Malheureusement, j'ai embouti un arbre et la voiture est inutilisable. Alors je suis partie à pieds. Quand je vous ai vu sous le rocher, à l'abri de la pluie, je suis venue me réfugier avec vous. Je ne sais pas vraiment me battre, je n'ai donc aucune chance de survivre toute seule. Bref, je suis à votre merci.

Une fois l'histoire finie, la chienne à ses pieds pousse un long gémissement et pose sa tête sur ses pattes avant.

- Et donc, où est-ce qu'on est ? demande à nouveau la blonde, impatientée par le récit.

- Dans le Donjon du Condamné. Celui qui m'aveugle avec sa lampe de poche l'a d'ailleurs bien dit. Mais j'aimerais d'abord savoir qui il est avant de déballer l'histoire de l'endroit.

- Allez, dit la fugitive en se tournant vers le seul n'ayant pas encore parlé, raconte vite ton histoire ô combien passionnante, ça me démange de savoir où on a atterri !

Le jeune homme retourne à nouveau la lampe torche afin de s'éclairer. Il se racle la gorge puis raconte d'une voix légèrement enrouée :

  - Ma putain d'histoire est toute simple. Je suis aussi un militaire et je risque aussi de me retrouver à sucer des gars pour avoir les allocs de chômeur. Mais je suis qu'un simple soldat. 'fin je passe des tests pour devenir pilote, mais je crois que je peux faire une croix dessus. Pour faire simple, j'ai des dettes de jeu et de drogue. Je dois une chiée à des gars qui s'en foutent de la légalité alors si je paye pas bientôt, ils vont venir me liquider !
En plus, mon caporal le sait, alors cet enculé me menace de tout dire, sauf si je le paye évidemment. Mais si j'avais ce foutu fric, je l'aurais d'abord filé aux types pas réglos ! Donc, quoi que je fasse, je me fait baiser !
Et pas la peine de te la péter, mademoiselle Condor des Prés ou peu importe comment tu t'appelles, moi aussi, je suis du coin et je connais l'histoire de l'endroit comme toi !

Dans un accès de colère, il lance la lampe par terre. Le verre se fissure et la lumière s'éteint en grésillant. Dans le noir, on entend le soldat se gratter la tête puis chuchoter d'un air désolé :

- Je... Pardon. Je suis un peu sur les nerfs : ça fait une paye que je me suis pas piqué et puis cet endroit me fout tellement les jetons...

Voyant la criminelle commencer à trembler de rage, le marine pose la question à sa place.

  - Pourquoi une simple tour te fait si peur ?

Dans la pénombre du hall en pierre, la voix du futur pilote retentit enfin après une interminable minute de silence, plus étouffée encore que d'habitude.

  - Parce que, à moins d'un miracle, on va tous bientôt crever.