Nouvelle recrue

   Le soleil brille haut dans le ciel, les oiseaux volettent et piaillent alors que de légers coups de vent balayent les feuilles mortes. L'odeur envahit les narines du marine noir qui s'enivre du parfum de la nature. Un sourire éclatant s'épanouit sur son visage charnu et le soldat d'élite attrape une pleine poignée de débris végétaux sur le sol. Des copeaux de bois et la mousse des arbres dévalent le long de ses doigts gantés. Le militaire noir commence à rire. Il sent soulagé, libre, heureux. Quelle magnifique sensation. Soudain, il sent quelque chose le frapper sèchement dans le ventre. Il a le réflexe de ramener ses mains vers son abdomen. Sa respiration est saccadée, et des voix lointaines se laissent entendre. Dans un grognement, le marine ouvre les yeux. Sa première vision est loin d'être agréable : une jeune femme crasseuse aux chicots jaunis se penche sur lui.

   - Allez, debout là-dedans !

   Alors, tous les souvenirs de ces trente derniers heures lui reviennent en mémoire. Il est sous terre, dans le Donjon du Condamné, accompagné d'une tueuse folle, d'un soldat aux mœurs légères et d'une imitation de Pocahontas. Ah merde, l'indienne est morte. Bon, au moins ils ont encore le chien. Le soldat noir se relève difficilement, encore à moitié endormi, et rejoint ses deux acolytes qui s'empiffrent déjà de conserves froides. Sans un regard, le jeune homme aux yeux cernés tend au nouveau venu une boîte de cassoulet périmée depuis trois mois avant de replonger dans sa portion de langue de bœuf. Chacun mange dans son coin, replié sur soi-même. Sur le poignet du marine, la montre électronique affiche six heures du matin.

   Une fois le repas fini, les trois aventuriers empoignent leurs sacs, leurs armes et leur courage et quittent la berge du lac souterrain, précédés par le chien. Celui-ci ouvre prudemment la marche, suivi de près par son nouveau maître, le drogué, dont les mains tremblent légèrement, et pas de peur. La fugitive le talonne, la Winchester calée dans le creux du bras. Enfin, le marine ferme la marche, attristé par l'interruption de son rêve. Leur progression dans les couloirs de pierre est lente et monotone. Tandis que la veille tout transpirait d'humidité, ce matin, l'air est chaud est sec, ce qui remonte légèrement le moral des troupes.

   Au détour d'un couloir, une douce et écœurante odeur s'insinue dans les narines des explorateurs. Tous grimacent en la reconnaissant : à quelques mètres de leur position gît un cadavre. Ils l'aperçoivent bien assez vite. Adossé au mur, les mâchoires ouvertes, il les accueille - littéralement - les bras grand ouverts. En s'approchant, les aventuriers et leur compagnon canidé découvrent une plaie gangrenée sur son mollet, causée sans doute par le serpent aquatique qu'ils ont affronté la veille. Les yeux du macchabée ont été picorés et ses orbites béantes semblent fixer les arrivants. Sans lui témoigner un quelconque respect, la blonde aux dents abîmées s'agenouille et commence à fouiller la dépouille tout en commentant ses trouvailles.

    - Alors, qu'est-ce qu'on a ? Un paquet de clopes merdiques à moitié rempli - bah, c'est mieux que rien - et un briquet, une photo d'une petite grosse un peu moche, une autre photo de la même petite grosse, des pastilles à la menthe, une facture d'essence et... ah ! Un portefeuille ! Voyons voir.

    La criminelle se laisse tomber sur le sol froid et pousse des pieds les affaires du mort. Elle ouvre le porte-monnaie et en sort un permis de conduire.

    - Accueillons la nouvelle recrue au sein de notre groupe !

Soudain, le marine s'agite et arrache presque le papier des mains de la tueuse. Il le lit ensuite et compare ce qu'il reste de l'homme à la photo sur la licence.

    - Oh merde ! s'exclame-t-il enfin.

   - Quoi, tu le connais ? se retourne vers lui la jeune fugitive.

   - Pour sûr que je le connais, on a servi ensemble pendant deux ans. C'est même lui qui m'a parlé en premier lieu de ce maudit donjon !

   - Alors là, ça risque de devenir intéressant, se joint le pilote à la conversation.

   Le soldat d'élite secoue rageusement la tête et répond sur un ton acerbe.

    - Y a rien d'intéressant, désolé de te décevoir. C'est juste un pauvre gars qui, pour une quelconque raison, a décidé de faire la même bêtise que nous. Mais ça m'étonne de le retrouver ici, il avait dit tant de mal sur cet endroit... Comment en est-t-il arrivé là ?

   Tandis qu'il parle, le chien et la criminelle continuent à tourner autour du cadavre avec un air intrigué. Le marine sursaute lorsqu'il sent quelque chose se poser sur son épaule. Il relève vivement la tête et croise les yeux légèrement hagards du pilote.

   - J'suis désolé que ton pote soit mort, mec, mais là on doit avancer.

   - Faites ce que vous voulez, mais moi je laisserai pas son corps traîner comme un déchet. Alors soit vous partez sans moi, soit vous m'aidez à le bouger.

   Devant l'air inflexible de l'homme noir, le drogué en manque ravale ses protestations. Les deux hommes empoignent le macchabée - l'un par les épaules et l'autre par les pieds - et le soulèvent. Coincée sous les vêtements, la main droite se déloge lors du transport. Alors que l'infortuné repose sur le sol, la blonde remarque un papier qu'elle n'a pas encore analysé. Elle le saisit tel un oiseau de proie et se plonge dans sa lecture.

   - C'est quoi ce bordel ? Pourquoi il parle d'arnaque ?.. finit-elle par murmurer.

   - Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? s'alerte le marine.

   - Ton gars, il a écrit ça avant de crever, dit-elle en agitant le papier dans tous les sens. Sauf que ça fait aucun sens, il devait délirer.

   - Putain, arrête de faire durer ton suspens à deux balles et lis enfin cette merde !

   Le soldat en manque commence à trembler, les nerfs mis à vif par l'absence prolongée de drogue dans son organisme. La jeune femme crasseuse fait une moue dégoûtée, mais s'exécute. Elle pointe sa lampe sur le papier taché de sang et de saletés et commence à déchiffrer à haute voix l'écriture illisible de l'ancien collègue du marine :

   "On m'a forcé à descendre dans ces souterrains. Vu que j'avais arrêté d'attirer les proies, on m'a dit que j'allais en devenir une. Personne n'a jamais survécu à cet endroit et ils le savent. Y a rien au bout, à part la mort. Ils mentent  et ils m'ont fait mentir. Si quelqu'un lit cette lettre, faites demi-tour ! Sinon vous mourrez. Le Donjon du Condamné est une arnaque, et vous devez par... "

   - J'arrive plus à lire à partir de là, s'interrompt la fugitive. Mais ça répond pas à ma question : pourquoi il dit que cet endroit est une arnaque ? Et surtout, pourquoi parle-t-il de proies?

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