Les ruines

Immédiatement, le chien lâche son os, et se met à grogner et aboyer. Les quatre aventuriers dégainent leurs armes et visent en direction des bruits. Après quelques instants, l'animal tapi dans l'ombre se calme et se tait. Avec un grand soupir de soulagement, tous rengainent, sauf le marine qui garde ses deux mains sur son revolver chromé, en attente d'un nouveau danger.

Après une concertation silencieuse, le pilote s'avance dans le noir, muni de sa lampe qu'il porte bien haut à bout de bras. Après une dizaine de pas, il s'arrête et regarde autour de lui.

   - Je sais pas c'que c'était, mais je crois que c'est parti.

Au même instant, des griffes raclent lentement le sol en pierre et deux yeux à l'éclat jaune s'ouvrent soudainement dans le noir. D'un bond, l'animal fuse de sa cachette. Arrivé dans le cercle de lumière, il s'arrête deux secondes, le temps d'habituer ses pupilles dilatées. Ce que voient alors les quatre compagnons les plonge dans une complète stupeur.

La forme générale de l'animal ainsi que son pelage rappellent le loup, mais la ressemblance s'arrête là. Son corps est plus court, plus nerveux, avec une longue queue qu'il projette furieusement dans tous les sens. Ses pattes arrières sont lourdes et massives, ses griffes rappelant les serres des grands oiseaux de proie. Mais c'est avant tout sa tête qui attire les regards. Deux fois plus grande et large que celle d'un loup normal, elle est vissée sur un cou épais qui semble peiner à porter sa lourde charge. Ses larges mâchoires pourvues de deux rangées de canines plantées dru et quatre crocs dépassant de la gueule, le monstre semble tout droit sorti des enfers. Il passe sa longue langue rouge sur ses nombreuses dents et de la bave goutte sur le sol. Avec un grognement, il prend appui sur ses pattes arrières, ajuste sa position et bondit sur sa cible : le pilote.

Celui-ci est trop stupéfait pour esquisser le moindre geste. Quand enfin, il tente de reculer pour éviter la gueule à l'haleine fétide qui se trouve déjà au niveau de sa gorge, sa réaction vient hélas trop tard. L'animal est trop haut dans les airs, et sa masse imposante rend impossible toute tentative de fuite. En levant la tête, le jeune homme aperçoit dans le regard du monstre la lueur de la faim. Il ferme alors les yeux, résigné à la mort, et expire une dernière fois.

Des détonations retentissent dans les ruines. Le pistolet du marine crache trois balles dans une gerbe de flammes aveuglantes dans la pénombre. La première se fige dans l'œil de l'animal, les deux autres dans son crâne. Après avoir poussé un gémissement, la créature s'affaisse en plein vol et retombe aux pieds de sa proie. Quelques soubresauts agitent ses pattes puissantes. Lorsque le pilote rouvre les yeux, il ne trouve qu'un cadavre poisseux à ses pieds. Des rigoles de sang dévalent le poil gris et s'infiltrent dans le sol rocailleux. Autour de la tête trouée de l'animal s'élargit une flaque sombre à la surface de laquelle flottent de petits bouts de crâne et de cervelle. Un globe oculaire crevé, rattaché encore par quelques muscles à l'orbite vide, se balance doucement.

En silence, le marine recharge son arme, et trois douilles vides heurtent le sol avec un écho métallique. La fugitive pousse un long sifflement admiratif et s'exclame :

-Beau tir !

- Ç'aurait été un beau tir si je n'avais pas gaspillé deux balles, grogne le soldat d'élite. Première leçon : ne pas tenter l'univers et toujours rester sur ses gardes.

Il s'approche lentement du monstre terrassé et du pilote qui brandit toujours sa lampe.

   - Tu peux baisser ton bras, t'en auras encore besoin. Tu n'es pas blessé ? s'adresse à lui son sauveur.

L'héroïnomane fait signe que non, déplace la source de lumière de la main droite à la main gauche et serre celle du marine avec reconnaissance.

- Nous devrions avancer, nous n'avons même pas commencé notre descente que nous risquons déjà notre peau. À cette allure, nous ne survivrons pas longtemps, les presse l'indienne.

Ses compagnons acquiescent et le groupe replonge dans l'exploration des ruines en prenant soin tout de même de contourner le cadavre monstrueux.

Ils débouchent sur un couloir avec plusieurs portes de chaque côté. En poussant la première, ils découvrent une ancienne cuisine. L'air y est saturé de mouches et de la douceâtre et écœurante odeur de pourriture. Du pain moisi et des bouteilles vides jonchent le sol. En poussant la porte voisine, les aventuriers entrent dans ce qui devait servir de salle commune il y a quelques siècles. De vieux semblants de meubles occupent le milieu de la pièce, mais les coins recèlent des squelettes humains. De l'autre côté du couloir, une des portes révèle une salle de bain, une petite pièce humide avec un baquet au centre. Quant à la dernière, elle mène à une chambre à coucher.

En entrant dans la chambre, le groupe remarque directement une masse sombre sur les draps humides et poussiéreux. La jeune femme blonde s'approche silencieusement, lève son fusil à pompe et appuie sur la gâchette. L'animal couché sur le lit est projeté contre le mur dans un bruit sourd.

   - Et de deux ! se vante la criminelle.

En ressortant dans le couloir, le chien se met à aboyer devant une petite porte qu'ils n'avaient jusqu'alors pas remarquée. Après s'être baissé pour passer, le petit groupe se retrouve dans ce qui devait servir de remise, de grenier et de cave compilés. Des montagnes de barda en tout genre s'élèvent jusqu'à atteindre le plafond. Il s'agit en grande partie de vieux uniformes, d'armes rouillées et de débris de meubles. Dans un coin, se dresse un lugubre puits envahi de toiles d'araignée et, quelques pas plus loin, une trappe en bois sombre ressort légèrement du sol en pierre.

La blonde détentrice de la Winchester se précipite vers le puits, s'assied sur la margelle et scrute ses profondeurs.

   - Vous croyez qu'y a encore de l'eau là-dedans ? demande-t-elle.

Sans attendre la réponse, elle saisit un petit caillou et s'apprête à le jeter. Le futur pilote l'arrête au dernier moment, la force à baisser son bras et l'engueule copieusement :

   - T'es conne ?! T'as jamais vu un film d'horreur de ta vie ? Jamais faire ça, ou alors un monstre viendra nous bouffer. Et celui de tout à l'heure m'a suffi amplement !

   - Le gamin surexcité a raison, admet le soldat noir. D'ailleurs, nous ne devrions pas nous séparer ou faire quoi que ce soit sans l'accord des autres. C'est compris ?

La criminelle acquiesce avec un air de petite fille faussement sage, saute du rebord sur lequel elle était assise et s'approche en sautillant de la trappe que le marine et l'indienne avaient ouverte entre-temps. Entre les deux panneaux, un début d'escaliers glissants se laisse apercevoir, mais les ténèbres l'engloutissent au bout de quelques mètres seulement.

   - Ça va, j'ai compris, soupire le jeune homme à la peau cireuse.

Il s'engage en premier dans la descente, suivi de près par ses trois acolytes. Tous les sens aux aguets, les quatre sursautent quand ils entendent les panneaux en bois se refermer derrière eux. Le clic singulier d'une serrure qui se verrouille retentit. Se trouvant en dernière position, l'indienne se retourne et essaie de rouvrir la trappe, mais celle-ci ne cède pas. Désormais, ils n'ont plus d'autre choix que de s'enfoncer dans les ténèbres.

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