Étrange timing

Le feu s'est lentement éteint et les braises rougeoyantes colorent les visages fatigués des aventuriers. Assis en rond autour de la maigre source de lumière, ils s'observent tous d'un œil mauvais. Un cri inhumain retentit dans les souterrains. Comme seule réponse, il obtient un gargouillement d'estomac vide de la part de la fugitive. Celle-ci brise alors le silence :

    - Arrêtez de faire semblant, on a tous de quoi bouffer. Alors on pose au milieu et puis on répartit.

    L'indienne s'active en premier. Après avoir fouillé son sac, elle dépose au milieu du cercle deux barres de céréales, une grande gourde d'eau et un sac de croquettes pour chien. Elle toise ses acolytes d'un air effronté avant de lâcher un "vous avez intérêt à avoir mieux que ça, vu que vous êtes censés être préparés". Le marine s'empare d'une besace militaire bien remplie qu'il montre au reste du groupe.

    - Il y a ici assez de conserves et d'eau pour tenir deux semaines. Pour une personne. On va donc devoir se rationner.

    Le jeune homme assis à sa gauche tapote nonchalamment le sac sur lequel il prend appui.

    - J'ai aussi ma petite réserve, généreusement offerte par l'épicier polonais de mon quartier. J'saurais pas vous faire un inventaire complet, j'ai pas fait gaffe à ce qu'il foutait dedans. J'étais un peu occupé à guetter l'arrivée des flics. C'est dingue comme ça porte loin, les coups de feu.

    La fugitive s'esclaffe et approuve le geste du futur pilote d'un pouce en l'air noir de crasse. Une fois calmée, elle jette un grand paquet en plastique qui va rejoindre les croquettes pour chien et les barres de céréales.

- Ma modeste contribution de la part de mon dernier hébergeur. Sauf qu'il ne l'a pas fait sous la menace d'un flingue ! Bon, on passe à table ?

Le soldat noir repousse de la main les réserves disposées devant eux et se charge de la distribution des rations du petit-déjeuner. Chacun reçoit une conserve de poulet en sauce qu'il s'empresse de déguster avec les doigts. Le chien, quant à lui, se régale un peu plus loin de sa nourriture personnelle. Après ce repas froid, les aventuriers partagent la gourde d'eau qui revient ensuite à sa propriétaire. Voyant la quantité d'eau diminuer rapidement, la criminelle interroge ses compagnons :

- Dites, on devrait faire plus attention à nos réserves d'eau. Du coup, vous voulez pas qu'on pisse dans des bouteilles pour boire notre pisse à la place de l'eau, à la Bear Grylls ? Comme ça, on fait des économies. Vous en pensez quoi ?

- Tu fais ce que tu veux, mais je ne boirai la pisse de personne, lui répond l'indienne avec une mine dégoûtée.

- Oh ça va, j'ai déjà fait pire ! grogne la blonde avant de retourner dans son coin.

- Je pense qu'on a bien assez d'eau pour tenir une semaine ou deux dans ces souterrains. De plus, si vous tendez l'oreille, vous entendrez de légers clapotis, ce qui veut dire qu'il doit y avoir un lac ou un cours d'eau dans les environs.

Le marine boucle son sac et se relève, imité comme un seul homme par ses trois acolytes. Alors que tous vérifient leurs affaires et se les mettent sur le dos, le pilote distribue à chacun une lampe de poche ou à huile ainsi que quelques bougies et des allumettes. Une fois chacun équipé d'une arme et d'une source de lumière, les membres de l'expédition franchissent le seuil de l'ouverture naturelle, le chien et la criminelle en tête de file.

    Les sens aux aguets, les quatre aventuriers marchent tout d'abord en silence, à l'affût du moindre danger. Mais le long couloir de pierre semble vide, et les langues se délient peu à peu. La femme à l'habit traditionnel craque en premier.

   - Je n'en peux plus de ce silence, est-ce qu'on peut parler de quelque chose, s'il vous plaît ? Par exemple, comment ça se fait qu'on se retrouve tous les quatre dans ce donjon en même temps ? Le timing ne vous paraît pas étonnamment précis ?

Au même instant, elle se prend les pieds dans quelque chose qui traîne au sol. La criminelle pointe son rayon de lumière par terre afin d'éclairer l'obstacle. Un cadavre humain en état de décomposition avancée languit, la tête posée sur un autre corps. Les aventuriers n'ont même pas le temps de distinguer à quoi celui-ci ressemble qu'ils entendent un écho devant eux. La blonde aux cheveux gras braque d'une main sa lampe torche sur la paroi qui marque la fin du couloir et prépare son colt de l'autre.

Un babillage s'élève et se réverbère sur les murs froids de la grotte. Plusieurs voix à la tonalité amorphe se coupent sans arrêt la parole. Impossible de dire de quelle langue il s'agit. Probablement qu'il ne s'agit même pas d'une vraie langue, mais d'un charabia produit par des personnes enfermées depuis trop longtemps dans ces souterrains. Ne voyant pas la source de ces monologues, le groupe s'avance jusqu'à l'entrée d'une vaste caverne.

    La grotte est plongée dans une noirceur impénétrable. Des stalactites et stalagmites de formes et de tailles variées transpercent l'espace de leurs pointes acérées. Les voix sonnent plus fort, mais il est évident que la cavité est vide. Parmi les chuchotements, les aventuriers distinguent peu à peu le doux clapotis de l'eau. Ils s'avancent en file indienne jusqu'au centre de la caverne, éclairant le sol de leurs lampes. Tous sursautent lorsque le pilote prend la parole.

    - Pour répondre à ta question de tout à l'heure, Pocahontas, j'ai dû attendre trois putains de jours avant de pouvoir entrer dans la tour. Les habitants du village m'ont dit que les bois étaient trop dangereux pour les traverser seul et l'unique gars qui pouvait m'aider était parti en ville.

    - Merde, toi aussi ils t'ont retenu de partir tout de suite ? s'exclame la blonde. Ils m'ont fait attendre jusqu'au soir alors que je voulais partir tôt le matin. Pourquoi ils auraient fait ça ?

Le marine relève sa visière pour parler, découvrant un visage hébété.

    - Je ne sais pas, mais il m'est arrivé à peu près la même chose qu'à vous deux. Les villageois ont insisté pour que je ne parte que le lendemain. On n'a pas dû se croiser car j'ai passé la nuit dans un hôtel en ville.

    - Ils ne t'ont pas parlé d'un drôle de gars qui vivait dans la forêt et qui pouvait t'amener jusqu'aux ruines ? lui demande l'héroïnomane.

    - Ils n'ont jamais mentionné rien de tel.

    Les quatre acolytes se taisent, troublés par ces révélations. Après quelques instants, le soldat d'élite se tourne vers la propriétaire du chien et l'interroge :

    - Tu dis que tu as fui des ennemis de ton mari. Mais comment tu as pu atterrir ici ? Pourquoi tu n'es pas rentrée chez toi ?

    - J'ai essayé, mais je n'ai pas réussi. Il y avait deux voitures, une devant moi et une derrière. A chaque fois que je voulais sortir de l'autoroute, ils m'en empêchaient en me barrant la sortie. Maintenant que j'y pense, ils ont vite abandonné quand ils ont vu que je m'engageais sur le chemin de la forêt.

    Elle relève soudainement la tête et regarde tour à tour ses compagnons, une lueur de panique dans les yeux.

    - Vous pensez qu'ils l'ont fait exprès ? Qu'ils m'ont... traquée ?

    Un remue-ménage se fait entendre, interrompant l'indienne. A ses pieds, son chien s'excite et s'élance en direction du bruit. Une fois hors de vue, seuls ses grognements sourds indiquent sa position. Subitement, l'animal glapit et se met à geindre. Son arrière-train apparaît en premier, suivi du reste de son corps. Les chuchotements inconnus s'amplifient. Le molosse recule encore, heurte une paroi et s'y colle, pris de tremblements incontrôlables. Enfin, l'animal tombe au sol et se met à gémir.

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