Accalmie

Le soldat chute, mais il fait trop sombre pour distinguer quoi que ce soit. Au moment-même où la peur de s'écraser sur le sol s'insinue en lui, le drogué plonge une nouvelle fois dans l'eau glaciale. Il patauge, la tête immergée, puis sent quelqu'un - ou quelque chose - l'agripper par l'épaule et le tirer sur la terre ferme.

Après avoir repêché le pilote, le marine s'enfonce une fois de plus dans le lac afin de récupérer les sacs de provisions et le chien, dont la laisse s'est accrochée à un bout de rocher pointu. Sur la berge, la criminelle aux dents gâtées tente de se sécher. Après avoir essoré ses cheveux, qui semblent encore plus crasseux après le bain forcé qu'avant, elle donne un petit coup de pied dans le soldat allongé par terre.

- Et Pocahontas ? Elle arrive ?

Le jeune homme secoue la tête, incapable de formuler une phrase à cause de ses mâchoires tremblantes de froid et de peur. Ses deux compagnons le dévisagent, perplexes. Enfin, le soldat frotte ses bras frigorifiés et s'explique à voix basse.

- Le... serpent l'a eue. Il l'avait à moitié avalée et un de ses crocs transperçait son dos. Elle crachait du sang.

- Tu l'as vue d'assez près pour remarquer ce genre de détails ? l'interromp l'autre militaire.

- Putain, j'ai failli y passer tellement elle s'accrochait à mon sac ! Heureusement que je le lui ai fait lâcher !

Brusquement, il cesse de parler au vu des regards que lui jettent ses compères. Il se remet d'un saut sur les pieds et pousse la criminelle qui se tient devant lui.

- De quel droit vous me jugez ? Je l'ai fait pour pas crever, et vous auriez fait pareil ! Et puis, depuis quand on est meilleurs potes hein ? Bordel ! hurle-t-il en s'éloignant de l'eau et des deux aventuriers.

La fugitive se tourne vers le marine et lui adresse un regard étonné.

- C'est vrai ça, depuis quand on s'inquiète comme ça l'un pour l'autre ? Surtout que c'était un boulet cette fille, beaucoup trop émotive, même son chien est plus utile.

- Je déplore sa mort parce que, plus on est nombreux, plus on a de chances de s'en sortir, lui répond placidement son interlocuteur. Mais c'est vrai que c'était la personne la moins importante de notre groupe. Donc, dans ce sens, on est chanceux.

- Alors, si on crève par ordre d'importance, lequel de nous trois est le suivant ?

Pour toute réponse, le soldat noir se contente de s'en aller à son tour afin de récupérer le bois flotté qui parsème le sol à la lisière du lac souterrain. Les trois membres du groupe se retrouvent une dizaine de minutes plus tard devant un tas de bois humide, trempés, affamés, fatigués, et surtout apeurés. Même si aucun d'eux ne veut l'admettre, la mort de l'indienne les a ébranlés, eux et leur certitude de s'en sortir vivants.

Après de nombreux essais, le feu prend enfin et une fumée âcre s'élève doucement, chassée aussitôt par les courants d'air froid. Tout ce qu'ils portaient sur eux eu moment de leur fuite dégouline d'eau, mais les affaires dans les sacs sont restées au sec. Le marine ouvre sa besace et en sort un uniforme militaire qu'il propose à l'héroïnomane. Le vêtement est trop long et large pour le jeune homme au teint jaunâtre, alors il s'empare d'une de ses propres tenues de rechange, un sweat-shirt et un pantalon, tous deux d'un noir délavé. Quant à la blonde, elle sort du fond de sa sacoche un tas d'habits informe et imbibé avec une moue dégoutée. Tandis qu'elle dispose ses guenilles près des flammes afin de les sécher, les deux hommes se débarrassent de leurs affaires trempées sous les commentaires moqueurs de leur compagne féminine.

- Whaou, matez-moi ce corps fin et musclé, s'exclame la tueuse alors que le pilote se débarrasse de son pull imprégné d'eau, il est tellement sec qu'on pourrait le débiter en petit bois pour en faire du feu !

Pendant ce temps, le marine s'extirpe de son armure et de l'uniforme en-dessous, révélant un corps massif bardé de quelques cicatrices. La réplique de la femme aux cheveux gras ne tarde pas à fuser :

- Oh la la, mais regardez-moi ces tablettes ! Dommage que je n'aime pas le chocolat noir, sinon ça me ferait presque quelque chose de te voir te dandiner comme ça !

Elle rit puis rajoute avec une lueur de malice dans le regard :

- En tout cas, merci les garçons de m'offrir ce spectacle, je vous avoue qu'après deux ans dans une prison pour femmes, ça fait du bien de se rincer l'œil.

Les deux hommes ne réagissent pas aux remarques et se réinstallent devant le feu. Le chien vient immédiatement se blottir aux pieds du drogué, et celui-ci lui adresse un petit sourire avant de le gratter derrière l'oreille.

- On dirait qu'il t'a élu comme maître, commente le soldat d'élite. J'espère pour toi que tu ne finiras pas comme son propriétaire précédent.

Sa remarque plonge les trois rescapés dans un silence pesant, interrompu une fois de plus par la criminelle :

- Bon, vous m'excuserez les gars, mais moi je croupis toujours dans mes vêtements trempés et j'aimerais bien me changer.

- Vas-y alors, personne ne t'en empêche, bougonne le pilote.

- Eh bien, si. Disons que je suis plus pudique que vous et je ne souhaite pas me changer devant deux mecs que je connais depuis moins de vingt-quatre heures.

L'héroïnomane ouvre grand les yeux, sous l'effet d'un sincère sentiment de surprise.

- Attends, meuf, t'es sérieuse ?! Tu crois que quelqu'un a envie de te mater ici ? Sans même te voir à poil, je peux te dire que t'es qu'un sac d'os avec une tête de guenon ! Alors t'arrêtes de faire ta princesse et tu te changes sans faire d'histoires !

Face à ce retour de flamme, la blonde serre les dents et s'empare de ses vêtements. Elle se débarrasse d'abord de son pantalon et en met un autre, identique au premier. Au moment de retirer son haut, la jeune femme adresse un nouveau regard suppliant aux deux soldats.

- Allez, s'il vous plaît, j'ai même pas de soutif, soyez cool merde.

Sa voix chevrote sur la fin et un semblant de larmes embue ses yeux verts.

- Gentlemans jusqu'au bout, hein ? s'adresse le militaire noir au pilote. Allez, on va être utiles et s'occuper du déjeuner.

Le drogué aux cernes hausse des épaules et les deux compagnons se mettent à fouiller le sac à provisions. Lorsqu'ils se retournent avec des rations militaires dans les mains, la criminelle est de nouveau assise, un vieux pull d'homme cachant sa maigre silhouette. Alors qu'ils mangent en silence, le marine jete un regard à sa montre. Lentement, il lâche d'une voix rauque :

- Bilan : un mort après seulement vingt heures d'exploration. Si on veut s'en sortir, il va falloir faire mieux que ça. Sinon, dans deux jours, il n'y aura plus personne.

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