Le Dîner

Mardi 8 janvier, les cours sont terminés. Il est 17h23, je sors de la bouche de métro, 7 minutes de marche sous la neige et la nuit pour être chez moi. Sous mes foulées craque la neige fraîche, mon regard se perd dans ce chemin blanc. Même au centre ville la neige a réussi à s'installer. Éblouie par cette pureté, je lève mes yeux pour contempler le ciel noir, puis les maisons. De la fumée sort de l'une des cheminées, elle se mélange avec le ciel, formant ainsi des motifs étranges. Comme ceux que m'avaient montré cet homme en blouse, qu'il était désagréable à toujours me demander ce que j'y voyais, et il se disait médecin! Il y avait quelque chose de dangereux et de malsain dans cet homme. Enfin ne parlons plus du passé. Plus que 2 minutes, puis je serais chez moi, au chaud, lisant un roman de... Qu'est-ce?

De la neige crépite derrière moi sous des pas lourds... Ils semblent me suivre... Je suis suivie... On me suit ! J'accélère mon pas, je perçois encore les gémissements de la neige, dois-je me mettre à courir? J'accélère encore mes yeux sont rivés sur le chemin éclairé et mes oreilles tentent de percevoir les bruits qui s'estompent peu à peu. Puis plus rien. Silence. Juste mon souffle irrégulier. Je me retourne. Personne. Je ne réfléchis plus, je cours. Je cours vers la sécurité, chez moi. La clef déjà dans la main, j'ouvre la porte et m'y engouffre sans cesser de courir.

Quatre palier montés, mon cœur frappe contre ses barreaux, ma respiration se trouble, peut importe mon état je suis chez moi. Trainant les pieds, je vais dans ma chambre et d'un geste mou dépose mes affaires sur mon lit et m'assoie devant mon bureau. Déjà l'accident est oublié et mes cellules grises se concentrent sur la physique et les maths. Alors pour les maths, les vecteurs, ceux ne sont que des applications, trivial. Pour la physique, les phénomènes périodiques, je n'ai rien compris, je plane au dessus du livre et je sens que le sommeil s'approche à grandes enjambées.

- À table!

C'est ma mère, elle fait toujours cela avant chaque repas. Ma sœur et mon frère trouvent cela amusant, pour ma part son cri ressemble plus à une détonation dans le silence. Elle a beau chanter ces deux mots, cela restera un cri strident à mes oreilles. Je me lève donc et me meus vers la cuisine en ouvrant nonchalamment la porte vitrée. Au centre de la pièce est installée la table, ma sœur et mon frère sont déjà assis, ma mère apporte le dîner. Je prend place, la porte dans mon dos, ma mère à ma droite, mon petit frère devant moi et ma sœur à sa gauche. Repas simple, des nouilles. On entame notre dîner. Les couverts courent déjà vers la nourriture créant un bruit de fond métallique. Des brides de conversations me parviennent. Elles sont si intelligibles et si lointaines que je ne prends pas la peine d'écouter ni même de regarder mes interlocuteurs. De temps à autres, je sens qu'on me parle. Mais la fatigue est reine. Je ne réponds pas. Cela semble déranger ma mère. Je suis fatiguée, rien de plus, il n'y a aucun souci à se faire.

Tiens, des clefs tournent dans la serrure.

- C'est papa! m'exclamé-je!

Je me tourne pour apercevoir mon père dans l'entrée, mais à travers la porte vitrée je ne vois que le noir de la nuit. Perplexe je me retourne, cherchant dans les visages de ma famille une réponse. Mais ils scrutent leur assiette.

《Ce n'est que la fatigue》me dis-je.

Les gestes reviennent. Plus personne n'essaie de discuter. Seul le bruit des couverts interrompt le vide. Tous les yeux sont focalisés sur l'assiette. Le silence s'étire sans fin, comme si le temps s'était arrêté dans la cuisine. Comme le huit de l'infini, les gestes se répètent. Le silence s'alourdit, pèse sur chaque geste. Quelque fois, je jette de furtifs regards vers ma famille, mais elle s’obstine à regarder le repas. De nouveau, une clef tourne dans la serrure. Je me tourne progrésivement. Il n'y a aucune lumière dans l'entrée. Désorientée, je contemple ma famille.

- Avez-vous aussi entendu le bruit? soufflé-je.

Pas de réponse, pas un regard, rien.

- Hé! Vous m'entendez? insisté-je.

Toujours rien. Des sueurs froids glissent dans tout mon corps. Que dois-je faire? Devrai-je insister? Ou bien devrai-je appeler de l'aide, car ma famille devient étrange? Devrai-je me mettre à hurler? Ou devrai-je juste attendre? Un mouvement à ma droite interrompt mes questions sans réponse. Ma mère s'est levée.

- Qu'est qu'il y a? lui demandé-je.

Silence. Son visage me paraît étranger, il semble être déformé par de l'angoisse ou de l'inquiétude.

- Maman?

Elle marche mécaniquement vers la porte.

- Maman!

Elle sort de la cuisine. Au bout de ce qu'il me semblait être une éternité, je dévisage ma sœur et mon frère. Ils... regardent leur assiette vide.

- Vous savez ce que maman est allée faire?

Silence.

J'observe mon frère puis ma sœur, puis de nouveau mon frère. Et... Mon cœur cesse de battre. Est-ce moi, ou... Non, non, non, non. Je sais que la fatigue la réponse à tout ce que l'on veut, mais là non. Derrière eux, se trouve une ombre aussi fine que des fils, aussi grande qu'un sapin et aussi noire que de l'encre. Elle glisse pour se positionner derrière mon frère. Ces petits yeux violets et fins semblent le disséquer. Puis elle fait danser ses longs doigts noirs devant son visage qui scrute toujours l'assiette. Je me mets à hurler de rire. J'en pleure à en avoir des courbatures. Je ris, je me plie, je pleure, je me tords, je meurs de rire. D'un revers de main, j'essuie mes larmes.

Je me détend en inspirant une bonne fois. L'ombre semblait s'être dissiper et mes frères et sœurs n'avaient même pas lever la tête.

- The madness abyss, sussure une voix.

- Hum, pardon? m'excusé-je.

Je regarde mes chers frangins, ils se jettent un regard furtif, puis baissent la tête.

- Je vais pas m'énerver, m'obstiné-je, qu'est ce que t'as dit?

Voyant, qu'ils ne donnent aucune réponse, je commence à les fixer. Ils sentent que je les observe, mon frère se cache derrière sa main gauche.

- Bon.

Je patiente calmement encore quelques instants.

- Tu ne sais plus parler ou quoi?! hurlé-je.

Ma respiration accélère, se trouble. Trop de questions tournent dans ma tête. Trop pour que je puisse entendre ma mère rentrer.

- Chérie, me dit-elle.

Je me retourne violemment vers elle. Elle fait un petit mouvement de recul.

Quoi donc? Ai-je l'air effrayante? Et puis depuis quand est-ce qu'elle m'appelle "chérie"?!

- Oui? lui répondis-je avec un large sourire.

- Chérie, on va aller voir un ami, me dit-elle.

Un ami? Les personnes de ma classe m'évitent, qui serait donc cet ami? Un ami. Un rictus déforme mes lèvres souriantes tant c'est absurde.

- Tu le connais ma chérie, continue-t-elle, tu l'as déjà rencontré il y a quelques années, allez mets ton manteau et tes chaussures et on y va.

C'est à mon tour de ne pas parler. Un ami. Un ami! Attends... Elle veut parler du médecin? Non quelle idée, elle sait comme moi qu'il est dangereux et mal sain.

Voyant que je ne fais aucun mouvement elle me dit:

- Est-ce que ça va?

Je la regarde avec un regard d'incompréhension mêlé de colère, de peur et d'un je ne sais quoi.

- Est-ce que ça va? insiste-t-elle.

De ma bouche sort un rire irrégulier qui n'est autre que le fruit de ce que je ressens : de l'incompréhension, de la colère, de la peur et du je ne sais quoi.

Pourquoi est-ce que ça irait mal?

Je suis en parfaite forme. Et je suis parfaitement saine d'esprit.

- Moi, ça va, lui répondis-je. Et toi, tu vas bien ma chérie? lui demandé-je les yeux grands ouverts et les lèvres avec leur position éternel. Un large sourire.

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