Chapitre 1

Si à l'époque on m'avait dit que je finirais dans cette école pour sorciers à étudier la magie du sang et l'art de la divination, je n'y aurais jamais cru. J'étais une étudiante normale fêtant l'obtention de sa licence avec quelques amis. Pourtant, en une fraction de seconde, tout a basculé. Je me souviens encore de l'accident comme si c'était hier. Je n'étais pas alcoolisée, mais l'homme en face de moi, si. Le choc a été frontal, brutal, nous sommes tous les deux morts ce soir-là. Du moins, c'est ce que je croyais. Parce qu'il se trouve qu'un homme m'a sauvée, ou condamnée selon le point de vue. D'après les rumeurs qui circulent, plus la scène est violente, plus il prend son pied à regarder avant d'intervenir. C'est d'ailleurs comme ça qu'il choisit les soldats qu'il veut entraîner. Pour leur beauté, leurs compétences et la souffrance endurée.

Au fond de la salle de classe, je regarde par la fenêtre en mâchouillant mon stylo. Dans cet immense château, à des milliers de kilomètres de toutes vies humaines, des sorciers et sorcières sont formés pour rejoindre les rangs du Maître et le servir afin de le remercier pour avoir sauvé leur vie. Si la plupart considèrent cela comme une deuxième chance et se complaisent à plier le genou, ce n'est pas vraiment ma façon de voir les choses. Je suis plutôt du genre à aller à contre-courant.

— Mesdemoiselles, Messieurs ! sonne la voix de Miss Déniadol.

Dès l'instant où la femme entre dans la pièce, toutes les voix se taisent et chaque élève la salue d'un signe respectueux de la tête. Si je devais la décrire, je dirais qu'elle est exactement le cliché du fantasme des étudiants. Un mètre soixante-dix, perchée sur des escarpins rouge candy de dix centimètres, vêtue d'un tailleur en satin noir avec un décolleté plus que plongeant semblant compresser de façon irrespirable sa poitrine, des ongles manucurés, un maquillage too much avec ses lèvres ultra-rouges et de longs cheveux ramener en un chignon impeccablement structuré. Son seul défaut ? Je dirais sa voix de crécelle et sa manie d'implorer son Maître à tout bout de champ en espérant finir dans les draps de celui-ci. Enfin, si ce n'est pas déjà fait. Je n'ai rien contre le fait qu'elle s'amuse, mais je dois avouer que la fascination maladive que chacun voue à cet être est lassante. Aucune originalité. Il est bien plus puissant que nous tous, je n'ai aucun doute là-dessus, mais je suis du genre à aimer défier l'autorité.

— Mes enfants, aujourd'hui est un grand jour pour nous tous ! s'exclame-t-elle le regard pétillant en tapotant dans ses mains. Le Maître a décidé de nous faire l'extrême honneur de sa présence durant notre cours sur les créatures des Enfers !

Elle soupire de façon lascive avant de demander à tout le monde d'applaudir très fort la venue du très célèbre Lucifer. Au même instant, toutes les personnes présentes se lèvent, la mine éblouit devant l'homme qui entre dans la pièce. Comme une bonne élève, je suis le mouvement en tapotant dans mes mains sans comprendre pourquoi leurs yeux se remplissent d'étincelles pour si peu. Néanmoins, je ne mets pas longtemps à avoir une réponse à ma question. Alors que chacun reprend sa place, mon regard croise celui de l'ange déchu qui fait trembler les mondes. On ne lui donnerait pas plus de 30 ans. Ses iris rouge sang semblent brûler d'un feu ardent de folie, ses cheveux noir corbeau lui donnent un air sombre, tout comme sa légère barbe de trois jours parfaitement rasée. Et que dire de son corps ? Dans son costume satiné sur mesure de couleur pourpre, le Prince des Ténèbres nous permet d'admirer une esquisse de ce qui se dissimule sous sa chemise. Je comprends que mon cerveau s'est positionné en erreur quatre-cent-quatre lorsque je sens une légère humidité au coin de mes lèvres. J'essuie avec empressement ma bave en espérant que le Maître de l'ombre n'ait rien remarqué, mais je comprends qu'il a tout vu lorsque s'affiche sur son visage parfait un sourire discret. Si j'étais encore humaine, j'aurais sûrement prié.

— Bonjour à tous, commence-t-il d'une voix grave et suave semblable à du chocolat fondu. Merci de m'accueillir si chaleureusement parmi vous, je dois dire que je suis extrêmement touché. Je ne m'attendais pas à cette vague d'amour et je tiens à ce que vous sachiez que chacun de vous a une place privilégiée dans mon cœur. (Murmures de joie). Toutefois, si je suis venu aujourd'hui, ce n'est pas seulement par courtoisie, j'en ai peur. En effet, il se trouve que des actes répréhensibles m'ont été rapportés avec la preuve que la personne qui les a commis se trouve dans ce château en ce moment même. (Murmures de colère). Je vous demande de ne pas vous soucier du procès de cette personne, les calme-t-il. Il est de mon devoir et non du votre de régler ce souci. Sachez simplement que des soldats montent la garde à chaque issue et que, qui que ce soit, il ou elle ne peut pas s'échapper. Je vous promets de tout faire pour retrouver cette vermine afin que vous puissiez étudier sereinement et accomplir avec succès le rituel de passage.

Hypnotisés par ses paroles, tous le regardent comme des affamés devant un pot de Nutella pendant que je tente malgré moi de maîtriser ma respiration. Les actes répréhensibles ? Oui, c'est moi. Qu'ai-je fait ? Disons que j'ai poussé ma provocation un peu trop loin sans imaginer que Lucifer en personne viendrait m'infliger ma punition. Il se pourrait même que j'aie sorti la phrase « S'il est si puissant, qu'il vienne nous donner un cours au lieu de se terrer dans ses flammes ».

Mon cœur palpitant à deux cents à l'heure, je l'entends à peine laisser la parole à Miss Déniadol sous les applaudissements. L'estomac au bord des lèvres, je tente de maîtriser mon angoisse. Un coup de colère après que Miss Crow m'ait humiliée devant tout le monde pour ma mauvaise note en duel, cela mérite-t-il vraiment un châtiment par le roi des Enfers lui-même ? Si je craignais ma mère lorsqu'elle criait à l'époque où j'étais encore humaine, le Diable quant à lui n'a pas besoin d'élever la voix pour qu'une peur glaçante s'empare de chacune de vos cellules. Un regard suffit à vous faire comprendre le sort qu'il vous réserve.

Consciente que je risque de me trahir, espérant qu'il ne sache pas que j'aie prononcé ces paroles, j'ouvre comme si de rien n'était mon cahier et commence à dessiner quelques gribouillis pour tenter de divertir mon esprit de la psychose qui le ronge. On dit que dessiner des ronds permet de se détendre. Il faut croire que ça ne marche pas à tous les coups. Au bout d'une heure à étudier les gargouilles, j'ose un regard vers l'homme assis dans le coin à gauche près du bureau de Miss Déniadol.

Grave erreur.

Dès l'instant où ses yeux de flamme croisent les miens, ma respiration se bloque dans ma trachée si bien que je me mets à tousser bruyamment en déclenchant les réactions haineuses des camarades qui m'entourent. Devant leurs yeux agacés, je réponds par un regard féroce qui signifie parfaitement mon humeur. Je suis déjà en train de réfléchir à comment je vais échapper au prince des ténèbres, je n'ai clairement pas le temps de jouer à la bagarre avec ces enfants.

Il sait. Cela ne fait aucun doute.

Lorsque vient la fin du cours, mon angoisse est à son maximum. Autant qu'on se le dise, je suis terrifiée. Espérant passer dans les mailles du filet par je ne sais quel miracle, je range avec précipitation mes affaires avant de sortir de la salle à la vitesse de la lumière. Surprise que personne ne me stoppe à l'encadrement de la porte, je pense avoir réussi à survivre lorsqu'une voix grave et suave retentit derrière moi.

— Héléana Youvgrov.

Imaginez le plus beau des hommes, la séduction personnifiée prononcer votre nom d'une voix couverte de menaces. Les lèvres tremblantes, la gorge serrée, la poitrine compressée, je me retourne lentement vers celui qui m'a transformée en sorcière il y a un an. Son sourire se veut rassurant pour cacher son sadisme, mais ça ne prend pas. Les mains dans les poches de son costume, il penche la tête sur le côté tandis que ses yeux parcourent mon visage, mon cou, mes seins, mon ventre, mes cuisses, jusqu'à mes pieds avant de revenir se planter dans mes pupilles. Dire que je suis restée insensible à son analyse serait mentir. En vérité, l'excitation se mêle à la peur déclenchant une vague de chaleur impressionnante entre mes jambes.

— Ce soir à 20 h au gymnase. Ne me fais pas attendre.

Puis, sans plus de discours inutile, il se retourne et s'en va en sifflotant un air de classique. Si tout mon être me hurle de ne pas aller à ce rendez-vous avec la mort et de tout tenter pour fuir, je suis consciente que cela m'est impossible. Il me retrouvera où que j'aille. Je n'ai plus qu'à supplier en espérant être épargnée. 

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