La véritable histoire de Jack-O-Lantern (3)

Les diables n'avaient, tout comme les anges, aucun besoin de dormir. Pas de besoins physiques en tout cas. Mais Lucifer aimait dormir pour pouvoir rêver. L'inconscient et les rêves étaient un échappatoire à sa condition, et les rêves qu'ils faisaient l'emportait dans un bonheur éphémère mais tendre. 

Cependant, il ne regretta jamais tant de s'être endormi que lorsqu'il vit que Jack n'était pas à ses côtés. 

-Jack ?

Inquiet, il se redressa et regarda le village en contrebas de la colline, enrageant en silence. Si ces imbéciles s'en étaient pris à lui, il les tuerait tous. Comprenant que quelque chose n'allait pas, il regarda aux alentours avant de s'éloigner unpeu pour observer la lande, la forêt non loin, puis les chemins et le lac. 

Et, près du point d'eau, il vit ce qui lui sembla être son amour, de dos, fixant la surface miroitante sans bouger. 

De moins en moins tranquille, il se dépêcha de le rejoindre mais, en arrivant au lac, il n'y avait plus personne, juste la brume matinale, la fraîcheur de la rosée et les pâles rayons du soleil qui peinait à réchauffer le cœur glacé de Lucifer. 

-Jack ! 

La peur se fraya lentement un chemin jusqu'à son esprit, et son inconscient lui envoya des images plus insoutenables les unes que les autres, augmentant le froid dans sa poitrine. La peur de ne plus le revoir, la peur d'être seul à nouveau, le simple Diable qu'il était devenu, ne plus goûter à l'amour d'un être qu'il aimait en retour... 

-Jack, où es-tu ! 

-Lucifer... 

Le Diable se figea. Cette voix si douce, mais si triste... 

-Jack... Pitié dis-moi où tu es ! 

Il tourna, retourna, chercha une silhouette dans le brouillard, mais les propres brumes de son esprits ne faisaient qu'obscurcir son jugement, son âme et son angoisse. 

Il se retrouva sur les rives du lac, fixant la surface miroitante en pleurant preque sa frustration et sa peur. Puis il le vit, son amant, qui l'observait à quelques mètres, paniqué. Le visage de Lucifer se fendit d'un large sourire avant qu'il ne se précipite vers lui pour le prendre dans ses bras. 

-Jack, pourquoi es-tu parti ? souffla le Diable avec soulagement. 

Mais il sentit ensuite que quelque chose n'allait vraiment pas. Pourquoi le corps chaud de son amant était glacé ? 

-Lucifer... J'ai froid... 

Sa voix semblait vide de vie, et Lucifer le regarda de la tête aux pieds. L'irlandais était trempé, ses cheveux dégoulinaient d'eau, ses vêtements lui collaient à la peau et son regard transpirait la peur et l'incompréhension. 

-J-Je ne comprends pas, bredouilla-t-il, haletant. J-Je voulais aller boire à la rivière... Et des villageois... Je... J'ai si froid, Lucifer... 

Pris d'un affreux doute, le Diable regarda le lac, suivit de Jack qui ouvrit de grands yeux en remarquant une forme flotter dans l'eau, à quelques mètres d'eux. Une masse flamboyante qu'il aurait reconnue sans peine. 

-Non, souffla Lucifer, à bout de souffle, en se précipitant ensuite dans l'eau. Pitié non... 

Il avait de l'eau jusqu'à la taille lorsqu'il prit contre lui ce corps gelé et immobile à jamais. D'une main tremblante, il écarta les mèches flamboyantes trempées et caressa le visage de porcelaine, figé dans la mort. Les pupilles autrefois malicieuses ne brillaient plus, elles étaient fades et sans vie. 

-Jack... 

-Lucifer, qu'est-ce qui m'arrive... 

Le Diable ne répondit rien et serra le corps glacé contre lui en pleurant, incapable de faire face à la réalité de ce qu'il avait sous les yeux. Jack n'osait plus faire un geste, ne comprenant qu'à grand peine la situation, tremblant et de grosses larmes translucides coulant parmi les perles d'eau sur ses joues. 

-Jack, sanglota le Diable en sentant son cœur se déchirer sous la douleur qui, telle une pointe empoisonnée, piquait cruellement sans cesse, sans considération pour sa peine. 

Mais même les plus ardentes suppliques ne peuvent inverser le cours d'une destinée. 

-Je les tuerai tous, trembla-t-il en voulant qu'ils souffrent comme lui souffrait. Ils paieront tous... 

Mais il sentit sa colère le quitter lorsque deux bras fins se refermèrent autour de ses épaules et qu'un visage trempé de larmes se blottit contre lui. 

-Lucifer... E-Est-ce que je suis mort ?... 

Le Diable n'eut même pas le courage de le lui dire, et il n'en avait pas besoin. Son amant fondit en sanglot en s'accrochant désespérément à lui, et Lucifer maudit une fois encore le ciel de lui arracher l'être qu'il avait jamais aimé de toute son âme. 

-P-Pourquoi suis-je ici si je ne peux même pas être avec toi... 

-Pourquoi ne t'ai-je pas protégé comme je te l'avais promis ?... J'aurais dû être là... 

-Lucifer, ne me laisse jamais seul je t'en prie... Je ne veux pas rester un fantôme solitaire... 

Et soudain, le Diable prit conscience que la réalité était encore plus cruelle que ce qu'il pensait jusqu'alors. Il ouvrit des yeux ronds et apeurés et tourna lentement la tête vers Jack, ayant peur de ce qu'il allait dire. 

-Jack... Tu es encore sur terre... 

-O-Oui, bredouilla-t-il sans comprendre. M-Mais qu'est-ce qui t'inquiète ?... 

-Je n'aurais jamais dû promettre... 

-Lucifer tu me fais peur... 

-C'est ma faute... 

L'irlandais secoua lentement la tête avant de le prendre par les épaules, alors que le Diable détournait le regard en contenant de nouvelles larmes. 

-Lucifer, qu'est-ce que ça veut dire ?... 

-Tu es maudit, Jack, murmura-t-il d'une voix sourde. Tu es resté sur terre parce que tu ne peux entrer au Ciel, et je ne peux prendre ton âme en Enfer, tu me l'as fait promettre... 

-J'ai peur de comprendre, haleta le jeune homme en reculant sous le choc de l'information. Je suis... un esprit errant ?... 

Lucifer se redressa en portant dans ses bras le corps de son défunt amant et ses yeux étaient trempés de larmes. Dans un geste désespéré, il tendit la main vers le désormais fantôme qui recula encore, effondré. 

-Tu le savais ?... Tu le savais, que je n'aurais jamais accès à ton Paradis ?... 

-Jack, je n'avais pas réfléchi, sinon je n'aurais jamais... 

-J'ai si froid, le coupa l'irlandais dans un murmure en essayant de ressentir quoi que ce soit. Lucifer, j'ai tellement froid... Tout ça... C'est entièrement ma faute... 

Le Diable se figea en ressentant tant de culpabilité de cette âme en peine, tant de peur et d'angoisse, et tant de peine. Il n'avait jamais voulu ça, il avait toujours voulu le voir sourire, car il l'avait aimé comme il n'avait jamais aimé personne d'autre, et comme il ne pourrait plus jamais aimer dès lors. C'était un sort si cruel, il ne pouvait, malgré toute la chaleur de sa passion, lui offrir la moindre chaleur, et il le regardait se noyer dans sa tristesse et sa culpabilité. 

Cette vision lui déchira si fort le cœur qu'il se résolut à changer ce sentiment tourné contre son amant. Si Jack devait rejeter la faute sur quelqu'un, ce ne serait pas sur lui-même, il ne se torturerait pas comme ça pour l'éternité. 

Déchiré par sa conscience, Lucifer sortit de l'eau et, sans un mot, se rendit en direction du cimetière. L'esprit de Jack le suivit sans comprendre et essaya d'obtenir des explications, mais il le regarda simplement enfouir son corps à côté de la tombe de la petite Willow, consciencieusement, comme un fossoyeur. Bientôt, il ne se dressa qu'une stèle grise avec son nom et, comme pour veiller sur lui, la statue d'un ange macabre. 

-Jack l'irlandais... 

Le concerné sursauta à la froideur des mots et le regarda se retourner doucement vers lui, son regard autrefois ardent de passion aussi froid qu'un marbre carmin. Le sourire qu'il lui offrit alors acheva de le glacé de terreur. 

-C'était tellement facile de maudire ta petite âme en peine, ricana Lucifer en se dégoûtant lui-même de sa conduite. Maintenant tu n'iras plus ni au Paradis, ni en Enfer, tu resteras ainsi sur Terre, comme un pauvre erre sans âme. 

-Lucifer, bégailla le pauvre irlandais en retenant à peine ses larmes. 

-Quoi ? Tu penses m'attendrir avec ton regard de chien battu ? Je suis le Diable, l'Ange Déchu, le Malin, l'être le plus noir de cœur de ce monde, et tu as sincèrement cru que j'allais aimer un simple mortel ? 

Chaque mot leur arrachait le cœur mais Lucifer eut un sourire encore plus cruel en s'avançant vers son amant qui recula par réflexe, ne sachant plus quoi croire. 

-Mais puisque tu sembles si pitoyable, je vais te faire cadeau d'une braise ardente de mon royaume, elle réchauffera ton pitoyable corps astral pour le reste de l'éternité... 

Se disant, et sans que Jack ne puisse reculer, il posa sa main sur sa poitrine et l'irlandais crut que son cœur allait brûler, comme envahi par une coulée brûlante de lave. Et il sut instantanément ce que le Diable faisait, il était en train de changer son cœur en une braise de flammes damnées. L'organe était un véritable cœur de charbon et de braise. 

Sous la douleur, il manqua de perdre conscience mais ressentit bien vite la chaleur irradier son corps, réchauffer ses membres engourdis et il sentit de nouveau les perles salines sur ses joues pâlies par la mort. 

Devant lui, Lucifer le dévisageait froidement, un mauvais sourire sur ses lèvres pincées. 

-Profite de la fin des Temps, Stingy Jack, ricana-t-il avant de lui lancer un regard à faire frémir la mort et de partir, lui tournant le dos pour qu'il en remarque pas ses larmes amères. 

Jack le regarda s'éloigner et son cœur de braise se brisa sous ce rejet et cette trahison. La culpabilité de son âme se changea en haine, une haine à l'égard d'un homme qui avait trompé ses sentiments alors qu'il lui avait fait jurer son amour. Il avait cru qu'une personne sur cette terre l'aimait d'une passion inégalable, il avait cru que leurs ébats étaient le fruit d'amour, et non une manipulation tentatrice. 

Sans qu'il le voit, Lucifer eut un sourire affligé de tristesse en ressentant cette haine à son égard. La culpabilité est ce qui fait pleurer les âmes, la haine les maintient dans un feu de passion. Si Jack devait le haïr pour ne pas abandonner son âme, alors il le haïrait de la haine la plus ardente. 

Le Diable attendit que Jack ait quitté le village pour errer sur les chemins, et il se rendit au centre du village, où il déploya deux grandes ailes noires comme du charbon, puis il invoqua un feu d'Enfer, le feu le plus destructeur et avide qu'il connaissait, et les flammes ravagèrent d'abord les maisons en silence, dans la brume du petit matin. 

Puis les cris, de douleur, de peur, qui n'émurent pas le Diable le moins du monde. Il regarda le feu dévorer toute vie pour n'épargner que le cimetière, laissant ses larmes de rage se mêler à la rage des flammes. Ils lui avaient pris plus qu'il ne leur prenait, il ne referait jamais confiance à ces êtres méprisables. 

Il garderait cependant dans le cœur l'image d'un jeune homme d'une beauté céleste qui avait vendu son âme au Diable par amour, et auquel le Diable avait offert sa propre âme en retour. Et il se souviendrait toujours de la douleur de perdre cet être si cher.  

Dans les landes d'Irlande, parmi la brume et le silence, vous pouvez entendre parfois les lamentations d'un irlandais, déchirant comme la plainte de la douleur la plus atroce. Parfois, vous croiserez peut-être un regard aussi vert que l'émeraude dans lequel toute trace de vie aura disparu. 

Si vous vous aventurez plus loin dans la brume du matin, vous trouverez peut-être un vieux cimetière abandonné d'où un ange de pierre vous dévisagera avec haine pour garder un trésor enfoui dans la terre sous une stèle grise.

Peut-être verrez-vous un énorme chien noir aux yeux rubis vagabonder dans la nuit, comme un sombre gardien. Ou peut-être pas, car il faut y croire pour les voir. 

Les villageois content leurs aventures depuis des générations, vous avez déjà entendu cette histoire sous différentes formes, avec différentes variantes, mais elles sont justes à bien des égards. 

Il existait une fois un jeune homme en Irlande qui trompa le Diable, et il existait en ce temps là un Diable qui offrit un cœur à une pauvre âme en peine. 

Car la passion est un feu éternel inextinguible. 

Fin

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