Chapitre 4


Barrow avait un visage affable. C'était le genre de vieillard qui inspirait un sentiment de respect immédiat. Je l'imaginais parfaitement fumant le cigare en parcourant de vieux volumes écoutant de la musique d'avant guerre, entouré de ses petits enfants jouant autour de lui. Il portait un vieux costume en tweed et des mocassins lorsqu'il m'ouvrit sa porte.

Me guidant jusqu'à son salon, aux boiseries sombres, les murs couverts de livres et d'étagères, avec une vieille mappemonde sur un bureau en acajou, où se trouvait également des parchemins à demi déroulés.

Je m'inquiétais de l'avoir dérangé en pleine étude, et il me répondit avec un sourire, que aujourd'hui il passait son temps à étudier, de sorte que, finalement j'étais sa pause. Il m'offrit à boire, du thé malheureusement, et je déclinais poliment l'offre, maudissant intérieurement les anglais et leur fichu amour pour le thé comme s'il n'y avait que cela qu'on puisse offrir à boire.

Nous nous étions assis dans deux fauteuils se faisant face de trois quart, un feu crépitait dans la cheminée offrant une ambiance chaleureuse et reposante. Nous échangeâmes quelques politesses puis nous abordâmes le sujet qui m'amenait ici.

Il me demanda si je connaissais intimement Godric. Je lui répétais avec un sourire, que comme je l'avais dit dans ma lettre, je ne le connaissais pas à proprement parlé, mais que je menais une enquête sur lui, en vue d'un employeur qui fort généreusement allait lui offrir un poste important. Et qui naturellement était inquiet au vu du passé de Godric.

Je lui racontais comment j'avais découvert qu'il n'avait jamais mit les pieds à Harvard en y ajoutant un air peiné. Il me répondit avec un sourire, que cela ne l'étonnait guère. Godric a toujours eu très honte de ses origines. Et évidemment, il était pétrit d'ambition, persuadé que si on savait d'où il venait, on refuserait de lui accorder la moindre chance. Il eut un petit mouvement d'épaule pour signifier qu'on y pouvait rien.

Je souris en répliquant que je comprenais parfaitement, mais qu'il fallait que je sache tout à son sujet néanmoins. Il prit alors un air sérieux en me demandant comment s'était passé mon entretient avec miss Veidt.

Je fus étonné qu'il se souvient de son nom et surtout qu'il devine aussi facilement ce que j'avais fait. Il me répondit gentiment qu'il était évident que pour mener une enquête on commençait par le début, et que j'aurais été un bien mauvais enquêteur si j'avais ignoré cette piste. Je souris en retour, étonné par son intelligence.

Je résumais les propos de la vieille femme tout en insinuant qu'elle pouvait avoir exagéré la chose. Il m'étonna par sa réponse.

« Non, je ne crois pas qu'elle ai exagéré quoi que ce soit.

Je lui témoignait ma surprise ce qui le fit rire.

— Naturellement, vous ignorez ce que cela peut être pour un enfant entouré de personnes tout à fait ordinaire de soudainement réaliser que vous êtes capable de punir les gens qui vous cause du tord juste parce que vous êtes bien plus intelligent que la moyenne.

Il s'avança sur son fauteuil, et il avait soudainement l'air mortellement sérieux.

« Vous savez, lorsque j'ai été embauché dans cette école pour surdoués j'ai remarqué très vite deux choses. L'intelligence se déclarant ainsi chez des enfants mais étant ignoré par eux et leur proche peut devenir une arme dangereuse, et l'autre point, est qu'un enfant surdoué est souvent victime de troubles du comportements plus ou moins importants.

« Il y a bien sûr le syndrôme d'Enstein. L'intelligence développée dans un domaine comme par exemple les sciences de manière très très forte, pénalise en quelque sorte d'autres domaines. Il arrive qu'un enfant particulièrement doué soit capable de résoudre des équations difficiles mettant à l'amande des adultes qualifiés, alors que le même enfant est incapable de gérer ses émotions ou peut avoir des problèmes pour marcher.

« Godric lui a découvert très jeune qu'il pouvait facilement, en observant simplement les autres, tout deviner à leur sujet, jusqu'à leurs émois intérieurs. De ce fait, il s'est senti supérieur, au point de se montrer sadique et cruel. »

J'ouvris des yeux ronds, de surprise naturellement, mais aussi sans doute d'effarement, car je n'avais jamais songé que l'intelligence puisse pousser qui que ce soit vers ce genre de comportement, et d'imaginer que quelqu'un possédant du génie le mette au service de faire le mal était quelque peu dérangeant, car nous parlions d'un homme se présentant pour la gourvenance d'un Etat.

— Ne soyez donc pas si effrayé, l'enjeu de sa scolarisation parmi nous fut justement d'empêcher un tel comportement, de lui montrer que même les plus intelligents dépendent des règles. Vous savez nous avons affaire à des cas parfois très difficile, mais nous avons rarement connu d'échec.

Il poussa un soupire, et se servit un thé en me demandant à nouveau si je n'en voulais pas un. Je plaisantais en disant qu'un cognac me conviendrait beaucoup mieux. Il rit à ma plaisanterie, mais proposa tout de même de m'en offrir un, et je n'eut pas le cœur à refuser.

Après qu'il m'eut servit un verre, il reprit sa place, et observa sa tasse devant lui.

— Je l'avais immédiatement senti lorsque j'étais venu le trouver dans cet orphelinat sordide, qu'il possédait une intelligence hors du commun et qu'il avait parfaitement conscience de sa supériorité. Il m'avait parlé, durant cette visite, de ce qu'il pouvait infliger aux autres grâce à son savoir, à ce qu'il apprenait sur eux, et surtout parce qu'il les trouvait stupide. Bien sûr il n'a jamais dit le moindre détail, seulement qu'il en était capable, mais avec une certaine... férocité.

« Je pense qu'à l'époque il se sentait véritablement différent des autres, sans pouvoir se l'expliquer. Je pense même qu'il devait se douter de ce qu'il était parce qu'il ne m'a pas semblé convaincu d'être un monstre, mais l'idée devait lui avoir traversé l'esprit. A la place, il choisit de croire qu'il était exceptionnel, ce qui à vrai dire, n'était pas si éloigné de la vérité.

« Pour un enfant de son âge, il avait déjà trouvé une utilité à son intelligence et l'exploitait régulièrement. Il était non seulement un enfant vraiment doué, mais il en avait quelque part conscience. Tout ce que nous avions à faire était de lui faire prendre conscience qu'il faisait du mal, et qu'il pouvait aussi faire du bien par la même méthode.

Il reposa sa tasse après en avoir avalé une gorgée. Pour ma part, j'avalais mon cognac à la vitesse de l'éclair. L'alcool me brûla la gorge, mais eut la faculté de m'éclaircir les idées.

— Je vous ne l'ai probablement pas dit, mais lorsque je le rencontrais pour la première fois, il fit pas seulement preuve de colère envers les autres enfants, et plus globalement envers le monde entier, probablement qu'il en voulait à la vie en elle-même.

« En fait, il fit preuve d'une certaine arrogance. Il me traita en égal, et ne me montra pas le moindre respect jusqu'à ce que je lui parle de l'école et du fait que je souhaitais l'emmener avec moi. Là soudainement, il changea du tout au tout.

« Au fond, je suis persuadé qu'il voulait simplement de la reconnaissance, et peut-être une famille, un endroit où il se sentirait à sa place. Car voyez-vous comme beaucoup d'enfant surdoués élevé dans une famille disons de personnes ordinaires, il avait toutes les raisons de se croire soit bizarre voire anormal. Bien sûr, son caractère le poussait à se croire simplement exceptionnel. Mais la notion de différence était toujours là. »

Après un court silence que je laissais volontairement s'imposer pour prendre le temps de tout noter mentalement, je lui demandais si Godric pouvait être dangereux. Après tout ce qu'il m'avait raconté, j'avais toutes les raisons de le croire.

Et puis surtout, après qu'il eut évoqué ce trait de caractère, ce sadisme, je m'étais souvenu de cette histoire par laquelle tout avait commencé, le récit de mon ami, la mendiante et l'éclat de colère. Je me sentis le devoir de tout lui raconter.

Alors j'évoquais le récit de mon ami, son agitation, son doute vis à vis de Ligheton. Il parut chagriné lorsque je terminais mon récit.

« Hum... fit-il simplement. C'est possible, vous savez, il y a eut également des incidents au cours de sa scolarité. Evidemment, c'était un très bon élève, il était très intelligent, et éblouissait ses professeurs. Sa beauté n'en était pas étrangère, mais il y avait quelque chose en lui, qui attirait le regard et surtout donnait envie de lui accorder toute sa confiance. Alors bien sûr, personne n'a fait le rapprochement.

Je plongeais mes yeux dans les siens, qui contrairement à son apparence de gentil vieillard, trahissait au contraire une certaine vivacité.

— Mais vous si, fis-je simplement d'une voix basse comme si nous parlions d'un secret qu'il ne fallait surtout pas dévoilé, comme si les murs pouvaient nous entendre.

Il sourit un bref instant, mais à son regard je sentais le poids d'un lourd secret, d'une responsabilité qu'il sentait peser sur ses épaules.

— En réalité, je me suis toujours méfié de lui. Godric m'avait semblé capable de tout à l'orphelinat, je pense que si je n'étais pas intervenu, il serait sans doute devenu quelqu'un de terrible, il aurait fait le mal véritablement, pas parce qu'il avait une inclinaison particulière pour cela, mais parce que personne ne l'aurait jamais compris.

« Et je pensais qu'au sein de cette école, il pourrait s'épanouir, mais je conservais cette idée qu'il était capable de basculer vers, eh bien, le mal.

J'étais impatient comme un enfant qui écoute une histoire, et à vrai dire, c'est la sensation que j'avais, car tout cela semblait si extraordinaire. A la réflexion un bon conteur aurait pu faire de cette histoire un superbe roman, peut-être bien que Edgar Allan Poe en aurait fait une nouvelle, oui ça aurait été absolument génial. Mais moi j'étais un journaliste, et le conteur était plutôt l'homme en face de moi.

— Alors ? » m'impatientais-je.

Il rit doucement.

— Que voulez vous que je vous dise, que je l'ai surpris sur le fait à faire quelque chose de mal ? Que j'ai les preuves pour le confondre ? Bien sûr que non. Godric a toujours été parfaitement irréprochable. Mais il y a bien eut un incident... »

« Il était sur le point de terminé sa formation. Nous avons pour habitude de terminer en offrant la possibilité à nos jeunes élèves de trouver un projet, ça serait trop long à vous expliquer, mais il tenait beaucoup à terminer tout cela, comme il fallait. Aussi, je pense... Le mieux est que je commence par le début, n'est-ce pas ?

Il but une gorgée de thé, puis releva lentement les yeux vers moi, j'y lu quelque chose de trouble, de l'inquiétude, et de l'interrogation dans ses prunelles.

— Eh bien il y avait eut un incident, ou plutôt quelque chose de très grave était arrivé, une jeune fille était morte. C'était un de nos cas les plus difficiles, incapable d'accepter la moindre autorité, elle faisait des crises violentes, frappant, hurlant, après coup nous pensons qu'elle aurait peut-être dû intégré un institut spécialisé. Quoi qu'il en soit, on l'a retrouvé morte... eh bien, disons qu'il y avait une mise en scène particulière, le corps avait été transporté, dévêtu, et tout cela était parfaitement horrible surtout pour la famille.

« Bref, on ne parlait plus que de cela, et il fut clair pour chacun de nous que seul un membre de l'école pouvait être coupable. On réfléchis à cela, mais il n'y avait aucune preuve, aucun indice, elle n'avait pas vraiment d'amis, et en même temps pas d'ennemis non plus, c'était une fille malheureusement tout à fait banale.

« L'enquête fut poussée, la famille de la jeune fille insista de beaucoup, et la police envahi bien sûr l'école. La situation devenait impossible à chaque jour un peu plus, nous pensions devoir fermer l'école, et les tensions se multipliaient entre professeurs mais aussi avec les élèves. Nous eûmes plusieurs incidents.

« Et puis, l'un des membres du Haut Conseil déclara que le coupable devait être Ligheton, puisqu'il l'avait surpris un jour dans la chambre de la jeune fille, et qu'ils avaient l'air tous les deux de se cacher, qu'ils ne voulaient pas qu'on les voit ensemble. Le doute a commencé à naître, et la rumeur a enflé, si bien que je fus obligé de le convoquer.

« Vous l'auriez vu, enfin vous ne le connaissez pas, mais il n'avait jamais été ainsi, si en colère. Il était furieux, pas qu'on l'accuse mais que moi je doute de lui. A cet instant, je réalisais qu'il me voyait un peu comme son père ou la figure la plus proche, il pensait qu'il pouvait avoir confiance en moi. Je ne saurais dire comment je ressentis tout cela, mais à la fin cela me fut insupportable qu'il soit accusé à tord.

« Pourtant à la vérité, je crois qu'il aurait fait un très bon coupable, il aurait pu le faire si cela lui avait paru nécessaire. Il plaçait toujours son intelligence avant le reste, et je pense que sa notion du bien et du mal a toujours été plus mince que celle de la moyenne. En fait, le pire c'est que je me suis dit qu'il aurait pu le faire simplement parce que cela aurait été un vrai défi intellectuel.

« Mais quoi qu'il en soit, après cet entretient je fut persuadé de son innocence et le laissait donc mener sa propre enquête. Il m'assura qu'il devait s'innocenter. Vous devez me laisser agir, il dépend de mon avenir ! s'était-il exclamé avec tant de force que je le laissais faire. Bien sûr, quatre semaines plus tard, il nous livra le coupable. Sur le moment, je pensais qu'il avait raison.

« Le jeune homme qu'il nous livra s'intéressait effectivement à la victime, de plus il n'avait aucun alibi tenant la route, il avait pour ambition de devenir metteur en scène, de plus il avait quelques petits problèmes avec cette fille, disons qu'ils avaient eut une liaison.

« Mais vous savez, j'ai toujours eut un doute. Parce que ce n'était pas un crime passionnel, et que le fameux coupable a accepté un peu trop vite la sentence.

Blême, je ne posais qu'une seule question, mais au fond, la seule véritablement importante.

— Ce jeune homme accusé, a-t-il été condamné à mort ? »

Il ne me répondit pas à voix haute, se contentant d'hocher tristement la tête, de haut en bas.

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