Chapitre 4
« Isaac ! Isaaaaaac ! »
Isaac se redresse en sursaut. Une silhouette floue fait de grands signes en face de son visage, tout en répétant son nom. Il tâtonne pour retrouver ses lunettes, coincées entre deux livres sur la table où il s'est assoupi. Se rappelant peu à peu où il se trouve, il chausse ses lunettes et reconnait enfin la personne qui lui fait face.
« Rose ! C'est la bibliothèque des grands, des grands, ici, c'est pas pour les filles de cinq ans !
– Six ! J'ai six ans ! Et je peux les lire, tes livres, c'est pas compliqué. »
Isaac jette un œil aux livres empilés sur la table, dont les titres (Phénoménologie de la Particularité, La Particularité et ses différentes acceptations dans la sociologie moderne, Éthique de la Particularité du Ier siècle à nos jours) lui permettent de mettre en doute l'affirmation de sa petite sœur. Il s'apprête à répliquer quand ses yeux rencontrent les deux montres accrochées à son poignet, indiquant toutes deux 14 heures, 11 minutes et 44 secondes. Horrifié, il effectue un rapide calcul et se rend compte que son cours de sciences de la Particularité a déjà commencé depuis 704 secondes. Il se lève, rassemble précipitamment ses affaires, range ses deux trousses et ses deux cahiers dans les deux compartiments de son sac, repose les ouvrages dans les rayons de la bibliothèque, et empoigne la main de sa sœur.
« Viens, viens ! Je dois aller en cours, et toi aussi !
– Eh ! proteste-t-elle. »
Elle tente de se dégager, mais il la tient fermement. Il monte en vitesse les escaliers menant à sa salle de cours... puis s'arrête net. Sa sœur se tient devant lui, au sommet des escaliers, un sourire sur les lèvres. Il jette un œil à sa droite, où Rose n'a pas bougé, sa main toujours dans la sienne.
« Rose, Rose... soupire-t-il. C'est pas le moment de jouer. »
Sa sœur sait qu'il ne s'est jamais habitué à la voir en double. Lui qui aime tant la duplicité, reste gêné par celle de Rose.
« Il faut que je trouve ma salle. »
Mais il ne reconnait plus les couloirs. La cathédrale s'est transformée en un immense labyrinthe. Après huit ans dans cette école, il ne parvient toujours pas à se repérer.
Au hasard, il s'engouffre dans le couloir de droite, prenant dans sa main gauche sa deuxième petite sœur, qui s'est mise à bouder. Il erre ainsi plusieurs minutes, désespérant d'arriver un jour en cours. Dans cette partie de l'école, les couloirs ne sont pas éclairés et les fenêtres sont rares ; il y règne une douce obscurité. Ses pas ralentissent malgré lui quand il remarque, assise dans un renfoncement, une petite fille aux longs cheveux noirs. Il observe la fille en passant devant elle ; celle-ci pose sur lui un regard sans émotion qui le fait frissonner.
Au loin, Isaac croit entendre des voix. Il se détache du regard de la petite fille et accélère le pas, sa sœur redevenue unique sur ses talons. Il sent les voix se rapprocher – mais ce ne sont pas celles d'un professeur et de ses élèves. Les paroles sont étouffées, comme si les interlocuteurs ne voulaient pas être entendus.
Isaac fait signe à Rose de ne pas faire de bruit. Il avance doucement, plaqué contre le mur. Au bout du couloir, une porte entrouverte laisse deviner deux professeurs. Le garçon reconnait Miss Grimmalkin et M. Georges. Il approche son oreille de l'ouverture, et distingue enfin les paroles des deux professeurs.
« C'est grave... tous ces gens qui meurent... souffle M. Georges.
– Une tragédie, concède Miss Grimmalkin.
– Et les élèves si proches... il faudrait leur dire, non ? Des fois qu'un d'entre eux aurait l'idée de s'aventurer dehors... il pourrait contaminer tout le monde... C'est si grave... »
Isaac retient son souffle, et fait signe à sa sœur de rester silencieuse. Celle-ci ouvre de grands yeux. Il porte une main à son cou et sent son cœur s'accélérer dangereusement.
« Oh non, non... » chuchote-t-il pour lui-même.
Et ce qu'il redoute advient : les voix des interlocuteurs deviennent plus graves, plus traînantes, leurs mouvements plus lents... Tout s'engourdit. Isaac observe ses montres, qui tournent plus lentement que d'habitude. Après d'interminables secondes, le cœur du garçon se calme, et le monde retrouve un rythme normal.
« Viens, viens, on s'en va », chuchote-t-il.
Il entraîne sa sœur, rebroussant chemin jusqu'à l'escalier et empruntant cette fois-ci le couloir de gauche.
« De quoi ils parlaient ? demande sa sœur.
– Je sais pas, je sais pas.
– Ca avait l'air grave.
– M. Georges dramatise toujours tout. C'est son boulot.
– Mais ça avait l'air grave. »
Isaac s'arrête pour se baisser à la hauteur de sa sœur.
« T'inquiète pas, tout va bien, tout va bien.
– T'es sûr ?
– Oui, oui, Rose.
– OK.
– Allez, on va en cours. »
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