Chapitre 22
Pour la millième fois, Arthur se retourne sur son matelas. Renonçant à s'endormir pour le moment, il se redresse et balaie la salle du regard. Dans la nef, des centaines de matelas ont été posés à même le sol, rassemblés en quatre groupes : les Hawk, les Raven, les Nightingale, et les professeurs. La lumière de la Lune presque pleine lui permet de distinguer les corps de ses camarades étendus auprès de lui. Certains semblent profondément endormis ; d'autres s'agitent, probablement assaillis par les mêmes troubles qu'Arthur. Il ne croit pas à la promesse de la directrice : le détraqueur leur a échappé pendant plusieurs semaines, il a très bien pu leur échapper ce jour-là aussi, et se trouver dans la nef, avec eux, riant de leurs mesures de sécurité futiles.
Un bruit attire l'attention d'Arthur : au loin, des chuchotements étouffés résonnent. Le bruit provient d'un renfoncement dans le bas-côté, dans un endroit où aucun lit n'est disposé. Le garçon balaie de nouveau les matelas du regard ; ses yeux tombent sur une couchette vide, à une dizaine de mètres de lui. Arthur ferme les yeux et convoque dans sa mémoire les images de la veille, lors du coucher. Elizabeth.
En quelques secondes, sa décision est prise : il se lève et se faufile entre les matelas en direction des chuchotements. Le contact du sol de pierre contre ses pieds nus fait dresser ses poils sur tout son corps. Il s'éloigne de ses camarades endormis et se plaque contre le mur de la cathédrale. Quand il parvient au renfoncement, une vingtaine de mètres plus loin, il s'accroupit et jette un œil à l'intérieur. Bien que l'alcôve soit plongée dans l'obscurité, il distingue la silhouette d'Elizabeth. Celle-ci, assise dans un coin, paraît plongée dans une conversation avec elle-même. Mais après quelques secondes pendant lesquelles ses yeux s'habituent progressivement à l'obscurité, Arthur remarque l'animal logé dans la main de la jeune fille. Il s'agit d'une des belettes télépathes de l'école, utilisées pour la communication avec l'extérieur. Le garçon tend l'oreille.
« Trois victimes, déjà trois victimes, peste la belette d'un ton passablement énervé.
– Quatre, en comptant le chat, chuchote Elizabeth.
– Oublie le chat ! Nous t'avions confié une mission, une unique mission, et tu...
– Moins fort, tu vas réveiller les élèves ! Je...
– Je ne recevrais pas d'ordre de toi ! Tu as oublié qu'il me suffit d'un claquement de doigts pour faire du mal à ton cher frère ?
– Je n'ai pas oublié. »
Arthur écarquille les yeux. La belette reste immobile, parfaitement calme ; le contraste avec la violence des mots qui s'échappent de sa bouche est saisissant. Avec qui la jeune fille peut-elle être en train de communiquer ? Et qu'attendent-ils d'elle ?
« Écoute, Elizabeth. Nous progressons. Tout va s'accélérer, nous serons bientôt prêts. Tu dois trouver ce détraqueur.
– Je crois... je crois que c'est un Particulier de l'école qui prend la forme d'un détraqueur. Une professeure. »
Arthur secoue imperceptiblement la tête.
« Une professeure... », répète l'animal de sa voix grave.
La belette reste silencieuse quelques secondes. Elizabeth pose sur la créature un regard plein de terreur, qui tranche avec son habituel masque de détermination.
« Qu'il soit un professeur ou une crevette, je m'en contrefiche. Trouve ce foutu détraqueur. Et amène-le-nous. »
Elizabeth reste silencieuse. La belette ne reprend pas la parole ; après quelques secondes, elle saute à terre et disparaît dans l'obscurité. La jeune fille n'esquisse pas un mouvement ; les jambes pliées devant elle, elle enfouit sa tête dans ses bras et reste prostrée ainsi de longues minutes. Arthur la contemple, des millions de pensées tourbillonnant dans sa tête, incapable de prendre une décision. Finalement, il s'avance doucement et s'arrête face à la jeune fille.
« Elizabeth », appelle-t-il doucement.
Celle-ci sursaute et lève la tête avec un mouvement de recul, avant de reconnaître Arthur.
« Qu'est-ce que tu... »
Son expression change, et la méfiance s'empare de son regard.
« Depuis quand es-tu là ? »
Arthur s'assoit à côté d'elle sans répondre.
« À qui tu parlais ? demande-t-il à la place.
– Ce ne sont pas tes affaires.
– Pourquoi veut-il que tu trouves le détraqueur ?
– Pour rien. »
Le silence retombe un instant, avec qu'Arthur enchaîne :
« Tu parlais aux Estres, c'est ça ?
– Les Estres n'existent plus, Arthur.
– Tout le monde dit qu'une poignée d'entre eux a survécu. Et qu'ils préparent leur vengeance. Miss Grimmalkin l'a dit. »
Elizabeth tressaille en entendant ce nom.
« Miss Grimmalkin n'est pas un détraqueur, Liz. C'est l'idée la plus absurde que j'aie jamais entendue.
– Crois ce que tu veux. »
Elle regarde droit devant elle, le visage fermé.
« Elizabeth... je peux t'aider. Ils te menacent. Il faut prévenir Miss Peregrine. »
À ces mots, la jeune fille se tourne vers Arthur, des flammes dans le regard.
« Non, dit-elle avec rage. Tu ne feras pas ça. »
Arthur recule imperceptiblement devant la hargne de son interlocutrice.
« Promets-le-moi », ordonne-t-elle.
Les deux élèves se défient du regard pendant de longues secondes. Finalement, Arthur baisse les yeux.
« OK. Je te le promets.
– Ne parle pas de ce que tu as entendu – ou de ce que tu crois avoir entendu – à qui que ce soit. Et ne m'en reparle pas. »
Le garçon acquiesce doucement. Sans cesser de le fixer, elle se lève et recule de quelques pas, avant de faire volte-face et de se glisser dans la nef, rejoignant son matelas sans un bruit.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top