Chapitre 2

Isaac contemple les deux montres accrochées à son poignet gauche. Celles-ci, réglées exactement la même heure, à la microseconde près, semblent tourner beaucoup trop lentement. Pris de doute, le garçon porte une main à son cou ; mais son pouls est normal. Si le temps paraît s'étirer, c'est à cause de Miss Marshall. Isaac a l'impression d'être assis à cette table depuis une éternité. Il entend en arrière-fond la voix lente et traînante de la professeure de géographie des boucles ; Miss Marshall ne prend pas la peine de modifier ses cours d'une année à l'autre, aussi n'est-il pas le seul à trouver ses cours mortellement ennuyeux. La vieille femme semble vivre dans un autre monde, un monde où tout se passe très lentement ; ses mouvements et sa voix sont constamment engourdis, comme si elle était en demi-sommeil.

En désespoir de cause, mettant de côté sa promesse d'utiliser le moins possible sa Particularité, Isaac pose sa tête entre ses bras et commence à respirer très lentement. Peu à peu, il parvient à calmer les battements de son cœur, et son environnement se met à s'agiter. La voix de Miss Marshall est un peu moins traînante, les aiguilles de ses montres tournent légèrement plus vite.

Satisfait, il redresse la tête. Son cœur manque un battement quand son regard se pose sur une chevelure brune qu'il reconnait aussitôt. Il ferme les yeux, grimace et porte une main à son ventre ; la vision de cette chevelure lui a valu un brusque retour à la réalité qui le rend, comme à chaque fois, nauséeux.

« Monsieur Blackburn, vous vous sentez bien ? », demande Miss Marshall de son éternelle voix lente.

Isaac sursaute : la professeure s'est téléportée à quelques pas de lui.

« Oui, oui », répond-il.

Il redresse ses lunettes sur son nez, cligne deux fois des yeux et sent le feu lui monter aux joues tandis que les regards de ses camarades de classe se tournent vers lui. La chevelure brune se retourne également, laissant découvrir un visage ; Isaac détourne les yeux avec précipitation. Il sent, dans sa vision périphérique, le regard de la fille posé sur lui.

Quand enfin il est sûr qu'elle s'est retournée, il repose son regard sur elle. La fille a coincé une mèche de ses cheveux derrière son oreille, si bien qu'il peut distinguer une partie de son visage. Elizabeth Delaney. Comme à chaque fois qu'il l'observe, sa fréquence cardiaque s'accélère. Le garçon lâche un juron, ferme les yeux et compte jusqu'à dix. Son cœur se calme. Des dizaines de questions traversent son esprit : quelle est sa Particularité ? d'où vient-elle ? de quelle époque ? quelle est son histoire ? Il cligne deux fois des yeux et se met à se ronger les peaux mortes aux coins des doigts. Cette fille lui restera à jamais inaccessible. 

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