Chapitre 19
« Arthur. Arthur... »
Arthur met plusieurs secondes avant de se rendre compte que le visage d'Enzo penché au-dessus de lui n'appartient pas à son rêve. Puis, brusquement, il reprend le sens de la réalité et se redresse en vitesse, se cognant au passage contre l'étagère fixée au-dessus de son lit.
« Aïe ! peste-t-il silencieusement, avant de se frotter la tête. Qu'est-ce qui se passe, Enzo ? Il y a eu une autre victime ?
– Non, non, le rassure son camarade. »
Arthur le fixe avec perplexité, attendant une explication qui ne vient pas. Enzo pose sur lui un regard indéchiffrable.
« Alors, pourquoi tu m'as réveillé ? demande finalement Arthur.
– Hum, je... je vais dehors.
– Tu vas où ?! s'étrangle Arthur.
– Enfin, dans les couloirs. Je sors des dortoirs.
– Tu es tombé sur la tête ? Le couvre-feu, le détraqueur... tu as oublié, tout ça ? »
Enzo lui fait signe de se taire. Arthur balaie le dortoir du regard ; plusieurs élèves s'agitent dans leur sommeil, comme en proie à des rêves agités. D'autres pourraient tout aussi bien être éveillés et les écouter.
Comme si la même pensée lui avait traversé l'esprit, Enzo fait quelques pas en arrière et fait signe à Arthur de le suivre. Levant les yeux au ciel, le garçon sort de son lit, enfile un pull et des chaussettes, et suit Enzo hors du dortoir. Ils se retrouvent dans la salle commune, déserte à cette heure-ci. Arthur jette un œil à la pendule. Vingt-trois heures cinquante.
« Écoute, Arthur, commence Enzo. Il faut que je sorte d'ici, ça devient beaucoup trop étouffant. Je ne peux plus respirer. »
Arthur le fixe, dubitatif. Enzo semble se rendre compte de ce qu'il vient de dire, car il reste silencieux quelques instants, avant de reprendre :
« Je vais marcher dans les couloirs. Je ne te demande pas de me suivre. Je voulais juste te prévenir, au cas où... au cas où il m'arrivait quelque chose. »
Les deux garçons échangent un long regard silencieux.
« Tu ne peux pas y aller seul, dit finalement Arthur.
– Je...
– Je viens avec toi. »
Enzo lui lance un regard de gratitude. Sans un mot, il ouvre doucement la porte et Arthur la referme derrière eux. Dans le couloir désert, un profond silence règne. Par les fenêtres, la Lune presque pleine reflète sa lumière argentée dans l'école, projetant d'étranges ombres floutées sur le sol de pierre. Les garçons se mettent à marcher sans un bruit dans le labyrinthe de la cathédrale. D'un accord silencieux, ils descendent les escaliers et pénètrent dans la nef. Arrivés en son centre, ils s'arrêtent et balaient l'immense salle du regard. Déserte, elle est encore plus impressionnante. Ils contemplent le plafond voûté, très loin au-dessus de leurs têtes.
Après quelques secondes, Arthur se baisse et s'allonge par terre. La froideur du sol carrelé diffuse un frisson à travers son corps. Enzo l'imite, s'étendant juste à côté de lui, si bien que leurs épaules et leurs bras se touchent.
« Les étoiles me manquent, souffle Enzo.
– À moi aussi. Regarde, on en voit quelques-unes, à travers les vitraux.
– Elles sont si loin... »
Le silence les enveloppe de nouveau. L'immensité de la salle et le faible courant d'air qui y passe pourrait presque leur faire croire, en fermant les yeux, qu'ils sont dehors. Arthur parcourt le plafond du regard, tentant de se rappeler la sensation du ciel au-dessus de lui, sensation qu'il a effleurée quelques instants avec Enzo, une semaine plus tôt, en sortant de l'école. Avoir pu goûter à l'infini du ciel pendant quelques minutes rend son absence encore plus douloureuse.
Émergent de la profondeur de ses pensées, Arthur se rend compte qu'Enzo a tourné son visage vers lui et le fixe. Il tourne la tête pour lui faire face.
« Arthur... tu étais où, avant ?
– Aux États-Unis. En Californie.
– Et tu avais... une famille ? »
Arthur hoche la tête, un pincement au cœur.
« Un père, une mère. Et un petit frère, Danny. On s'adorait, lui et moi.
– Qu'est-ce qui leur est arrivé ?
– Rien. Pour autant que je sache, ils vivent encore en Californie. Ils partent encore en vacances à la mer tous les étés, et au ski tous les hivers.
– Mais pourquoi tu es parti ?
– Je n'ai pas une Particularité facile à cacher. Et là-bas, ils détestent tout ce qui n'est pas... dans la norme. J'étais malheureux, et ça faisait souffrir ma famille. Ils savent que je suis heureux maintenant. »
Enzo hoche la tête.
« Et toi ? demande finalement Arthur.
– Moi ? Je n'avais pas de famille, je n'en ai jamais eu. Je vivais dans les rues de Naples... autant dire que je ne laisse pas grand-chose derrière moi. »
Les garçons échangent un léger sourire. Puis Enzo retourne à la contemplation du plafond, probablement plongé dans d'anciens souvenirs. Arthur observe ses yeux doux, le demi-sourire qui colore son visage, les fossettes qui lui creusent les joues. Il pense à son rire, à sa bonne humeur à toute épreuve, à son charisme. Puis, Arthur pense à lui-même, si pâle en comparaison, si plat, si mal à l'aise en société.
« Enzo ? appelle-t-il finalement. À ton avis, quand est-ce qu'on va... »
Un bruit l'interrompt au milieu de sa phrase. Venus du premier étage, les cris paniqués des engoulevents résonnent.
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