Chapitre 1
A quelques mètres de là, un garçon à peine plus vieux contemple avec étonnement cet étrange dialogue.
« C'est Alexei, lui glisse le jeune homme qui se trouve derrière lui. Et son rat particulier. Alexei parle plus aux rats qu'aux humains.
– Qu'est-ce qu'il lui raconte ?
– Va savoir... »
Le premier garçon se retourne vers son interlocuteur et lui adresse un sourire.
« C'est quoi ton nom ? », demande-t-il en lui tendant la main.
L'autre prend la main qu'il lui offre et la serre.
« Arthur. Et toi ?
– Enzo. Enchanté, Arthur. Tu es là depuis combien de temps ?
– Quatre ans. »
Enzo hausse les sourcils.
« Ca devient pas barbant, à la fin ?
– On ne peut pas dire que ça change beaucoup. Mais Miss Peregrine fait en sorte qu'on se lasse le moins possible. Certains sont là depuis la création de la boucle, il y a presque vingt ans. »
Sur ces mots, Arthur lui désigne l'avant de la salle d'un signe de tête.
« La directrice va parler. »
Nonchalamment assise sur le meuble qui servait autrefois d'autel, Miss Peregrine se racle la gorge. Le silence se fait peu à peu dans la salle tandis que les regards des quelques centaines d'élèves se tournent vers elle. La directrice dégage une autorité naturelle qui fait instinctivement taire même ceux qui ne la connaissent pas encore ; son regard, altier, semble défier quiconque de la contrarier.
« Chers élèves, Particuliers, Particulières. Que vous soyez ici depuis dix-neuf années ou quelques jours, je vous souhaite la bienvenue dans notre école. Hier soir, j'ai renouvelé pour la six mille neuf cent quatre-vingt-neuvième fois la boucle qui nous accueille aujourd'hui. Six mille neuf cent quatre-vingt-neuf fois, le soleil s'est couché sur cette journée du 3 juillet 1348, et six mille neuf cent quatre-vingt-dix fois, il s'est levé sur cette même journée. Mais même si la date reste la même, les jours ont passé, des événements ont eu lieu, des amitiés se sont créées et des choses ont été apprises. Grâce à vous, grâce à vos Ombrunes et grâce à vos professeurs, chaque jour est différent du précédent, et chaque jour nous apprend quelque chose de nouveau. Merci à tous. »
Des applaudissements s'élèvent dans la nef.
« Nos élèves sont répartis entre trois maisons, en fonction de leur Particularité. Les élèves dotés de Particularités morphologiques rejoignent la maison Hawk, dirigée par Miss Hawk. »
La directrice fait signe à une femme vêtue d'un tailleur rose.
« Ceux dont la Particularité concerne les éléments de la nature sont regroupés dans la maison Nightingale. Voici Miss Nightingale. »
Cette dernière, une petite femme corpulente, lève la main en guise de salutation.
« Enfin, les élèves possédant des pouvoirs psychiques sont accueillis dans la maison Raven, dont la dirigeante est Miss Raven. »
La troisième Ombrune salue l'assistance d'un léger signe de tête. Vêtue de noir, elle a attaché ses cheveux sombres en un chignon.
« Cette année commencera comme chaque année se doit de commencer : par l'attribution d'une maison aux nouveaux élèves. Dhelpër, tu peux entrer. »
Un étrange renard à poils blancs fait son entrée d'un pas aérien. Trois majestueuses queues flottent derrière lui. Comme chaque année, Arthur sent un malaise l'envahir à la vue du renard particulier. Et il n'est pas le seul : l'assemblée est maintenant muette, tous les regards fixés sur cet étrange animal. Celui-ci s'arrête devant l'autel et semble sonder chaque élève du regard. Arthur frissonne en voyant son regard se poser sur lui ; ses yeux, noirs, sont sans fond.
« Dhelpër ressent les Particularités. Chaque nouvel élève s'approchera de Dhelpër, qui le touchera d'une de ses queues : celle de droite pour Nightingale, celle du milieu pour Hawk et celle de gauche pour Raven. Le jugement de Dhelpër est péremptoire – l'élève n'a pas son mot à dire. »
Le regard glaçant de Miss Peregrine se pose sur quelqu'un dans l'assistance. Le masque d'assurance de la directrice semble se briser un instant pour laisser place à une expression de surprise ; mais le moment est si fugace qu'Arthur se demande s'il ne l'a pas imaginé.
« Enzo Andreani. »
Arthur se retourne vers son voisin. Un sourire traverse le visage de celui-ci à l'appel de son nom. D'un pas assuré, le jeune homme quitte l'assemblée d'élèves et marche vers l'autel. Lorsqu'il se retourne vers les élèves, son assurance s'est en partie envolée ; le trouble causé par le renard se lit sur son visage.
Arthur est projeté quatre ans en arrière, lorsqu'il était à la place d'Enzo. Il avait senti l'étrange puissance du renard l'envelopper, ses queues s'enrouler autour de son corps et lui enserrer la gorge. Il frissonne encore en se souvenant du malaise qui l'avait envahi alors, et qui ne l'avait quitté que plusieurs heures plus tard. En réalité, le renard n'avait pas bougé ; il avait simplement, au bout d'un instant, déposé sa queue centrale sur l'épaule d'Arthur.
« Hawk », annonce la directrice.
La prise de parole de la directrice, brisant un silence pesant, ramène Arthur à la réalité. Il esquisse un sourire. Le garçon rejoint sa place, et Arthur le contemple discrètement : le visage impassible, Enzo ne laisse rien paraître.
Peu à peu, Arthur décroche. Les nouveaux élèves se succèdent ; la salle reste enveloppée d'un lourd silence. Enfin, Miss Peregrine appelle la dernière nouvelle élève :
« Cali Wolfe. »
Il s'agit d'une petite fille d'une dizaine d'années, vêtue d'une simple robe noire tranchant avec sa peau pâle, presque translucide. La fille s'avance vers Dhelpër ; elle est si mince et frêle qu'elle paraît sur le point de s'envoler à tout instant. Sa chevelure noire et épaisse tombe sur ses épaules en longues mèches frisées.
Quand elle arrive devant l'autel, elle pivote pour faire face au renard. Les yeux noirs de l'animal rencontrent ceux tout aussi noirs de la petite fille, qui paraît le défier du regard. L'altercation s'étend sur de longues secondes pendant lesquelles toute l'assemblée retient son souffle. Enfin, Dhelpër dépose sa queue gauche sur l'épaule de la fille.
« Raven. »
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