2 - La résignation


« Une petite semaine ». C'est ce que l'on m'avait dit à son arrivée à l'hôpital.

- « Et après il pourra rentrer. », m'expliquait le médecin. « Il faut juste que l'on enlève le liquide dans ses poumons. »

- « Son poumon ! », rectifias-je. « Il n'en a plus qu'un. »

A-t-il au moins regardé ses radios ?! Encore un qui se croit encore au-dessus des autres avec sa blouse blanche et son stéthoscope autour du cou. Vu son âge, ça doit faire un bail que son diplôme de médecin est accroché sur le mur de son grand bureau. Depuis, il a dû oublier pas mal de choses, comme lire des PUTAINS de radios !

***

Une semaine est passée, puis deux, puis trois. Et son état n'a fait que se dégrader.
Au bout de 7 jours, il a changé de service. Il a été emmené en soins intensifs. Finies les visites à n'importe quelle heure en y entrant comme dans un moulin. Là, c'était tout autre chose. J'ai dû apprendre un nouveau rituel.

Petit 1 : Attacher mes longs cheveux en chignon
Petit 2 : Me laver les mains au savon
Petit 3 : Recouvrir ma bouche d'un masque
Petit 4 : Habiller ma tête d'une charlotte
Petit 5 : Mettre une blouse sur mes vêtements
Petit 6 : Enfiler des chaussons en papier bleu sur mes converses blanches
Petit 7 : Me badigeonner les mains au gel hydroalcoolique
Petit 8 : Glisser mes longs doigts fins dans des gants transparents légèrement trop petits pour moi

Tout ça était devenu mécanique. Et toujours et toujours les mêmes gestes. La seule chose qui changeait c'étaient les traits de mon visage qui se creusaient de fatigue et de tristesse jour après jour.

Ensuite, je devais appuyer sur une sonnette pour prévenir une des infirmières que j'étais prête. Là je m'asseyais sur une des chaises et attendais. Ça pouvait pendre 5 minutes comme 2h avant qu'elle n'arrive.

Ce n'était jamais la même personne qui se plantait devant moi derrière la porte transparente. D'un geste de la main, elle appuyait de son côté sur un gros bouton, m'ouvrant ainsi le passage.

Ce qui est dingue avec le cerveau humain c'est que c'est une vraie éponge à odeurs et à sons. Même des années plus tard, un parfum à la lavande peut vous faire revenir en enfance au milieu des fleurs dans le jardin de vos grands-parents en Aix-en-Provence.
Et là, à cet instant précis, c'est comme si vous y étiez, un sentiment de bonheur vous enveloppant !

Et bien pour moi, c'est exactement pareil ! À... quelques détails près...
L'odeur de désinfectants et de médicaments mélangée au bip des appareils où la vie des patients ne tient qu'à un fil me ramène toujours au chevet de l'homme de ma vie.

Il était là dans son box. Seul un rideau, une fois tiré autour de son lit, pouvait lui garantir un semblant d'intimité. Il était allongé, sous des couvertures blanches où était inscrit en grand le nom de l'hôpital. Au cas où on aurait oublié où l'on était !

Mais là, ça allait encore, on pouvait se parler. Parce qu'une semaine après, ce n'était plus le cas.

***

- « Mademoiselle, avant de vous accompagner à sa chambre... »

« Son box », rectifiais-je dans ma tête. Une chambre ça a 4 murs et une porte. Là, c'est un pauvre box avec seulement un mur et un rideau de fortune.

« ... il faut que vous sachiez qu'il a passé une mauvaise nuit. Nous avons dû l'intuber. », m'expliquait l'infirmière d'une voix monotone et linéaire.

C'est à ce moment-là que je n'ai plus écouté. Le mot « intuber » résonnait dans ma tête. Je savais que c'était le début de la fin, qu'à partir du moment où ils lui avaient enfoncé un tube dans sa glotte, jamais ils ne l'enlèveraient. Si j'avais su... j'aurais pu faire une belle carrière dans la voyance...

On ne pouvait plus communiquer avec la parole. Il était tout penaud lorsqu'il essayait de produire un son et qu'il se souvenait soudainement qu'il ne pouvait pas. Ça me faisait tellement mal au cœur de le voir comme ça. On voit une personne au top de sa forme et quelques instants plus tard, elle perd quasi toutes ses capacités. Même les plus simples, comme parler. 70 longues années qu'il savait parler et d'un coup, le néant, le silence. Seulement le son des bips de cette machine qui surveille les battements de son cœur.

Nous étions tous les deux impuissants. Lui parce qu'il était enfermé dans son corps malade et moi parce que je ne pouvais rien faire pour l'aider. Mise à part faire la conversation pour deux.

Le lendemain, j'avais eu l'idée de lui ramener un carnet et un crayon. Pas bête ! S'il ne pouvait pas me parler, il pouvait au moins m'écrire ! ... Quelle idiote ! Ne jamais se fier aux apparences... Ce n'est pas parce que ça ne se voit pas que ça n'existe pas.
Il se saisit du stylo BIC et posa la bille sur l'une des feuilles du cahier que j'avais préalablement ouvert devant lui, posé sur une petite table roulante. Mais mon regard se figea lorsque je m'aperçois que son écriture était illisible. Il peinait à tenir son stylo et le peu de force qu'il avait était insuffisante pour appuyer correctement sur cet objet au poids plume. Il laissa tomber le stylo et leva les yeux vers moi. Je me rappellerai toujours du geste qu'il m'a fait. Même aujourd'hui, lorsque je pense à lui les larmes me montent. Il a simplement haussé les épaules. Comme pour me dire : « Désolé, j'en suis incapable. Comment j'ai pu en arriver là ?! » Ce simple geste m'a brisé le cœur. J'avais envie de hurler pour me réveiller de ce cauchemar.

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