II.

La douzième fois, JungKook et TaeHyung sont l'un derrière l'autre dans le bus qui les ramène chez eux. Le plus jeune ne savait pas que TaeHyung habitait trois arrêts avant le sien, mais il suppose que c'est parce qu'ils ont des horaires différents.

Ou peut-être est-il dans le bus le matin ; mais qu'il est trop endormi pour le voir.

TaeHyung descend du car, l'air froid envolant ses cheveux autour son visage. Et le bus redémarre, pourtant JungKook voit le plus vieux relever ses yeux vers lui une dernière fois, et il se retourne sur son siège pour constater qu'il le regarde toujours, sur le trottoir gris.

La nuit, il pense à une silhouette immobile dans le vent d'une route.

La treizième fois qu'ils se voient, ils sont assis à côté. La nuit s'étend encore sur la campagne endormie que le car traverse, et quand ils regagnent la grande ville illuminée par des lampadaires, les lumières s'étendent en filaments colorés sur le fleuve. Lorsque le bus arrive devant le lycée aux salles éteintes, un écouteur est partagé et des musiques se diffusent dans leurs oreilles.

Parfois, JungKook remue doucement les lèvres et tapote sur ses cuisses le rythme d'une musique.

La main de TaeHyung effleure quelques fois la peau de sa paume ; douce chaleur et peau pâle.
Ils attendent ensemble que les grilles s'ouvrent en jetant à l'autre des regards qu'ils croient discrets, puis leurs amis arrivent et la cohue amène le bruit amer des adolescents exaltés. Et les cours reprennent, et les professeurs débitent, et le temps s'accélère, et des ombres rôdent dans les couloirs, et des gens crient, et des gens se taisent, et des gens rient, et JungKook retrouve TaeHyung dans la file de la cantine.
Les coups d'œil qu'ils se lancent ne sont pas plus francs que ceux du matin, mais ils ont conscience que l'autre les voit.

Ca ne les arrête pas.

Ca ne les arrête plus.

JungKook ne mangera qu'une pomme, ce midi.

La quatorzième fois, c'est JungKook qui fait signe à TaeHyung de s'asseoir à côté de lui, dans un bus encore un peu vide. Pourtant, le plus âgé obéit, et voilà qu'ils s'observent dans le reflet de la vitre embuée ; regards fuyants et pincements de lèvres.
Ils écoutent des musiques pas vraiment connues mais quand même belles, et leurs mains se frôlent encore.
Un peu plus franchement.
Un peu plus fort.
Un peu moins par hasard.
Des sourires flottent sur leurs visages fatigués.

La quinzième fois, ils jouent ensemble en cours de sport. JungKook n'est pas vraiment bon, alors même si TaeHyung rattrape toutes les passes qu'il peut en riant, le plus jeune croit voir de l'exaspération dans ses yeux.
Il sortira du gymnase sans joie, juste une mélancolie triste qui embue lentement ses yeux.
JungKook inspirera trois fois l'air pollué devant le bâtiment.
Et rejoindra ses amis, comme s'il ne s'était rien passé.
Sans se douter que devant la porte, TaeHyung avait retenu son souffle pour qu'il ne l'entende pas.

La seizième fois, TaeHyung commence à comprendre.
Il a remarqué toutes les fois où les yeux de JungKook s'envolent vers le ciel quand il passe devant une vitre ou un miroir, ses regards écœurés sur son corps, la façon dont ses épaules s'affaissent après les cours de sport, et ses repas minuscules au self.
Alors il lui demande, un matin où le bus est presque vide :
- Est-ce que tu aimes ton corps ?
JungKook ne répondra que par un sourire triste.
Alors TaeHyung prendra sa main dans la sienne, en la serrant pas assez fort pour que ce soit douloureux, mais un peu trop pour que leurs chaleurs se mélangent dans leurs doigts.
Le plus jeune arrêtera de sourire, et TaeHyung préférera, car l'autre écrasait son cœur de tristesse.

La dix-septième fois, TaeHyung traine JungKook derrière le lycée. Il le suit docilement, sa main un peu serrée dans la sienne, et ses pieds trainant sur les herbes courtes.
Quand TaeHyung s'est assuré qu'ils sont seuls près des bancs de bois usés, il se rapproche de lui et pose doucement sa main volatile sur son épaule. Sa voix résonne un peu, alors il la baisse jusqu'à ce que JungKook soit obligé de s'avancer pour saisir tous ses mots :
- Je vais t'aider, JungKook. Je vais te faire aimer ton corps. Je sais pas comment, mais je sais que je ferai tout pour voir un vrai sourire, pas la pâle copie, sur ton visage et que tu regardes enfin ton reflet.
- T'as pas besoin de faire ça, tu sais.
Les mots de JungKook sont bas, pourtant ils frappent TaeHyung. Alors, il répond aussi vite, une résolution nouvelle dans la voix :
- J'en ai envie.
JungKook ne répond pas, mais TaeHyung entend le reniflement qu'il tente d'étouffer contre sa main. Et il lâche tout, tout ce qu'il retenait, tout ce qu'il pense et tout ce qu'il croit.
- Parce que comprend bien une chose, JungKook. Tu me plais, tu me plais, tu me plais. Même si tu ne te trouves pas beau, même si tu ne t'aimes pas, même si tu te trouves toutes les raisons du monde pour t'imaginer laid, sache que tu me plais, tellement ; et que tu es beau, comme le soleil. Hypnotisant comme la Lune et fantastique comme les étoiles. Alors tu vas m'écouter quand je te dis que t'es beau, même si t'y crois pas dans l'immédiat.
Et JungKook éclate en sanglots, les larmes dévalant son visage crispé qui est étouffé par les bras de TaeHyung. Il le serre contre lui, agrippant son dos et entourant son visage de ses paumes chaudes. Il essuie les gouttes salées qui dévalent ses joues, puis caresse doucement ses cheveux emmêlés.

JungKook relève la tête.

Le Soleil est voilé par un nuage bas.

Et leur baiser a un goût de larmes
qui glissent jusqu'à leurs langues collées.

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