22. Voler au dessus de mes problèmes


J'ouvris les yeux d'un coup et, aveuglée par la lumière encore vive, je dus les refermer quelques secondes pour m'y habituer. Je me redressais et tournais ma tête de chaque côté pour la dénouer. Je dus réfléchir quelques minutes avant de me rappeler où je me trouvais. J'étais dans l'autocar dans lequel j'étais monté il y a quoi ... Une demi-heure ? Une heure ? Deux ? Pas beaucoup plus vu qu'il faisait encore jour. Aucune idée mais je m'en fichais. J'étais partie. J'avais quitté ce fichu Village et je roulais vers l'aéroport qui m'emmènerait vers ma nouvelle vie. Je jetais un petit coup d'œil au chauffeur respirant l'amabilité à plein nez, occupé à regarder la route. Il valait mieux pas lui indiquer que j'étais réveillée ... Je fouillais le véhicule des yeux, repérant Paul qui ronflait doucement quelques rangs devant moi. Je n'apercevais que la capuche rouge du Chaperon. J'étais la première réveillée, apparemment. Tant mieux ! Je n'aurais pas à faire la discussion avec quelqu'un...

Je soupirais et m'appuyais contre la fenêtre pour regarder le paysage défilé. Aussitôt, mon cœur s'emballa et un sourire naquit sur mes lèvres. Nous étions en ville ! Je veux dire : une vraie ville ! Sans Clôture ni villageois ! Une ville comme on le voyait dans les films ! Aussi émerveillée et excitée qu'une gamine, je collais mon nez aux vitres teintées. J'écarquillais les yeux, choquée par le nombre de maisons et d'immeubles identiques qui se faisaient face de chaque côté de l'autocar.  Ces derniers semblaient se faire la compétition de celui qui serait le plus près du ciel. C'était intimidant, tous ce béton gris et noir ! Et que dire de ces citadins ? Ils marchaient, faisaient du vélos ou de la moto en slalomant entre les voitures qui roulaient dangereusement vite !  Je n'aurais pas aimé me trouver sur les trottoirs bétonnés près de ces routes... Je frissonnais, saisie par un brutal mal du pays. Malgré le fait que ce soit la première fois que je me trouvais dans une vraie ville, je doutais que cet environnement me convienne... Il n'y avait pas de végétation, à part de pauvres arbres rabougris enfermés dans des sortes de cages ! C'était trop... Urbain pour moi. Je priais pour que l'endroit où j'allais vivre pendant la prochaine année de ma vie soit dans un endroit plus rural...

- Tu es déjà réveillée, toi !? s'écria une voix grave avec agacement.

Je sursautais avant de fusiller le chauffeur du regard. Il me guettait par dessus son épaule, une grimace sur le visage. A moins que ce soit un sourire ? Je me redressais avec défi et lui jetais :

- Vous allez encore me droguer, peut-être ?

- Et bien ça aurait été avec plaisir ! Mais je ne dois pas arrêter de rouler avant d'être arrivé.

Je lui offris un sourire satisfait avant d'être piquée par ma curiosité. Arrivé à l'aéroport. Mais à l'aéroport de quelle ville ? Où étions-nous ? Combien de temps avions-nous roulés ? Ignorant son œillade menaçante, je me levais et chancelais dans l'allée pour rejoindre les premiers sièges. Paul et le Chaperon dormaient encore paisiblement alors j'en concluais que je m'étais réveillée plus tôt que prévu. Je me laissais tomber à proximité du chauffeur qui grommela alors que je le questionnais :

- Où sommes-nous ?

- Tu n'as pas à le savoir ! Je n'ai pas le droit de le dire.

- Techniquement, tu n'as pas droit de nous dire où ce trouve notre Village avant l'année prochaine... Pas où est l'aéroport ! tentais-je en plissant les yeux.

Il ne répondit pas et je me mis à réfléchir à un moyen de l'amadouer. Il n'avait clairement pas envie de me parler et ça pouvait peut-être jouer en ma faveur. J'allais le menacer de lui parler jusqu'à ce que nous soyons arrivés lorsqu'il s'écria :

- Nous sommes arrivés de toute façon alors tais-toi maintenant !

Il tourna brusquement sur la droite et je manquais de tomber les quatre fers en l'air. Je me rattrapais de justesse et regardais à travers la vitre, impatiente. Nous roulions désormais sur une route moins fréquentée vers un énorme bâtiment en acier et en verre. Au dessus, écrit en grosses lettres blanches, on pouvait lire : Orly. Je fouillais dans ma poche pour chercher mon portable, avant de me rappeler que nous avions eu l'ordre de le laisser chez nous. Je demandais :

- C'est la ville d'Orly ?

- Bien sûr que non ! se moqua-t'il. C'est le nom de l'aéroport. Nous sommes à Paris.

Paris. Cette ville que je voulais à tout prix visitée. Je voulais voir la Tour Eiffel et tous les musées d'arts possibles. Comme une idiote, je me mis à chercher la fameuse tour qui n'était évidemment pas visible. Le chauffeur éclata de son rire rauque et grinçant et je me rassis sur mon siège, un peu vexée. Ce n'était tout de même pas ma faute si je n'étais jamais sortie du Village ! Je me tus, accaparée par la vue de la grande piste d'atterrissage où patientaient des avions énormes. Le Colosse me jeta :

- T'inquiète pas, la miss. Vous ne monterez pas dans ces avions.

- Ah bon ? m'étonnais-je, agacée de ne rien savoir.

- Ouais. Vous aurez votre propre Jet, bandes de chanceux !

Un Jet Privé !? Sérieusement ? N'y croyant pas mes oreilles, je gardais cependant le silence, n'ayant absolument pas envie d'entendre une autre de ses moqueries. Il se gara sur un petit parking à l'écart des autres, face à un garage. Il sauta de son siège et me pointa d'un doigt menaçant en ordonnant :

- Toi, pas bouger ! Tu devrais dormir, normalement, alors restes-là bien gentiment, ok !?

J'acquiesçais d'un geste de la tête, non sans lui avoir jeter un regard noir. Décidemment, il n'aimait pas les jeunes, celui-là ! De toute façon, où est-ce qu'il voulait que j'aille sans connaître cette ville que je savais immense !? J'hésitais par contre à réveiller les deux autres. Mais à bien y réfléchir, je voulais profiter du silence et de la vue. Le Colosse, que j'avais oublié être aussi imposant, revint en pestant :

- Et merde ! Normalement, je devais juste vous jeter dans le Jet et m'envoler sans passer par la case papiers ! Sauf qu'il y a eu un problème et qu'on va devoir entrer dans l'aéroport même... Enfin, je vais devoir y aller ! Toi, tu restes avec les autres.

- Non ! m'écriais-je en bondissant de mon siège.

Il était hors de question que je loupe l'occasion de voir à quoi ressemblait véritablement l'Extérieur, même si ce n'était pour le moment qu'un aéroport ! Je n'avais jamais côtoyer autant de gens de toute ma vie et il était temps que je me jette à l'eau ! On se dévisageait en silence, moi bouillonnant d'impatience et lui, un sourcil levé en pleine réflexion. Je m'attendais à tout moment à ce qu'il me fasse avaler de force l'une de ses pilules pour m'empêcher de le suivre. Je tentais de métriser mon excitation en tapotant nerveusement mes ongles sur mes dents, ce qui me valut une œillade méprisante de sa part. Mais à plus grand étonnement, il leva les bras en poussant un cri agacé avant de s'écrier :

- Bon ok ! Tu peux venir avec moi ! Mais tu restes derrière moi et pas question de filer, ok ?

- Ok ! répondis-je en souriant de toutes mes dents.

Il poussa un profond soupir avant de sortir du véhicule, moi sur les talons. Je le suivis jusqu'au grand bâtiment, incapable de me comporter autrement que comme une enfant. Je regardais de tous les côtés, grimaçant face aux bruits des avions qui me vrillait les tympans. Lorsque le Colosse poussa la porte vitrée de l'aéroport, je me figeais. Des citations attendaient leurs vols, assis sur des banquettes ou debout, discutant ou râlant, lisant des journaux ou fixant leurs téléphones. Je les observais, ayant surement l'air d'une psychopathe. Je n'y pouvais rien, j'avais tellement attendu ce moment ! Ces gens n'étaient pas comme moi, et le savoir les rendaient plus intéressant encore. Ils n'avaient jamais vécus enfermés toute leurs vies dans un Village clos, devant suivre des lois idiotes à la lettre, acceptant que ce soit d'autres qui gère votre destin. Je les enviais, ces gens.

- Hé, la miss ! s'impatienta le chauffeur qui marchait à grands pas vers l'accueil.

Je le rejoignis aussitôt, sans cesser de sourire. Il me jeta un regard ahuri avant de se mettre à parler avec une hôtesse. Je fus incapable de suivre leur discussion. Je prenais peu à peu conscience que je m'apprêtais à monter dans le Jet qui allait me guider jusqu'à mon nouveau chez moi ! Je regardais le chauffeur tendre des papiers d'identité et un laissé passé à la jeune femme qui me regardait avec amusement. Et oui, même à dix-sept ans on a le droit d'être hystérique ! Non ? Je lui offris un grand sourire. Je ne savais pas moi-même d'où me venait toute cette bonne humeur. Sans doute de ce départ imminent. Le Chauffeur récupéra nos papiers ainsi que nos billets avant de m'entrainer vers une porte secondaire, éloignée des autres. Je demandais :

- Où vas-t'on ?

- Au Jet.

- Et les autres ?

- Ils y sont déjà. Allez, dépêches-toi ! J'ai hâte de me débarrasser de toi une fois pour toutes !

Je me mordis la langue pour ne pas éclater de rire face à son air faussement énervé. Au fond, je pensais que je l'amusais et qu'il ne devait pas rire souvent. On sortit dans un grand garage et il m'entraina vers un petit avion blanc avec marquer en grosses lettres : Signore della Guerra. Je jetais un coup d'œil au chauffeur qui poussa un soupir affligé en traduisant :

- Le Seigneur de la Guerre. C'est mon avion.

- Vous êtes pilote ?

- Ouais. Pour la Papesse du NeoVatican.

- Oh.

- Allez, en route !

Il m'ouvrit la porte et déroula des escaliers en métal. Je grimpais à l'intérieur, poussée par ma curiosité et mon envie croissante de me trouver au dessus des nuages. Le Jet semblait plus petit vu de l'intérieur. Les sièges étaient blancs et classes et il y avait des rangements en bois noir. Je retrouvais Paul qui me fit un petit signe de la main, l'air de sortir de son lit. Le Chaperon s'était déjà rendormie non loin. Je m'assis devant eux et le Colosse m'ordonna de m'attacher. Il s'installa aux commandes et fit de nombreux réglages. Sa voix résonna alors, amplifiée par sa radio :

- Le Seigneur de la Guerre est prêt à décoller. Attachez vos ceintures. Nous arriverons au coucher du soleil.

Je hochais la tête en sachant qu'il ne pouvait pas me voir, et me rapprochait de la fenêtre. Le Jet sortit du garage et s'engagea sur la piste. Il roula de plus en plus vite alors que les battements de mon cœur s'emballaient. L'avion tremblait et je pouvais entendre le moteur gronder. Je voyais la route et la ville défiler à toute vitesse maintenant. Lorsqu'il décolla, mon cœur fit un bond et je fermais les yeux. Quelques minutes plus tard, une fois que j'eus récupéré mon estomac, je regardais à nouveau par le hublot. La ville s'éloignait de plus en plus. Un grand sourire naquit sur mes lèvres et je murmurais pour moi-même :

- C'est bon, c'est partis...

Je me mis à l'aise sans cesser de sourire. J'avais l'impression de flotter sur un nuage et je priais pour conserver ce sourire béat le plus longtemps possible. J'avais hâte de commencer cette vie qui m'ouvrait les bras. Cette vie bien au dessus de tous les problèmes que j'avais pu rencontrer jusqu'à présent !


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