1. Moi et mon univers.
Le vent souffle fort et fait craquer les branches des arbres au-dessus de ma tête. Je tremble. Pourtant je n'ai pas froid. Non, ce n'est pas ça. J'ai peur. Je regarde partout autour de moi, sentant une présence à mes côtés. Je ne saurais dire si elle est proche ou lointaine, mais je la sens. Et elle me veut du mal, je le sais. Comment je le sais ? Aucune idée, mais le moindre poil de mon corps s'hérisse. Mon cœur bat à se rompre et je sursaute dès qu'un bruit vint rompre le silence de mort de la forêt. Car il n'y a aucun bruit. Les animaux nocturnes semblent s'être cachés. Même les arbres grincent sourdement, comme s'il craignait que la foudre ne les frappe. Un grondement rauque brise alors l'assourdissant silence et mon sang se glace dans mes veines. Je lève lentement les yeux alors qu'il se rapproche. Et je le vis. Debout devant moi. Je vois ses yeux rouges qui semblent sonder mon âme à la recherche de ma faiblesse. Mais il ne la trouvera pas. Car ma faiblesse, c'est lui.
- Moïra, tu es réveillée ?
Je me réveillais en sursaut, haletante et trempée de sueur. Pantelante, je me laissais retomber sur mon lit. Encore ce même cauchemar. Celui que je faisais certaines nuits. Plus précisément les nuits de pleines lunes. Mais ce n'était qu'un mauvais rêve. Je me répétais ces quelques mots en essayant de calmer les battements effrénés de mon cœur.
- Moïra ?
Je soupirai, soulagée. Si ma grand-mère était là, je pouvais être sûre que je ne rêvais plus. Je me levais en répondant :
- Oui, Grand-mère !
Ma voix était éraillée. Avais-je crié, cette fois ? Je savais que ça m'arrivait quelques fois, quand le cauchemar devenait trop réel. Ce dernier commençait déjà à disparaître, comme tous les matins. Je m'étirais en grimaçant, sentant les courbatures de la veille me tendre les muscles. J'enfilais un pantalon et un tee-shirt noir ainsi. Je descendis en vitesse les escaliers de la petite maison où j'habitais avec ma grand-mère. Je la trouvais comme toujours dans la cuisine, où régnait une bonne odeur de pain chaud.
- Bonjour, ma chérie. Tu as bien dormis ?
- Oui, ça peut aller.
La petite femme se tourna vers moi et me dévisagea par dessus ses lunettes, dubitative. C'était impossible pour moi de cacher quelque chose à ma grand-mère. Mais je ne voulais pas l'inquiéter. Je me penchais pour déposer un baiser sur sa joue en affirmant :
- T'inquiète pas, Grand-mère. Ce n'était qu'un cauchemar.
- Bon, manges. Les soucis partent toujours lorsqu'on n'y pense pas.
- Merci, Grand-mère.
Je m'installais à table et dévorais une miche de pain encore chaude et tendre. Je souris aussitôt, rassérénée. Voilà pourquoi j'aimais autant ma Grand-mère. Lorsque je me levais après une mauvaise nuit, du bon pain m'attendait toujours, accompagné d'un sourire affectueux. La vieille femme me regarda manger en silence, s'assurant une dernière fois que j'allais bien.
- Tu ne stresses pas trop pour demain ?
La simple évocation de la journée du lendemain me serra l'estomac. Demain, je passais l'Epreuve. Cette Epreuve essentielle et obligatoire qui clôturait mon enseignement. Comme celui que les citadins passaient à la fin du lycée, l'Epreuve démontrait si vous aviez toutes les capacités nécessaires à votre avenir. Ou non. Mais il était un peu différent d'un diplôme normal, car c'était notre destin qu'il contrôlait. Par ce test, nous saurions si nous pourrions ou non quitter le Village et voir le Monde. Moi, je voulais partir. J'avais mes raisons et tous les connaissais. Je vis alors le regard de ma grand-mère s'assombrir et elle soupira :
- Tu peux encore changer d'avis, tu sais...
- Je sais, Grand-mère. Mais je ne le ferais pas.
- Pourquoi est-ce que cela m'étonnerait si c'était le cas !? s'écria-t'elle en levant les yeux au ciel.
Je lui répondis par un sourire taquin et elle soupira derechef. Elle ajouta, les yeux brillants d'une fierté à peine contenue :
- Tu es aussi têtue et déterminée que ta mère.
Une boule se forma dans ma gorge, comme à chaque fois qu'on évoquait mes parents. Ma grand-mère m'ouvrit ses bras et je m'y réfugiais avec soulagement. Elle me serra en me berçant doucement, comme lorsque j'étais enfant. Ce simple contact suffisait généralement à me rassurer. Mais aujourd'hui, je stressais pour l'Examen. Car je savais que si je le ratais, je devrais rester ici jusqu'à avoir une deuxième chance de le passer. Je savais aussi que je n'aurais pas cette deuxième chance, peu l'avait. Je devais vraiment réussir. Je m'arrachais aux bras de ma Grand-mère à contrecœur. Je repoussais toutes mes craintes et lançais en souriant :
- Je compte bien profiter de cette journée pour m'améliorer encore !
- Tu vas encore t'entraîner ? s'étonna la vieille femme. Tu ne crois pas que tu l'as assez fais pendant trois ans ? Depuis que tu as décidé ce que tu voulais être plus tard, tu n'arrêtes pas de le faire. Ce n'est pas en y ajoutant encore une journée que ça fera la différence.
Je savais qu'elle avait raison. Elle avait toujours raison ! Je souris, ressentant un élan d'amour pour celle qui avait été mon plus grand soutien toute ma vie. Je hochais la tête :
- Tu as raison... Je vais plutôt aller voir Ambre.
- Vas donc faire ça ! Mais reviens pour le dîner. Je fais ton plat préféré : un bon steak avec des frites !
- Merci Grand-mère ! riais-je.
Je l'embrassais rapidement avant d'attraper mon sac et de quitter la maison. Nous habitions dans une petite bâtisse, un peu à l'écart du reste du Village. Grand-mère avait préférée s'installer en bordure de forêt, malgré les risques. Et je l'en remerciais chaque jours. Car, en sortant de la maison, je pus fermer les yeux et respirer profondément les odeurs familières. La forêt me rassurait bien plus encore que la chaleur d'un bon feu. J'aimais m'y réfugier lorsque je doutais. Escalader un arbre et m'assoir sur une branche pour m'y sentir en sécurité. Je me forçais à me détourner du bois pour me tourner vers le Village. Les maisons s'alignaient, rangées dans un ordre parfait. Exactement comme tous les villageois qui y vivaient. Nous vivions tous selon des règles strictes et précises. Nous devions suivre les Traditions. Je marchais machinalement dans les rues, en regardant mes pieds. Je préférais fixer le sol plutôt que de risquer de devoir engager la conversation avec quelqu'un. Mais parfois, quelqu'un m'adressait tout de même la parole, à mon plus grand désespoir. Comme aujourd'hui. Je sentis la présence étouffante de Lukas, un garçon de ma classe, avant même de le voir. Il me lança d'une voix joyeuse :
- Salut, Momo ! Tu fais une petite balade pour déstresser ?
Je me crispais en l'entendant m'appeler ainsi. Peu osait le faire car c'étaient comme ça que m'appelaient mes parents ainsi qu'Ambre. Je serrais les dents et levais les yeux. Lukas me regardait en souriant, l'air d'un idiot. Je savais qu'il était gentil et qu'il voulait apprendre à me connaître, comme beaucoup de personnes de ma classe. Mais je n'aimais pas parler aux gens, surtout quand je n'avais rien à leur dire. J'aimais mon petit monde qui se résumait à ma grand-mère et à Ambre. Les entrainements prenaient aussi une place énorme.
- Tu ne stresses pas pour demain ? insista-t'il en glissant sa main dans ses cheveux châtains.
- Bien sûr que si ! répondis-je en essayant de paraître détachée.
Tous le monde stressait pour l'Epreuve. Ou alors, il fallait vraiment être sûr de l'avoir ... Mais ce n'était pas mon cas, malheureusement. Et je savais que ce n'était pas le cas de Lukas non plus. Tout simplement parce que j'étais sûre qu'il n'avait pas révisé pour ! Sans plus attendre, j'agitais rapidement la main et continuais ma route. Je n'avais pas envie d'en parler. C'était trop important pour que j'en parle comme s'il s'agissait d'un simple test ! Je voulais à tout prix le réussir. Je voulais obtenir le droit de quitter le Village. Et pas dans n'importe quelle condition.
Il y avait deux catégories de personnes ayant le droit de quitter le Village. Tout d'abord, il y avait les Chaperons. Ils étaient nos messagers, ceux qui transportaient des messages pour les Mères-Grands, partout dans le monde. Et il y avait les Chasseurs. Ceux qui suivaient les Chaperons et les protégeaient contre les Loups. Ceux qui savaient se battre et étaient en mesure de défendre les autres. Chaque Chaperon avait son Chasseur et ils travaillaient en binôme.
Et moi, que voulais-je être ? La question ne se posait plus depuis des années. Je détestais l'idée d'être vulnérable. Je détestais l'idée qu'on doive se battre pour moi. Moi, je voulais me battre pour mes convictions et pour la sécurité des miens. Moi, je voulais être une Chasseresse.
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