IV. Tempête
PDV Danielle
Mon sommeil a été agité. Je me réveille par une pression sur mon épaule. C'est Newt. Penché au dessus de moi, il a l'air en pleine forme.
- Allez la bleue ! On se lève !
Est-ce qu'il est toujours d'aussi bonne humeur ? Je m'exécute en grognant et lui emboite le pas. Tout le Bloc est encore plongé dans un sommeil profond. L'air est très matinal, il ne doit être que dans les environs de cinq ou six heures du matin. Newt me guide jusqu'aux murs du labyrinthe, boitillant tout en marchant. Cela me fait froncer les sourcils. J'ai déjà remarqué que sa démarche était quelque peu défectueuse. Qu'est-ce qu'il a, au juste ? Curieuse comme je suis, je lui pose la question. Il s'arrête soudain pendant quelques secondes. Comme je suis derrière lui, je ne peux pas voir son expression, mais j'ai l'impression que ses bras se contractent et ses épaules se raidissent, comme sous l'effet d'un souvenir douloureux. Je n'aurais peut-être pas dû lui demander. Après quelques instants, il continue à avancer et déclare d'un ton beaucoup moins enthousiaste.
- J'étais un coureur avant. Attaque de griffeur, j'ai réussi à m'en sortir mais de justesse, marmonne-t-il.
Je hausse un sourcil. Son ton est tout sauf convainquant et j'ai reconnu quelques signes corporels du mensonge. Mais je n'insiste pas plus que ça. Surement parce que je sens que c'est douloureux et aussi... parce que ça ne m'intéresse pas tant que ça, en fait. Avoir une jambe boiteuse dans cet endroit doit être un désavantage, mais il semble s'en accommoder. On arrive devant un mur où Alby nous attend. Il ne m'a presque rien dit hier, et très honnêtement ça me va. Bras croisés, il tient une dague à la main. Il me la tend en silence en désignant la façade. Plusieurs noms y sont marqués, certains sont barrés. Il ne m'en faut pas plus pour comprendre.
- Sérieux les gars ? soufflai-je. Se lever à pas d'heure pour marquer son nom sur un mur ? On ne peut pas faire ça l'après-midi ?
Alby souffle bruyamment, exaspéré.
- Bon, tu sais ce que t'as à faire, lance-t-il en direction de Newt, avant de s'éloigner à grands pas.
Je le suis des yeux un moment avec un regard blasé, avant de me retourner vers le blond.
- Est-il toujours aussi charmant ?
- Alby n'est plus lui-même depuis qu'il s'est fait piqué. Auparavant, il aurait été bien plus commode.
- Les piqures de Griffeurs... Thomas m'en a un peu parlé, hier. Il parait que ça vous permet de vous souvenir de votre vie d'avant ?
- Plus ou moins. Les personnes à qui c'est arrivé refusent d'en parler, mais on a appris deux trois trucs. Apparemment, c'est plus de vagues flashs que de vrais souvenirs, et c'est surtout très douloureux. Bref, rien qui nous permettrait d'avancer dans les recherches de la sortie.
Dommage. Je me demande comment ce fameux leader s'est débrouillé pour se faire piquer. Mais pressentant que j'aurais pas mal de questions à poser par la suite, je n'insiste pas avec celle-ci, que je juge assez inutile. Me tournant vers le mur, Newt m'explique que c'est une habitude pour chacun des blocards d'inscrire son nom. Une sorte de tradition locale... ces gens forment vraiment une communauté.
Les prénoms barrés appartiennent aux personnes mortes. Assez surprenant quand même : tu meurs, on barre ton nom. Sympa. Mais je suppose que c'est ce qu'il y a de plus facile à graver. Je marque mon nom également, ce qui, entre nous, est relativement compliqué. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais graver de la pierre demande sacrément de force et de précision dans les mains. Moi, j'en ai surtout aux bras, à force de pratiquer le tir à l'arc. Et puis, tirer n'est pas la même chose que sculpter !
Newt se retrouve carrément obligé de me filer un coup de main. Après quoi, nous commençons à faire le tour du Bloc, pendant qu'il m'en décrit les différentes parties. Il y a les champs où travaillent les sarcleurs. Les trancheurs s'occupent dans l'abattoir et l'enclos. Contrairement à ce que leur nom pourrait faire croire, ils ont la charge de tout ce qui concerne le bétail. Plus loin, on a les douches et les toilettes et encore plus loin, la Ferme. Elle contient une cuisine, où les cuistots préparent les repas et le réfectoire. Il y a même quelques chambres secondaires. L'infirmerie se trouve dans un autre coin et est plutôt petite, et il n'y a que deux medjacks. Les torcheurs ont la tâche de nettoyer et entretenir tous ces bâtiments pendant que les bâtisseurs les renouvellent et réparent en cas de besoin.
Selon mon guide, je vais devoir essayer chacun de ces boulots pour déterminer lequel sera le mien. C'est vraiment impressionnant. La plus part de ces garçons doivent être moins âgés que moi (j'ai dix-sept ans, bientôt dix-huit), et pourtant ils ont réussi à bâtir toute une communauté dans un environnement de pression. Tout le monde n'y serait pas arrivé. Je comprends pourquoi WICKED expérimente sur eux.
Newt me conduit jusqu'au réfectoire et je me rends compte que je me suis trompée. Tout le Bloc n'était pas endormi : devant moi, une dizaine de garçons environ engloutissent en vitesse des petits-déjeuners légers, tout en préparant des sacs à dos et en ajustant leurs sangles. Je comprends bien vite qu'il s'agit des coureurs. Mon regard va immédiatement, comme vous en pouvez vous en douter, sur Minho. Ce dernier relève la tête à notre arrivée. Il s'approche en souriant de Newt et échange avec lui une tape dans la main et des saluts. Mal à l'aise, je détourne le regard et réfléchis pendant ce temps. Comment vais-je faire pour entrer en contact avec l'extérieur ? Si seulement j'avais au moins un téléphone ou quelque chose qui capterait le réseau... Je me demande si on peut trouver de ces trucs-là dans le labyrinthe ? Je considère un moment l'idée avant de la rejeter. Ça m'étonnerait. De toute façon, Alby ne me laisserait sans doute jamais y mettre les pieds et pas question que j'aille toute seule. Je n'ai pas envie de me perdre. Pour l'instant, je dois surtout m'intégrer dans cet endroit, en comprendre le mode de fonctionnement et tourner cela à mon avantage. Un peu comme si j'étais en mission d'infiltration. Ce que les cours d'espionnage me manquent... si je n'étais pas destinée à devenir impératrice, j'aurais directement voulut rejoindre les services secrets.
- Princesse ?
Je sursaute violemment. Newt et Minho me regardent fixement, ce dernier hausse un sourcil dans cet air moqueur que je lui connais si bien. J'étais tellement plongée dans mes pensées que je n'ai pas remarqué qu'ils me parlaient. Je rougis un peu. Minho n'en semble que plus amusé et n'hésite pas à me taquiner encore plus, ce bâtard :
- Eh bien, t'es enfin parmi nous ! On te cause depuis tout à l'heure, j'ai dû passer par vingt surnoms différents au moins avant que tu ne m'entendes enfin !
- Certains étaient même d'ailleurs très ridicules, intervient Newt en souriant en coin. Je suis certain que tu ne veux pas les connaitre.
- Non, en effet. Désolée, j'étais juste en train de... peut importe. Vous me parliez ?
- Oh, rien d'important, réplique l'asiatique en haussant les épaules. Tu n'as pas beaucoup parlé hier soir et t'avais l'air bizarre, je voulais juste savoir si ça allait.
Alors, il a remarqué ? Malgré le fait qu'il ne se souvienne plus de moi ? Un sentiment de joie se répand en moi, que je réprime très vite cependant. Allons, inutile de s'emballer. Minho a toujours été assez observateur, ça ne signifie rien. Et même si c'était le cas, ça ne change absolument rien : il ne sait plus qui je suis. Il ne sait pas que je suis... étais sa meilleure amie. Et tant que je ne trouverai pas un moyen de le sortir de là, mieux vaut rester éloignés. Ça vaut mieux, autant pour lui que pour moi.
- Oui, ça va très bien, lâchai-je d'une voix dénuée d'émotions. Je suis juste encore un peu perdue.
- Il y a de quoi ! plaisanta Newt. Ne t'en fais pas, c'est toujours dur les premiers jours. Tu t'habitueras, et on est avec toi ! T'es une blocarde, maintenant !
Je souris sans réelle joie à ses paroles. Du coin de l'œil, je vois Minho me fixer suspicieusement. Pitié, qu'il n'ait pas remarqué mes états d'âme... Ma mère me répète sans cesse qu'un membre de la royauté doit toujours savoir maitriser ses émotions, et j'y arrive plutôt bien. Mais Minho a toujours su lire en moi comme un livre ouvert.
Sentant une vibration dans le sol, je comprends que les portes ne vont pas tarder à s'ouvrir.
- Eh bien, lançai-je au maton des coureurs, bonne chance pour cette journée.
- Merci. Soyez prudents, lance-t-il alors qu'effectivement, un son sourd retentit et que les portes commencent à s'ouvrir.
Newt grimace sous le bruit tout en fronçant les sourcils en direction de Minho.
- Pourquoi être prudents ?
- J'en sais rien, j'ai un mauvais pressentiment, lance nonchalamment ce dernier tout en s'élançant vers le labyrinthe, suivi des autres coureurs.
Je les regarde partir avec un léger pincement au cœur. Une voix derrière moi me fait me retourner. Une jeune fille arrive vers nous. Ses cheveux de jais cascadent sur ses épaules et ses yeux bleus de glace ressortent sur sa peau pale. Teresa, la seule fille avec moi. Je lui ai un peu parlé, hier. Plutôt sympa, mais assez réservée et très calme. Rien de quoi se méfier, en gros. Quoique, son arrivée est assez étrange. Selon les dires des blocards, elle se serait réveillée en sursaut en prononçant le nom de Thomas, mais elle affirme ne se souvenir de rien.
Je réfléchirai aussi à cette histoire. En attendant, je salue poliment Teresa, qui me rend la pareille à moi et à Newt.
- C'est dommage, dit celui-ci. Tu as manqué Thomas.
Une petite lueur de déception s'allume dans ses yeux, avant qu'elle ne hausse les épaules.
- Ça va, je le verrai ce soir.
Son ton est tout de même déçu. Je hausse un sourcil, amusée. Hier soir, j'ai bien vu que ces deux là ne se quittaient pas. Relation amicale très forte ou un peu plus ? Newt se penche vers moi et répond sans le savoir à mes questions silencieuses :
- Thomas et elle affirment qu'il n'y a rien entre eux, chuchote-t-il sur un ton de confidence, mais si tu veux mon avis, ils ont clairement l'air proche.
Un sourire étire mes lèvres. Je suppose que même au centre d'un gigantesque labyrinthe de la mort, on ne peut pas empêcher le Can you feel the love tonight ? Et pas de commentaires, j'aime bien les chansons d'Elton John.
Je m'assois à table avec le blond et Teresa. Frypan vient à nous. C'est un grand gaillard à la peau noire, aux cheveux crêpés tout aussi obscurs et à l'air jovial.
- Bien le bonjour, les amis ! s'écrie-t-il, un grand sourire aux lèvres. Newt, ça roule ? Salut Teresa... et Dany, c'est ça ?
- Danielle.
- Dany, ça fait plus simple ! lâche-t-il négligemment.
Sérieux ? Non pas que ça ne me plaise pas mais... oh et puis, peu importe.
- Va pour Dany, soupirai-je.
- Dis donc Dany, commence Newt, mais c'est que t'as l'air d'avoir une motivation incroyable, ce matin !
- Pas étonnant, ironisai-je, quand on me réveille à l'aurore pour graver mon nom sur un mur !
- M'en parle pas, râla Teresa. Ils m'ont fait le coup à moi aussi. C'est si compliqué de le faire après le petit-déjeuner ou pendant la journée ?
- Ce jour là, on a découvert que Teresa est infernale quand on la réveille trop tôt. Les sarcleurs ont fait les frais de son caractère mal luné, je peux te dire que plus personne n'a osé la réveiller !
- Bien joué ma fille ! souris-je en lui tendant la main.
Elle tope avec un petit sourire en coin. Frypan s'écrie avec un ton de plainte exagéré :
- Oh non, Seigneur, ne me dites pas que vous allez vous mettre à deux à partir de maintenant pour nous sortir votre solidarité féminine ?
- Bien sur, t'as cru quoi ? dis-je en souriant.
- Quel serait l'intérêt sinon qu'il y ait une autre fille avec moi dans ce trou ? ajoute nonchalamment Teresa en haussant les épaules.
Je crois que l'aime bien, Yeux de Glace. Le réfectoire se remplit de plus en plus. Bientôt, la totalité des garçons sont assis aux différentes tables, dévorant la nourriture de leurs plateaux qu'ils passent prendre chez le cuisiner en chef. Je passais un agréable moment jusqu'à ce que Mr Charmant, j'ai nommé Alby, s'invite parmi nous. Lui et Newt se saluent et je remarque qu'effectivement, en présence de son meilleur ami, il s'adoucit un peu. Mais son air de serial killer revient immédiatement quand il tourne son regard vers moi et Teresa. Bonjour...
- Alors Danielle, dit-il néanmoins avec une voix out à fait neutre, aujourd'hui, c'est ton premier jour parmi nous.
- Mon deuxième, en fait.
- Ton premier jour en tant que réelle blocarde, précise-t-il. Et comme le stipule notre règle : pas de place pour les glandeurs. Tu vas essayer chaque métier possible, et on verra celui dans lequel tu es le plus à l'aise.
- Oui, Newt m'a déjà expliqué.
Alby claque la langue d'un ton impatient. Le blond à mes côtés me lance un regard d'avertissement. Ok, j'ai compris, pas la peine d'énerver le gros susceptible en face de moi. Ce dernier me lance :
- Et si tu commençais par les cuistots.
Oh oh. OH OH. Oh non, surtout pas. Jamais de la vie.
- C'est-à-dire que... commençais-je, voulant négocier.
- C'était pas une question.
Bon. En ce cas, qu'on ne me tienne pas responsable si d'ici quelques heures, le Bloc est rayé de la carte par un immense Boum et beaucoup de fumée. Le palais de la capitale a failli subir le même sort, la première fois que j'ai tenté de cuisiner...
- SORTEZ-LA DE MA CUISINE !!
Qu'est-ce que je disais... Un des cuistots me lance un regard pressé, me suppliant de m'en aller. Comme si j'avais besoin qu'il me le demande. Je froisse mon tablier, le jette à terre et prends mes jambes à mon cou. Seulement, dans ma course effrénée, je ne remarque pas celui que se tient en face de moi et me le prends de plein fouet. Aïe. Résultat, je dérape à terre avec la grâce d'un hippopotame. Le garçon glisse aussi, mais réussi à garder son équilibre, le veinard. Il se redresse et me jette un regard surpris. Il est long de taille, visage rond coiffé d'une tignasse blonde et yeux bleus-verts. Je l'ai déjà vu mais impossible de me souvenir de son nom...
- Eh bien la nouvelle ? rit-il en me voyant étalée par terre. Qu'est-ce que t'as ?
- Tu pourrais déjà m'aider à me relever, non ?
Il roule des yeux.
- A tes ordres princesse, raille-t-il tout en s'exécutant.
Je me comporte toujours comme une princesse et c'est seulement ces mecs qui font une fixation avec ce surnom ? Quand je suis à nouveau sur pieds, je lève la tête vers lui.
- Merci. Tu t'appelles comment, déjà ?
- Zart, maton des sarcleurs. Et toi c'est Danielle, c'est ça ?
- Effectivement. Je ne voudrai pas paraitre impolie Zart mais là, il faut vraiment que je me barre, question de vie ou de mort.
- Pourquoi, qu'est-ce que...
- ELLE EST LA !
- Aïe, comprend le jeune homme en grimaçant. Laisse moi deviner, t'as pas le talent de la cuisine, hein ?
- Pas vraiment. Frypan est un peu remonté contre moi.
- Je vois. Je vais essayer de calmer ses nerfs, si tu permets.
- A tes risques et périls, grinçai-je entre mes dents.
Le noiraud se dirige furieusement vers nous. Ses grands pas piétine l'herbe, c'est tout juste si la fumée ne lui sort pas des oreilles. Il s'arrête en face de nous et me pointe à l'aide de sa louche.
- CETTE FILLE EST UN DANGER PUBLIC ! ELLE MERITE D'ÊTRE ENFERMEE !
- Caaaaaaaaalme toi Frypan. Je suis sur qu'elle n'est pas si terrible que ça !
- Que tu crois ! Depuis le début de la matinée, elle a réussi à bruler le pain, massacrer les carottes, jeté la corbeille de fruit AVEC LES FRUITS dans l'œil bouillante, renversé ladite eau bouillante, plonger les tranches de steak saignantes dans du sucre et... quoi encore ? Confondu du vinaigre et de l'huile !
Zart fronce les sourcils et se retourne lentement vers moi, l'air incrédule.
- Sérieusement ?
- J'en ai bien peur...
- Comment t'as fait ?!
Je hausse les épaules. La cuisine fait parti des domaines qu'il ne faut surtout pas me laisser tenter... sinon...
- J'ai essayé d'avertir Alby que j'allais être mauvaise dans ce job, mais... commençai-je à me défendre.
- MAUVAISE ?? me coupe le cuistot en hurlant de tous ses poumons. T'ES UNE VERITABLE CALAMITE, T'AS PLUS INTERET A METTRE LES PIEDS DANS MA CUISINE, C'EST CLAIR ??!
- Limpide, grimaçai-je.
Cette scène me rappelle étrangement celle où le cuisiner en chef du palais à réussi à m'attraper, après que j'ai commis l'exploit de déclencher un incendie dans son lieu de travail. Il se fichait totalement que j'étais sa princesse et encore qu'une enfant à l'époque. Je crois qu'on l'a entendu hurler à travers tout le pays. Et si vous croyez que Minho, Artemis ou ma famille ont levé le petit doigt pour m'aider... vous rêvez. Oncle Daemos a filmé la scène, et on l'a visionnée au moins un bon millier de fois pendant les repas entre nous. Bon, j'avoue que la tête du cuisiner était hilarante. Et la mienne aussi d'ailleurs, je ne savais pas que j'étais capable d'avoir l'air terrifiée à ce point. Minho s'est tellement moqué de moi à cause de cette histoire, cet enfoiré.
Mais alors que notre trio continue de discuter avec respect, calme et bonne humeur. D'étranges clameurs me parviennent sur le côté. Fronçant les sourcils, je tourne la tête. Des blocards débarquent en courant de la forêt, l'air affolé. Je remarque que l'air est devenu tout à coup plus lourd. Zart, en bon habitué des jardins qu'il est, note aussi le changement.
- Bizarre... On dirait que les arbres de la forêt s'agitent de plus en plus.
En effet, ce n'est pas normal. Plusieurs grains de terre se soulèvent et sont poussés par une force invisible. Je lève alors le nez au ciel. Ce dernier vire rapidement au gris. Le vent se lève, de plus en plus violent, faisant battre mon chemisier. Et un bruit sourd faisant penser à un énorme ventilateur se fait entendre. J'ai déjà vu ce phénomène se produire. Malheureusement.
- Une tempête ! m'écriai-je.
- Quoi ? rétorque Frypan. C'est impossible !
- VITE ! criai-je en me mettant à courir.
Déjà, le vent à gagné incroyablement de puissance. Les arbres se plient littéralement tandis que la terre se soulève. Les piliers de bois les moins résistants se sont déjà effondrés. Ce genre de tempête à assez de force pour faire soulever des humains. Tout le monde doit se réfugier et en vitesse.
Voyons. Les trancheurs sont déjà dans l'abattoir, les medjack à l'infirmerie. Les cuistots sont à la cuisine, quant aux torcheurs, ils sont répartis dans tous les bâtiments. Ceux qui sont à découverts sont les sarcleurs et les bâtisseurs. C'est eux qu'il faut aider en priorité. Je bifurque en direction des champs. Comme je m'y attendais, les serres s'arrachent. Les plantes seront complètement foutues, mais pour l'instant, ce sont les vies humaines qui importent. Je vois plusieurs sarcleurs tenter de s'accrocher à des piliers ou des racines. Mauvaise idée, mais je les comprends. Courir devient de plus en plus difficile, j'ai moi-même du mal à rester au sol.
Je vais vers eux et plante fermement mes pieds au sol. Pas question de m'envoler, y'a pas écrit « ballon à hélium » sur mon front ! Le premier qui attire mon regard est Newt. Sous l'impact du vent, sa jambe malade lui fait défaut et il s'effondre au sol, se faisant trainer ; il tente de résister mais la force de l'air est la plus forte. Je me précipite vers lui, empoigne d'une main des racines épineuses (l'adrénaline me fait oublier la douleur) et de l'autre, sa main à lui. Il bute violemment contre des cailloux.
- Tiens bon ! criai-je.
Je ne suis pas su qu'il m'ait entendu avec tout ce vacarme. Le vent siffle à mes oreilles, faisant battre mes cheveux contre mes yeux, ce qui me gêne horriblement. Je devrai penser à trouver un élastique. Petit à petit, je réussis à ramper vers Newt tout en gardant mon appui.
- Newt ! On doit essayer de ramper, d'accord ?
Il grogne en guise d'approbation. Centimètre par centimètre, nous avançons jusqu'à un amas de planches de bois. Les plantant à terre, je permets à Newt et moi-même de nous y accrocher. Sans perdre une seconde, je me redresse. C'est le chaos total. Les blocards crient tout en cherchant désespérément des abris. Une grande partie des constructions s'effondrent. Je remarque un groupe de sarcleurs juste à côté de nous, à genoux, s'accrochant du mieux qu'ils peuvent. Teresa est parmi eux. Analysant la situation, je leur crie :
- Les gars ! Il faut faire rentrer les animaux dans les enclos fermés, sinon ils risquent d'y passer et on aura un énorme problème ! On en profitera pour s'abriter !
Si certains semblent réticents, Teresa est la première à se lever pour faire comme je dis. Peu à peu, les autres la suivent. J'aide Newt et nous nous dirigeons tous là vers quelques moutons et vaches qui meuglent de toutes leurs forces, plantant leurs sabots dans la terre, tentent de résister à la tempête. Nous sautons jusqu'à eux et les tirons par leurs cordes en courant. Les animaux ne sont absolument pas réticents, et vont s'abriter dans la large cabane de bois dans laquelle nous glissons avec eux. A l'intérieur, quelques trancheurs sont rassemblés.
Newt, tout en empoignant douloureusement son genou, vocifère contre eux :
- Pourquoi vous n'avez pas fait rentrer les animaux ?! C'est votre taf, non ?!
Je ne prête pas attention à leurs maladroites auto-défenses et jette un œil entre deux planches de bois. La situation dehors ne s'améliore pas. Il faut que j'intervienne. Je cours vers la porte, mais au dernier moment, Newt me retient par le coude :
- Attends, qu'est-ce que tu fais ? T'es malade !
- Si on ne va pas les aider, ils risquent de mourir ! Quelqu'un doit y aller !
- Toi, peut-être ?
- Un de nous doit bien prendre les risques !
- Comme si on avait besoin d'un second Thomas ! s'écrie-t-il.
L'ignorant royalement, j'ouvre la porte. Aussitôt, des rafales de vent s'introduisent dans la cabane. Grimaçant, je vais rapidement à l'extérieur et la referme le plus vite possible. Sauf que deux personnes m'ont suivie : Newt et Teresa. Je me tourne vers le premier.
- Hors de question ! Ton genou est malade !
- On doit bien prendre les risques ! Inutile de rouvrir la porte encore une fois !
Il ose réutiliser mes mots contre moi. Tant pis, il fera comme il veut. Tout en courant avec le blond et la brune, je tourne la tête de tous les côtés. Je remarque un groupe de bâtisseurs, dirigé par Gally. Ce dernier leur aboie des ordres que je n'entends pas. Mais je vois qu'il transporte des planches de bois larges sur les bras et qu'il a l'air de leur hurler d'avancer.
Enfin quelqu'un d'intelligent parmi cette bande de testostérone incarnée ! Je fonce vers eux et déleste un bâtisseur de son poids sans lui demander son avis. Newt et Teresa font pareil. Quant à moi, je cours jusqu'à la hauteur de Gally et lui crie :
- Bonne idée ! Servons nous de ces planches pour nous protéger du vent jusqu'à ce qu'on soit à l'abri ! Il reste encore des gens à découvert dans le Bloc, on doit les aider !
Le châtain m'ayant aidée à sortir de la Boîte ne dit rien, mais hoche la tête avec détermination. Plaçant chacun une planche devant nous, nous avons tout de suite plus de facilité à avancer. Nous nous dirigions vers la Ferme, quand des cris perçants attirent mon attention. Me retournant, mon sang se glace. Je vois Chuck, le plus jeune membre du Bloc et qui n'a pas l'air d'avoir plus de dix ans. Il s'accroche désespérément aux plantes, mais ce n'est pas suffisant. Déjà, ses jambes s'envolent en l'air. Il ne résistera plus très longtemps. Il hurle et pleure, mais personne ne vient l'aider.
Alors ça non. Je ne laisserai pas un enfant souffrir des conneries de WICKED. Bifurquant brusquement, j'ignore impérialement les protestations du reste du groupe. Courant aussi vite que mes jambes me le permette, je glisse aux côtés de Chuck et plante ma planche à terre, coupant le vent juste devant nous. Ce n'est pas suffisant, ce dernier passe encore pas dessus et les côtés. Cependant, mes compagnons m'ont suivi dans mon geste spontané. Aussi vifs que l'éclair, tous entourent le jeune garçon et forment des boucliers de bois. Notre nombre fait que cette fois ci, nous arrivons vraiment à ralentir le vent. Chuck parvient à se reposer au sol. Pétrifié, Teresa l'aide à se mettre à genoux. Il se serre contre elle et malgré ses membres tremblants, nous aide à maintenir les lattes de bois. Quel courage !
Les blocards restants autour de nous viennent également se réfugier à nos côtés. Nous nous mettons en boule, résistant de toutes nos forces.
Comme à mon habitude, j'analyse la situation. Il n'y a plus que nous à l'extérieur. La tempête ne semble pas se calmer, au contraire. Elle ne fait que gagner et gagner en puissance. Nos boucliers ont beau faire l'affaire pour le moment, ils ne tiendront pas éternellement. La Ferme et tous les autres bâtiments sont trop loin. Le seul endroit qui pourrait faire une bonne protection, la meilleure protection même, n'est qu'à quelques mètres de nous. Mais pour convaincre els autres d'y aller... C'est tout de même le meilleur plan et c'est pour cette raison que je n'hésite pas à déclarer :
- Il faut qu'on aille se cacher dans le labyrinthe !
- QUOI ! s'écrie l'un d'entre eux.
- On ne peut pas aller dans le labyrinthe !
- On ne va pas aller l'explorer et y faire un pique nique bon sang ! m'écriai-je ! On va juste aller se réfugier dans l'entrée ! Les murs couperont le vent, c'est la meilleure protection !
- Les règles nous interdisent formellement d'y entrer, réplique fermement Gally tout en transperçant du regard.
Je roule des yeux. Est-ce qu'ils savent reconnaitre une situation d'urgence ?!
- On se fiche des règles ! Si on reste là, on va tous y passer ! T'as envie que tes bâtisseurs se prennent une tempête en pleine gueule et meurent ?!
L'air de Gally se fait incertain. Bien sur. En tant que maton, il a la responsabilité de tous ses travailleurs. Et malgré son air grognon et peu commode, il tient à eux, cela se voit. C'est un leader... tout comme moi.
- Elle a raison ! On fait comme elle dit ! lance Newt.
La parole du second aux commandes du Bloc a fait son effet. Tout le monde se range à notre avis. Difficilement, nous nous relevons. Il n'y a pas un instant à perdre. Plaçant les lattes devant nous, nous nous en servons comme boucliers tout en courant le plus vite possible vers la porte la plus proche. Plusieurs fois, nous manquons de glisser mais ceux qui ont un meilleur maintien rattrapent toujours les autres. Chuck ne lâche pas Teresa. Par je ne sais quel miracle, nous arrivons à nous introduire dans le labyrinthe.
Comme je l'avais prévu, les immenses murs coupent tout vent. Mes cheveux et vêtements cessent enfin de battre avec violence et je me rends compte que je suis maculée de poussière. Ça vaut aussi pour tous les autres. Cependant, notre apparence est bien le cadet de nos soucis. Nous ne nous éloignons pas et restons tout près de l'ouverture. La plus part lâchent nos bouées de sauvetage – les planches – et s'appuient au mur, tombent même à terre. Exténuée, je n'en mène non plus par large. L'adrénaline qui m'a permis de bouger jusque là quitte brusquement tous mes muscles. Je m'appuie au mur de béton et glisse lentement jusqu'à terre, haletante. Un long silence règne sur notre groupe. Les seuls bruits présents sont ceux de la tempête et des dégâts qu'elle provoque ; je crois avoir distingué le son d'un arbre qui tombait. Nous voyons aussi quelques piliers et serres s'arracher et rouler à terre, voler pratiquement. Le vent souffle avec violence.
Je parcoure du regard le groupe. Une bonne poignée de bâtisseurs, Newt, Teresa, Chuck et quelques autres. Je suis contente que nous ayons pu nous en sortir. J'espère que les autres vont bien. Zart et Frypan aussi, même si ce dernier voulait ma peau. Je brise le silence :
- Est-ce que ce genre de choses arrive souvent ?
Newt, épuisé, secoue la tête :
- C'est la première fois. Jusqu'à là, on a eu qu'un seul climat très stable : journées ensoleillés et chaudes avec quelques brises fraiches et rarement, de petites pluies.
- En trois ans d'enfermement ? m'écriai-je, ne pouvant y croire.
- Oui.
C'est impossible ! Au cours de ces trois dernières années, les intempéries ont été horribles ! Tempêtes, cyclones, grêles et averses se sont succédées sans queues ni têtes, et ce, à l'échelle mondiale ! Même en Atlantide, alors que notre position géographique est très avantagée et que nous avons des barrières organiques de protection ! Le climat de la planète est complètement déréglé, il est tout sauf stable !
Ce qui ne peut signifier qu'une chose : cet endroit est complètement artificiel. Du sol jusqu'au plafond. Je lève le nez vers celui-ci. Il a pourtant l'air bien réel. Mais justement, WICKED a la technologie nécessaire pour le faire paraitre comme ça. Génial. Alors nous sommes bel et bien enfermés. Je comprends mieux maintenant comment un tel endroit a-t-il pu passer inaperçu des radars de l'Atlantide et du Japon. Il pourrait bien se trouver sous terre, si nous sommes réellement dans une espèce de gigantesque arène artificielle et dont WICKED contrôle les moindres détails. Nous sommes donc encore plus prisonniers que ce qu'ils pensent... merveilleux.
Je ferme les yeux et soupire, encore plus fatiguée qu'avant. Je rouvre les yeux quand Chuck s'adresse à moi.
- Tu m'as sauvé la vie. Merci.
Pour être honnête, je ne m'y attendais pas. La surprise me fait écarquiller les yeux. Newt se tourne vers moi et me sourit faiblement.
- A moi aussi. Si tu n'avais pas été là, je serai sans doute toujours en train de trainer par terre, sans pouvoir me relever.
Disant cela, il presse inconsciemment son genou défectueux. Je ne dis rien, et me contente de faire passer le message par mon regard : ce n'est rien. J'ai fait ce que j'avais à faire. Je crois qu'il a compris, parce que son sourire s'élargit. Tournant la tête vers les autres, je remarque qu'ils m'observent tous en souriant. Certains lèvent le pouce dans ma direction, tandis que d'autres me lancent des clins d'œil. Gally me fixe d'un air impassible. Il finit par soupirer.
- Je reconnais que ce n'était pas une mauvaise idée, admet-il. Bien joué, Danielle.
--oOo--
Jules : Sérieusement... Une tempête ?
Personne : Bah quoi ! Un peu d'action, ça a jamais fait de mal à personne !
Jules : On n'en n'est qu'au quatrième chapitre, et t'as déjà détruit tout le Bloc. Qu'est-ce tu vas nous foutre pour la suite ?
Personne : Ce sera à vous de voir ! Chanson thème du jour : Hold your breath, de Ruelle ! Je trouve qu'elle correspond bien à l'esprit et aux sensations à l'arrivée de la tempête !
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