6- Dernier recours
1 544 mots ; rédigé pour l'évaluation d'un cours sur la nouvelle et lié à Dans le secret des dieux
Dernier recours
Le silence règne en maître dans la pénombre de notre cachette. Un silence lourd, gorgé de tension. Pas entre nous, mais c'est aujourd'hui que tout va se jouer pour Phobos. Je ne cesse de regarder ma montre, le froissement de mes vêtements est peut-être le seul son brisant le calme.
15 h 58. Toujours rien.
Ma jambe tressaute, je le remarque à peine. Chaque minute qui s'écoule aggrave la situation.
— Arrête de t'agiter, tu me donnes mal à la tête..., soupire Phobos.
Je me fige, lève la tête vers lui. Il a fermé les yeux, la tête appuyée contre le mur derrière lui. Mon cœur se serre. J'ai mal pour lui. Je quitte mon siège, m'approche de lui et me laisse glisser par terre, juste à côté. D'un simple geste, je l'invite à reposer sa tête sur mon épaule. Édos nous regarde sans rien dire. Je sais que l'état de Phobos lui fait autant de mal qu'à moi.
— Comment tu te sens ? murmuré-je à Phobos.
— Inutile.
Sa voix se répercute contre les murs, son ton si dur me brise le cœur. Je lui prends la main, la presse avec toute la tendresse dont je suis capable. Édos fronce les sourcils et se racle la gorge.
— Ce n'est pas ta faute si tu es blessé.
Son ton est encore plus dur et cassant, une ombre de colère traverse son regard.
Phobos soupire à nouveau, serre ma main. Édos a raison, ce n'est pas sa faute s'il a été blessé. Il s'est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, si tôt après notre arrivée. Nous étions séparés, au début, je ne voulais pas lui attirer d'ennuis. Mais quand j'ai croisé Édos... son regard paniqué, suppliant... Je ne pouvais pas l'ignorer. Phobos avait besoin d'aide. Il a besoin de moi.
Ma montre sonne. 16 h 22.
Des coordonnées s'affichent sur l'écran ; un message de la base. Ils ont envoyé une nouvelle caisse.
Vite. Il faut que je parte. Il faut que j'arrive le premier. Je sais où la trouver.
J'essaie de me redresser, Phobos me retient avec le peu de forces qu'il lui reste. Nos regards se croisent ; le sien brille de douleur, de fatigue. D'autre chose, aussi, mais je ne peux pas. Je ne peux pas voir ça maintenant. Ça attendra mon retour. Je reviendrai aussi vite que possible.
— Je n'en aurai pas pour longtemps, promis.
— Tu n'es pas obligé d'y aller...
— Bien sûr que si. On n'a plus rien pour te soigner.
Encore un soupir ; Phobos presse une dernière fois ma main, ses lèvres effleurent ma joue. Mon cœur tremble.
— Fais attention.
Je sais. Je n'ai pas le droit à l'erreur. Je dois ravaler ma peur, mes sentiments, être à la hauteur de ma réputation, de mes compétences. Je dois leur prouver que je tiens parole, qu'ils peuvent continuer à compter sur moi.
Je me lève, récupère armes et protections, presse l'épaule d'Édos. Nous échangeons un regard entendu, une promesse silencieuse. Il veillera sur Phobos pour deux jusqu'à mon retour, je peux garder l'esprit tranquille. Si une telle chose est encore possible.
Je sors de notre cachette, traverse à pas de loups de longs et sombres couloirs. Aucun bruit suspect, mais je ne baisse pas ma garde. Nous avons tous suivis les mêmes entraînements, appris à nous faufiler comme des ombres. Je ne peux pas compromettre notre position.
Je vérifie plusieurs fois les alentours avant de m'engouffrer dans la lumière du jour. Le soleil a déjà commencé à décliner, il étire les ombres, les déforme. Je m'y cache, avance lentement. Je ne peux pas prendre le moindre risque.
Mais je dois être le premier.
Il me faut un temps fou pour arriver au pied d'un immeuble ; la caisse doit se trouver tout en haut. J'y suis presque.
Plusieurs sentiments se mélangent ; crainte, angoisse, espoir. Je manque de vigilance, mes pas résonnent dans l'escalier. J'entends tout le bruit que je fais, et j'espère de tout cœur ne croiser personne. Ou peut-être... peut-être un frère, une sœur, l'un de ceux que j'avais juré de protéger pendant cette mission. Avant que cette famille ne vole en éclats, que nous nous tournions le dos et que plusieurs se liguent contre moi. Moi qui avais tout donné pour eux.
La porte qui mène au toit est ouverte. Je retiens ma respiration, accélère, débouche enfin au sommet. La caisse n'est plus qu'à quelques mètres. Je m'y précipite.
Ouverte.
Mon cœur s'agite, je me penche au-dessus.
Quelques vivres et munitions. C'est tout ce qu'il reste.
— Putain !
J'ai échoué. Phobos comptait sur moi. Je l'ai trahi. Je suis arrivé trop tard. Il va peut-être mourir par ma faute. Si quelqu'un ne me tire pas une balle dans le dos.
Je me redresse, une silhouette s'avance vers l'escalier. Nos regards se croisent.
Hormé.
Il s'arrête un instant. Malgré son air fermé, j'ai peut-être encore une chance de sauver Phobos.
Il reprend son chemin.
— Attends.
Ma voix tremble. C'est la première fois que je laisse mes émotions se manifester. La première fois que je me montre vulnérable. Peu importe ce qu'il en pense, il s'est figé. Je m'approche, atteins la première marche. Lentement, il se retourne et lève la tête, nos regards se croisent à nouveau.
— Ho-Hormé..., soufflé-je. Est-ce que... est-ce qu'il y avait une trousse de soins ?
Il plisse les yeux, les lèvres cousues. Il ne me donnera rien. Il ne me dira rien. Devrais-je lui dire que c'est pour Phobos ? Peut-être qu'il pense que je suis toujours seul.
Il se détourne, descend quelques marches.
Mon cœur s'emballe. Je ne peux pas le laisser partir sans un mot de sa part. Je me précipite à sa suite et lui agrippe le bras.
— S'il te plaît, Phobos est blessé, j'en ai vraiment besoin.
— Admettons qu'il y en ait une, qu'est-ce qui te dit que j'en ai pas besoin aussi ?
Je pince les lèvres. Il a raison. Pourquoi moi et pas lui ? J'ai trop laissé parler mes sentiments. J'ai trop négligé les autres, ces frères et sœurs qui peuvent être dans le besoin, parfois plus que Phobos. Je m'inquiète pour Hormé, maintenant ; pour qui aurait-il pris cette trousse ?
— Tu es seul ?
— Non.
— Avec qui ?
— Peu importe, faut pas rester là.
Il tente de se dégager de mon emprise, je serre la main. Il a raison, il ne faut pas rester là, mais j'ai besoin de savoir. Pour lui.
— Avec qui ?
— Dolos et Zélos.
Je ne suis même pas étonné. Dolos est trop malin pour prendre des risques, il a dû l'envoyer à sa place. Je fronce les sourcils et le lâche, il ne bouge pas pour autant.
— Méfie-toi de Dolos.
Je sais qu'il n'a plus aucune raison de m'écouter, mais je continue à croire que nous sommes une famille, et je n'oublie pas la promesse que j'ai faite à notre départ. Je les protègerai, quoi qu'il m'en coûte. Le mettre en garde, c'est tout ce que je peux faire.
Il me rend mon froncement de sourcils, toujours immobile. Je lui lance un dernier regard et continue mon chemin, les mains vides.
J'ai honte et peur. Que vont penser Édos et Phobos ? Je ne suis plus le soldat ni le frère que j'étais. J'aurais pu prendre la trousse par la force, inciter Hormé à revenir de mon côté. J'aurais pu faire plein de choses ; plein de choses qui ne me ressemblent pas. Je lui ai laissé la vie sauve parce qu'il ne peut pas mourir de mes mains. Je risque déjà d'avoir la mort de Phobos sur la conscience, une mort de trop.
Le soleil est bientôt couché, je fais le chemin en sens inverse. J'aperçois des silhouettes au loin, il me suffit de me camoufler parmi les ombres pour passer inaperçu. Je n'arrive même pas à les reconnaître ; alliés ou ennemis ? Frères ou sœurs ? Traîtres ? Tout se mêle, rien n'est plus pareil.
Je rejoins enfin notre cachette ; la porte est entrouverte. Je suis pourtant sûr de l'avoir fermée en partant.
J'empoigne mon fusil et ouvre d'un grand coup de pied. Rien ne bouge.
J'avance, lentement, aux aguets. Personne dans les recoins, seul un corps allongé, un peu de sang près de la tête. Édos. Je me précipite vers lui, glisse deux doigts dans son cou. Son cœur bat. Je me laisse tomber par terre, prends délicatement sa tête entre mes mains et appelle son nom. Il n'a qu'une plaie sur la tempe.
— Ap-Apollon ? marmonne-t-il.
— Oui, c'est moi. Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous vous êtes fait attaquer ? Ils ont emmené Phobos ?
Édos secoue la tête, grimace. Je l'aide à se relever, il me regarde de ses yeux brillants de peine, de tristesse. Il a l'air plus abattu que jamais.
— Je suis désolé..., souffle-t-il.
— Désolé... ? Mais de quoi... ?
Ma gorge se noue. Qu'est-il arrivé à Phobos ? Je peine à rester calme, alors que c'est le chaos dans mon esprit. J'espère que ça n'a pas de lien avec cet air désolé caché au fond des yeux de Phobos que j'ai préféré ignorer.
— C'est lui qui m'a assommé. Il est parti.
Mon cœur s'arrête, ma respiration se coupe. Je n'arrive pas à y croire. Phobos nous a trahi.
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