1- Dans le secret des dieux
1 562 mots ; rédigé pour mon dossier de soumission en master
Dans le secret des dieux
Je grimpe l'escalier au pas de course jusqu'au toit du bâtiment. Il faut que je sois le premier à arriver. Accroupi sur les dernières marches, je me tasse sur moi-même et retiens ma respiration. Aucun bruit. Je monte lentement jusqu'au sommet dans le plus grand des silences, les mains agrippées à mon fusil. Je prie pour qu'il n'y ait personne, pas même mes camarades. Depuis que nous sommes tous les douze arrivés ici, c'est devenu impossible de distinguer alliés et ennemis. Même Dolos et Zélos ne sont pas dignes de confiance, mais ils sont les seuls alliés que j'ai, pour le moment. Et ils comptent sur moi.
Je dois récupérer la caisse de provisions et de munitions envoyée par la base avant quiconque, sinon, nous ne tiendrons plus très longtemps. Nous sommes presque à court de tout ; si je me fais devancer, nous serons obligés de risquer notre vie en quémandant l'aide de nos camarades. Peut-être qu'ils nous tireront une balle dans la tête, peut-être qu'ils nous tendront la main. J'ai beau espérer le meilleur, je ne peux pas m'empêcher de croire au pire.
J'avance de quelques mètres sur le toit, jetant des regards autour de moi. Il n'y a toujours personne et j'entends à peine mes propres pas. Je continue mon périple accroupi et baisse les yeux vers ma montre ; j'arrive aux coordonnées annoncées par notre colonel. La caisse est plus petite que je ne l'avais cru, ce sera plus simple de récupérer tout ce qu'elle contient. Je jette un nouveau regard aux alentours ; toujours personne à l'horizon. C'est étrange, mais je n'ai pas le temps d'y penser. Avec la plus grande des précautions, je retire mon sac à dos et ouvre la caisse. Il y a tout ce dont nous avons besoin à l'intérieur : de l'eau, des vivres, des armes et des munitions. Je fourre tout ce que je peux dans mon sac, mais je suis incapable de tout prendre. Pour ceux qui arriveront après moi, pour mes camarades qui doivent être autant dans le besoin que Dolos, Zélos et moi, je ne peux pas être égoïste.
Avec autant de prudence qu'à l'allée, je rejoins les escaliers. Mes mouvements sont plus lourds et bruyants, mon sac pèse sur mes épaules. J'inspire profondément et fais une pause en haut des marches. J'entends du bruit. La chance a cessé de me sourire. Des pas, des froissements de vêtements, des cliquetis d'armes. Je rebrousse chemin et me cache dans le renfoncement d'un mur. Je me mords la lèvre et croise les doigts ; j'ai peut-être une chance de m'en sortir s'il s'agit d'un camarade du Bataillon Panthéon. Peut-être qu'il est encore raisonnable de croire qu'on ne se tirera pas une balle dans la tête. Je prends une nouvelle inspiration et tente de calmer mon rythme cardiaque. Ce ne serait pas la première fois que je croiserais furtivement quelqu'un.
Les pas se rapprochent. Bientôt, j'aperçois une silhouette. Apollon, le meilleur d'entre nous. J'aurais pu le reconnaître entre mille. Ses gestes sont saccadés et précipités, et il ne retient même pas un juron face à la caisse que j'ai laissée presque vide. De quoi a-t-il tant besoin ? Je devrais partir pendant qu'il a le dos tourné, mais je n'arrive pas à m'y résoudre. Est-ce que je peux me séparer de quelque chose pour lui ? Est-ce que j'ai une véritable raison de lui tendre la main ? Je sors finalement de ma cachette, tâchant de rester toujours silencieux. J'ai pris ma décision : s'il ne remarque pas ma présence, s'il ne m'adresse pas la parole, je ne ferai rien pour lui.
Lentement, je retourne près des escaliers. Au fond, j'espère qu'il fera ne serait-ce qu'un geste vers moi. J'ai besoin de croire que ces frères et ces sœurs avec lesquels j'ai été envoyé sur le terrain font toujours partie de la même famille. J'ai besoin de croire que nous sommes toujours dans le même bateau, que nous nous battons pour les mêmes causes et que nous visons le même but.
Je lui jette un coup d'œil et pose le pied sur la première marche. Nos regards se croisent. Ses yeux bleus scintillent sous la lumière du ciel voilé, des étincelles de tristesse et de détresse. Il entrouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Je détourne les yeux et fais un pas de plus, puis un autre. Je m'arrête sur la quatrième marche ; ce n'est pas mon nom qu'il a prononcé, juste « attends ». Un mot empreint de cette détresse qui brillait dans ses yeux. Je me retourne et lève la tête pour me retrouver face à lui, en haut des marches.
— Ho-Hormé..., souffle-t-il. Est-ce que... est-ce qu'il y avait une trousse de soins ?
Je plisse les yeux ; il est en parfaite forme et je croyais qu'il faisait cavalier seul, pourquoi en aurait-il besoin ? Je hoche la tête de gauche à droite ; ça ne risque pas de lui manquer. Je détourne de nouveau les yeux et reprends mon chemin. Je me fige encore, sa main agrippée à mon bras.
— S'il te plaît, Phobos est blessé, j'en ai vraiment besoin.
— Admettons qu'il y en ait une, qu'est-ce qui te dit que j'en ai pas besoin aussi ?
Apollon pince les lèvres et baisse les yeux. Ce n'est pas la première fois que je le vois perdre ses moyens face à Phobos, mais je ne peux pas craquer. Zélos aussi a besoin de soins, et vite.
— Tu es seul ? reprend-il.
— Non.
— Avec qui ?
— Peu importe, faut pas rester là.
J'essaie de me dégager de son emprise, mais sa poigne se resserre. Il ne lâchera pas l'affaire.
— Avec qui ? répète-t-il.
— Dolos et Zélos.
À quoi bon lui mentir, au point où nous en sommes ? Ça ne lui dit pas où je suis censé les retrouver, ce dont nous avons besoin ni ce que nous comptons faire.
Sa réaction n'est pas celle que j'attendais ; Apollon fronce les sourcils et me libère enfin.
— Méfie-toi de Dolos.
Je lui rends son froncement de sourcils mais ne cherche pas à comprendre ; pour le moment, Dolos est le seul qui nous permet de survivre, Zélos et moi. Il est le pilier de notre trio, et c'est seulement parce qu'il a prouvé ses compétences sur le terrain que j'ai accepté de rester à ses côtés. Je ne vois pas où Apollon veut en venir. Il ne me retient pas plus et me jette seulement un regard désolé alors qu'il me devance dans les escaliers. J'aurais peut-être dû partager avec lui le contenu de la trousse...
Je ne tarde pas à me remettre en route ; cette rencontre m'a presque fait oublier que je risquais à tout moment de tomber sur les mauvaises personnes. Ce n'est pas parce qu'Apollon et moi nous sommes épargnés que ce sera le cas avec tout le monde. Je tâche de rester à couvert pendant mon périple jusqu'au point de rendez-vous, dans l'un des bâtiments des alentours. J'ai tout de même une drôle d'impression, et les mots d'Apollon me tournent en tête. Et s'il avait raison ? Et si Dolos cachait quelque chose ? Pourtant, je n'arrive pas à comprendre pourquoi il mentirait. Nous avons été envoyés en mission, tous ensemble, quel intérêt y aurait-il à berner ses propres frères ?
J'arrive dans le hall de l'immeuble abandonné. Il n'y a pas un chat, mais je reste précautionneux en me dirigeant vers la cage d'escalier. Un coup de feu vient troubler le silence de la fin de l'après-midi. Il se répercute en écho dans mon cœur, ma tête et mon estomac, alors que les mots d'Apollon résonnent plus fort encore.
J'inspire par le nez, expire longuement par la bouche et commence à monter les marches. Je dois garder mon calme, ce n'est peut-être qu'une fausse alerte. Je n'entends rien de plus pendant mon ascension jusqu'au deuxième étage, je ne vois rien de suspect non plus. Pas même une ombre glissant sur un mur. Il n'y a personne.
Arrivé devant les vestiges de la porte de l'étage, je me colle au mur. Je jette un regard dans le couloir : la voie est libre. Mon fusil toujours en main, je m'engouffre dans ce tunnel cerné par la pénombre. J'avance prudemment jusqu'à la troisième porte à gauche, d'où jaillit la lumière du soleil. Rasant le mur, je m'arrête à quelques pas. Une odeur de poudre mêlée à du sang frais m'envahit, je fronce le nez. Mes deux camarades ont dû rencontrer quelqu'un d'indésirable. Des bruits de pas brisent le calme angoissant qui m'enveloppe. Si c'est un ennemi, je dois agir vite. Aussi rapide que l'éclair, je passe devant la porte et me colle au mur, le canon de mon arme rivé sur l'ouverture. Je ne le raterai pas.
Il y a un long silence, durant lequel personne ne bouge. Seule cette effroyable odeur de poudre et de sang nous tient compagnie.
— Sors de ta cachette, qu'on en finisse.
Tous mes muscles se détendent instantanément.
— Dolos, c'est Hormé, tire pas.
J'entends du mouvement, et je sors de l'ombre, les mains en l'air. Mon regard se pose sur mon camarade, debout au milieu de la pièce baignée de la lumière du couchant. À ses pieds, le cadavre d'un grand blond entouré d'une flaque carmin. Le regard vide, un trou au milieu du front. Zélos.
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