Chapitre 22 - Partie I
Roxane
Je tombe.
Je tombe dans les abysses de mon âme, dans le gouffre infini de l'enfer.
Au fin fond du précipice de ma folie, dans le néant le plus total.
Mes genoux heurtent violemment le sol.
Je tombe.
*
Mes paupières sont closes et me préservent encore quelques millièmes de seconde de la scène que le destin m'impose. Dans l'obscurité infinie que mes yeux perçoivent, un grand fracas de verre brisé et de corps heurtant lourdement le sol parvient à mes oreilles. Mon sang fuse dans mes tempes, au fur et à mesure que ma conscience renonce à me préserver plus longuement des conséquences de mes actes.
Lorsque ma vision se rétablit, Zara est en train de ramper jusqu'à mes côtés, le visage noyé de larmes et les mains tremblantes de peur. Elle se redresse et se fige contre le même mur que moi, le souffle saccadé par la montée d'angoisse qui la submerge. À ma gauche, Desmond fait irruption dans le salon, balaie la scène de ses yeux exorbités de stupéfaction, puis referme précipitamment la porte blindée derrière lui.
Mon cœur se serre dans ma poitrine. Là, au centre de la pièce et au milieu des restes de la table basse en verre, Shane tente de forcer Robin à lâcher son arme, encaissant de violents coups de poing de temps à autre sans jamais renoncer au combat. Ils roulent ensemble sur le sol jonché de débris tranchants, dans un affrontement de haine bestiale autour de l'œil impartial du Beretta.
Soudain, un gémissement plaintif attire mon attention. La respiration saccadée, je dévie lentement mon regard vers le canapé avant de m'y précipiter à quatre pattes, priant le ciel et la terre pour ne pas être confrontée à ce que je redoute le plus depuis plusieurs minutes maintenant. En vain.
Mon ventre se tord d'une rage physique et mentale, mon souffle se coupe sous la violence du choc et mon cœur tambourine douloureusement. Mon père est là, allongé devant moi, une main tremblante sur sa poitrine rougie. Propulsée par un instinct incontrôlable, je me précipite à la hauteur de son visage et pose délicatement une paume sur sa joue déjà glacée.
— Papa ! Ça va aller... Je te promets que ça va aller, je suis là ! Je...
— Roxane, qu'est-ce que tu...
Mes larmes se remettent à couler à flots quand je découvre que la large trace de sang sur le haut de la chemise de mon père ne cesse de s'étendre à vue d'œil. Tremblante d'horreur, je tente maladroitement d'appuyer mes deux mains sur sa plaie pour stopper l'hémorragie. Le liquide chaud qui s'écoule entre mes doigts semble imprégner à jamais la moindre parcelle de ma peau. Dans un abrupt élan de désespoir, je relève la tête vers mes complices en implorant :
— Desmond ! Va chercher de l'aide ! Appelle un médecin, je t'en prie !
Mais ce dernier ne semble pas m'entendre. Hypnotisé par le pugilat entre son chef et son mentor, il reste immobile, comme plongé dans un état second. Je me tourne alors vers Z, toujours tétanisée contre le mur, et la supplie de me venir en aide :
— Zara ! S'il te plaît ! Fais quelque chose...
Au même instant, Robin se redresse et parvient à se défaire de l'emprise de Shane avant de lui asséner un violent coup de crosse à la tête. Ce dernier s'effondre lourdement sur le sol et les grands yeux bleus de Z se mettent alors à osciller entre son corps étendu au milieu de la pièce et moi-même. Face à ma solitude, la colère enfantée par ma terrible affliction prend le contrôle de mes membres et de mon esprit. J'explose :
— Mais pourquoi vous ne faites rien, tous les deux ! Pourquoi ? Aidez-moi, je vous en supplie !
— Roxane, ma chérie... Sauve-toi.
Mes yeux se reposent sur mon père, de fines larmes s'écoulent sur ses joues blafardes. Sa main glaciale s'empare de la mienne, m'obligeant à relâcher la pression que j'exerçais sur sa plaie béante. Ses doigts tremblants entrelacent les miens, comme pour s'accrocher à la moindre seconde de vie supplémentaire. Accablée par ma peine, je m'effondre et éclate alors en sanglots.
— Oh, papa, pardon ! Je te demande pardon pour tout. Pour tout ce que j'ai fait, tout ce que je t'ai dit. Je n'aurais jamais dû partir comme je l'ai fait. Je regrette, si tu savais ! Je n'ai jamais voulu tout ça...
Un petit sourire s'affiche sur le visage de mon père alors qu'il murmure avec difficultés :
— Au moins, je t'aurais revue une dernière fois... Il faut que tu vives, Roxane. C'est tout ce qui m'importe à présent.
— Robin, non !
Je sursaute et braque la tête vers Shane qui s'accroche vaillamment à la cheville de son adversaire, mettant tout en œuvre pour le faire à nouveau basculer au sol. Robin s'agite, titube et finit par retomber sur mon amour qui s'empresse de plonger vers l'arme à feu échouée à leurs côtés. Soudain, le chef écrase son pied sur la main de son bras droit qui roule alors sur le dos en gémissant de douleur. Il se relève ensuite avec rage tout en récupérant son pistolet sur le sol, avant de l'armer et de pointer le canon sur mon père.
Tout à coup, mon cœur rate un battement. Je ne réponds plus de rien. Résolue à l'idée de faire face à la mort, je me lève à mon tour et pousse Robin en arrière, de toutes mes forces. Interloqué, il m'observe un instant, presque amusé par la situation. La fenêtre de ses yeux reflète la noirceur de son âme, dépourvue de la moindre trace de conscience ou d'humanité. Je réitère mon geste, avec toute la puissance que ma rage, ma souffrance et ma peur peuvent m'apporter, en vain.
Sans me laisser le temps de réagir, le chef me bloque et sa main vient frapper mon visage de plein fouet. Ma lèvre s'écorche à nouveau, déversant un flot métallique dans ma bouche. Je m'effondre sur le sol et ma tête heurte le marbre blanc. Mon esprit confus s'égare et la pièce se met à danser au milieu des étoiles et des tâches noires qui défilent sous mes yeux. Un acouphène se déclenche dans mon oreille droite. Pendant un court instant, tout mon corps semble privé de ses sensations. Je n'entends plus rien, je ne ressens plus rien. Plus rien à part le poids de tous les regrets qui pèse sur mon âme.
Près de moi, mon père tâtonne avec difficultés, à la recherche de son arme à feu maintenant dissimulée sous le canapé. Mon cerveau, encore étourdi par ma chute, m'empêche de faire le moindre geste. Je suis prisonnière de mon propre corps, prisonnière de mes démons. Je suis condamnée à être le dernier témoin de l'entière destruction de ma vie sans plus avoir aucune chance de demander l'absolution à mon père, à l'agonie sous mes yeux implorants.
— Papa...
Un éclair illumine mon visage au moment où Robin presse la détente et s'écroule presque en même temps sous le poids de Shane. Une larme roule sur ma joue pour venir mourir sur le coin de mes lèvres et ma gorge laisse alors échapper un long cri silencieux, dont l'écho funeste résonnera dans l'infinité du temps jusqu'aux trompettes du jugement dernier. Un cri du néant, plus glaçant de douleur et de désespoir que le sifflement du vent de l'hiver. Plus strident que les hurlements des harpies des enfers. Plus déchirant que l'orage qui éclate au creux des montagnes. Le cri de la mort elle-même, qui entraîne mon âme meurtrie dans son sillage, jusqu'aux tréfonds du royaume des feux éternels.
Mon regard se perd dans le vide. Mon corps entier convulse. J'agrippe une main dans mes cheveux, si fort que j'en arrache plusieurs mèches. Je ne parviens presque plus à respirer. Ma vue brouillée par les larmes oscille entre des visions d'horreur et la réalité qui peine à s'en différencier. Mon cerveau bouillonne, renonce à tout ce qu'il a cru savoir un jour, pour s'abandonner aux griffes acérées de mes démons. Eux, qui déchirent alors les ultimes bribes de moralité qui subsistaient encore au sein de mon esprit, se délectent et s'abreuvent avidement de mes pleurs en célébrant leur sordide victoire sur ma raison perdue.
Je ne sais plus qui je suis, je ne sais plus ce que je fais. Je ne sais même plus pourquoi je vis encore.
Sous mes yeux ahuris, une main inconnue apparaît et part à la recherche de l'arme à feu de mon père sous le canapé avant de m'empoigner et de me soulever du sol. Je reste prostrée, incapable de réagir. Le cliquetis se mêle à l'acouphène et aux bruissements de toutes les voix qui résonnent à mes oreilles, jusqu'à ce que le contact froid du canon sur ma tempe les dissipe brusquement. Je ferme les yeux. À cet instant précis, mourir ne me fait plus peur. Mourir serait même plutôt une délivrance.
— Oh, Shane !
Cette voix.
Distrait de son éternel combat avec son chef, Shane relève la tête dans ma direction et écarquille les yeux. Instinctivement, Robin profite de ce moment d'incrédulité pour écraser son poing sur son visage avec l'ardeur et le désir viscéral de lui donner la mort.
Pourquoi je vis encore ?
Mon cœur se déchire et saigne un peu plus tandis que mon ultime raison d'être vacille en arrière, étourdi par la violence du choc. Le chef s'empresse alors de l'attraper par le col de son manteau pour mieux le propulser au milieu des débris de verre au centre de la pièce. Au même instant, Zara s'avance près d'un des deux fauteuils en face de nous et tente de s'interposer, au bord de la crise de nerfs et le visage en larmes :
— Desmond ! Mais qu'est-ce que...?!
Desmond.
Je suis la spectatrice impuissante de tout le drame qui se joue à présent devant moi. Tous les souvenirs défilent sous mes yeux comme un vulgaire film de série B. Desmond. Ses sourires, son air ahuri, ses encouragements et sa fausse compassion. Toutes ces images se bousculent aux portes de ma conscience, prêtes à céder sous l'assaut de toutes mes erreurs. Une nouvelle larme roule sur ma joue tandis que sur le sol, Shane recule face à Robin jusqu'à se heurter aux pieds du fauteuil à l'opposé de Zara.
Le chef prend alors une profonde inspiration et replace ses cheveux en arrière au moment où Desmond réplique, non sans une certaine lassitude :
— Oh, allez quoi, Z ! Tu pensais vraiment que j'allais rester à faire le larbin toute ma vie ? Tu pensais que je ne serais bon qu'à dealer un peu de coke avec des gosses de riche jusqu'à la fin de mes jours ? J'ai de l'ambition moi ! J'en ai toujours eu, depuis le jour où j'ai rejoint cette bande. Je voulais devenir le bras droit du Rouge-Gorge. Et ce soir, c'est un rêve en passe de devenir réalité.
Sa voix tremble d'excitation et je baisse la tête, désarçonnée. Tout ceci est surréaliste. Tout ceci ne peut pas être. C'est impossible. Desmond continue sa tirade, de plus en plus mal à l'aise face au regard de Zara :
— Tu vois, pour doubler Shane, il fallait que moi aussi je prouve ma loyauté au Rouge-Gorge. Il fallait que lui montre que j'étais prêt à tout pour être son meilleur homme de main ! Même à dénoncer ceux qui ne méritent pas d'être à cette place.
Le canon appuie un peu plus sur ma tempe. Je déglutis ; le glas résonne dans mon esprit tronqué. Desmond me tire nerveusement en arrière et reprend, d'une voix à peine audible :
— Je t'en prie. Ne me regarde pas comme ça. Il faut que tu me comprennes, Z. C'était la seule solution, tu le sais bien.
Elle se fige et son regard oscille maintenant entre mon ravisseur et son compagnon, qui s'avance lentement en direction de Shane, avec la parfaite nonchalance dont il a toujours fait preuve. Il essuie patiemment sa lèvre ensanglantée et vérifie les autres blessures de son visage avant de cracher sur le marbre blanc du salon. Face à la fracassante réalité qu'elle s'apprête à vivre, Zara vacille, pose une main sur le dossier du fauteuil et murmure alors d'une voix à peine audible :
— Oh, Desmond... Mais qu'est-ce que tu as fait ?
*
Shane
Les débris de verre sectionnent ma chair et s'enfoncent dans la paume de ma main serrée. Le liquide chaud s'écoule entre mes doigts et marque ma peau de longs filets rougeâtres. Mais peu importe la douleur. Peu importe l'issue que je dois affronter. Ils paieront. Même si cela doit être la dernière chose que je ferais sur cette terre. Ils paieront pour tout.
Le Rouge-Gorge jette un rapide coup d'œil à Zara, puis pousse un profond soupir de lassitude en se penchant un peu plus sur moi. Son souffle effleure mon front lorsqu'il me murmure, d'une voix anormalement calme :
— Non, ce n'est pas Desmond qui a fait le plus d'erreurs, mon frère. Tu le sais, ça. N'est-ce pas ?
Sans me laisser le temps de réagir, son pied heurte violemment mon ventre et me coupe le souffle. Une énième vague de souffrance me submerge et j'agrippe l'accoudoir du fauteuil avec force au moment où deux larmes de douleur et d'amertume s'échappent de mes yeux clos.
Ne jamais rester au sol face à lui. Jamais.
— Pourtant, je t'avais prévenu, non ? Je t'avais dit que tu avais une belle carrière devant toi, que tu pouvais tout réussir... Mais non. Toi, tu as décidé de gâcher cette chance unique que je te donnais. Tu as décidé de foutre toute ta vie en l'air. Tout ça à cause d'elle.
Robin agite son Beretta en direction de Roxane, qui fixe éperdument le néant devant elle, en profond état de choc. Son regard si vide et ses joues une nouvelle fois creusées par ses larmes font bondir mon cœur dans ma poitrine. Les affres que mon corps entier ressent n'ont plus aucune importance ; je ne dois pas le laisser s'en tirer, je lui ai promis. Je lui ai promis qu'il paierait pour tout ce qu'il a fait.
— C'est drôle quand même. J'arrive toujours pas à croire que tu aies pu penser à me trahir, Shane. Surtout toi. T'étais comme mon petit frère, c'est moi qui t'ai tout appris. C'est moi qui t'ai sorti de la rue. C'est moi qui t'ai donné un toit et de quoi manger tous les jours. J'ai été bon avec toi... Mais la vérité, c'est que j'aurais dû te laisser crever comme tu le mérites. Dans un caniveau, comme un sale chien.
Je me relève précipitamment à l'aide du dossier du fauteuil et me penche en arrière, esquivant du même coup le nouvel assaut de violence du poing de Robin à mon encontre. Excédé par mon geste insolent, ce dernier se redresse et agrippe alors mes cheveux pour me forcer à lui faire face.
— J'aurais adoré continuer à jouer avec toi, mais les flics ne vont plus tarder à débarquer maintenant. Alors, finissons-en. Une dernière volonté ?
Sans qu'il n'y prête attention, je glisse habilement ma main droite dans la poche intérieure de mon manteau et caresse délicatement ma dernière chance de survie. Soudain, Robin se redresse, son pistolet en l'air, et se retourne vers Desmond et Roxane en riant :
— Oh ! Mais où avais-je la tête ? Où est donc passée ma galanterie ? Les dames d'abord !
Le sourire machiavélique qui illumine son visage lorsqu'il pose les yeux sur Roxane me déclenche une série de frissons d'effroi. Le doigt fermement ancré sur la détente, Desmond la force à avancer vers Robin, tandis qu'elle fixe toujours le sol, amorphe. Je resserre le poing sur mon couteau, prêt à dégainer, au moment où le canon du Beretta s'approche du visage de Roxane. Si je tente quoi que ce soit contre mon chef maintenant, son sbire n'aura qu'à faire feu pour me priver à jamais de Roxane. Je serre les dents. Le Rouge-Gorge empoigne son menton et le tourne de droite à gauche sous mes yeux furibonds.
— Je suis au moins d'accord avec toi sur un point, Shane. Elle est belle. Très belle. Tu as bon goût en la matière. Mais ça, toi et moi le savons mieux que personne, pas vrai ?
Son regard noir de haine me transperce. Il délaisse le visage de Rox et m'attrape de nouveau par les cheveux.
— Pas vrai ?
— Je vois pas de quoi tu parles...
— Oh, que si ! Tu sais très bien de quoi je parle.
Desmond ricane et Robin relâche son emprise avant de se confronter directement à moi :
— Tu crois que je ne sais pas ce que tu fais avec Zara, quand j'ai le dos tourné ?
Mon cœur rate un battement et des picotements de terreur s'étendent sur l'ensemble de mon corps jusqu'à imprégner la moindre de mes cellules. De son côté, Zara titube et se préserve de la chute en s'appuyant contre le dossier du fauteuil près d'elle. Son teint est aussi blanc que celui d'un cadavre et sa mâchoire tremble d'épouvante. Robin se retourne dans sa direction en ricanant :
— C'est pas une magnifique révélation ça... ? Alors oui, vous pouvez remercier Desmond, mais pas seulement ! Il ne l'aurait jamais su sans l'aide de quelqu'un d'autre.
Le Rouge-Gorge se penche à mon oreille et je détourne le regard, renonçant à faire face à la vérité cinglante.
— C'est ta précieuse Roxane qui vous a balancé.
Je reste figé, incapable d'articuler le moindre mot. Je refuse de croire aux paroles empoisonnées de Robin. Mes yeux croisent alors ceux de Zara, noyés de larmes au moment où son compagnon se redresse et arme son Beretta en poursuivant à haute voix :
— La vie est sacrément mal faite. Je me tue à courir après Reese alors qu'en fin de compte, ce sont les deux personnes les plus proches de moi qui finissent par me trahir ! Mais peu importe ! Je vais vite régler le problème.
Soudain, il se tourne, lève son bras armé et l'écho de la détonation s'ancre à jamais dans les tréfonds de mon cœur et de mon âme. Les battements douloureux dans ma poitrine me supplient de mettre un terme à ce suspens insoutenable. Je braque alors la tête vers Roxane qui se tient droite, encore sous l'emprise de Desmond, les yeux clos et le souffle court.
En face d'elle, Zara est toujours debout, près du fauteuil. Elle me fixe. Elle me fixe comme elle ne m'a jamais fixé auparavant. Ses deux mains sont posées sur son ventre et elle demeure immobile, le teint blafard. Soulagé de ne voir personne d'autre agoniser sur le marbre blanc, je m'apprête à reporter mon attention sur Robin quand tout à coup, un large filet de sang surgit d'entre ses jolies lèvres roses. Zara tousse et souille son menton d'un sombre liquide écarlate. Les battements se figent dans ma poitrine. Ses yeux ne quittent plus les miens. Mon souffle tremble. Elle resserre nerveusement ses mains à présent rougies sur son ventre, masqué par son t-shirt noir et humide. Je me redresse, la douleur embue mes prunelles. Z vacille, l'espoir qui brillait dans ses pupilles s'échappe dans la fine gouttelette qui s'écoule maintenant sur sa joue. Une larme de tristesse, de regrets et de culpabilité qui vient s'échouer silencieusement sur le sol luxueux du salon de Roxane. Zara tombe à genoux. Elle tombe, sans jamais baisser la tête, sans jamais faire un bruit. Elle tombe, abandonnée par ses rêves et par ses espérances. Elle tombe et ses iris bleus me disent « je t'aime » pour la toute dernière fois.
— Zara... !
Le souffle impartial et glaçant de la mort soulève ses cheveux blonds au moment où elle s'écroule lourdement, face contre terre, et les yeux grands ouverts.
Le silence morbide qui s'installe dans l'appartement entier ne trouve son égal de pesanteur que dans mon sanglot de rage et de douleur qui résonne timidement autour de moi. Je pleure l'injustice de ce monde, l'avènement du désespoir et le drame de ma propre déchéance. Je pleure, mes larmes se mêlent au sang qui couvre mon visage. Je pleure, je ne sais plus quoi faire d'autre.
Devant moi, Robin se tient droit, inébranlable. Son regard ne daigne même pas effleurer le cadavre de Zara. Il observe inlassablement Roxane qui, les paupières toujours closes, encaisse tant bien que mal une énième mort dans les profondeurs de son âme meurtrie. Soudain, le Rouge-Gorge se retourne vers moi, un large sourire pervers ancré sur les lèvres. La bête sanguinaire qui l'habite savoure la moindre larme, de la moindre souffrance que j'endure. Elle se réjouit de ma peine et de mon désespoir. Elle puise sa force dans le chemin de croix que j'arpente inlassablement depuis le jour où Robin m'a assigné cette mission.
Je baisse la tête, éreinté par mes émotions et par mon corps endolori. Le bouillonnement en moi réveille des sentiments enfouis depuis bien trop longtemps. Pour la deuxième fois dans ma vie, c'est la mort qui s'apprête à murmurer à mes actes. Robin s'avance alors vers moi et plonge son regard d'acier dans le mien, attisant ma fureur dévastatrice, tout en me lançant, d'une voix suintant l'excitation morbide :
— Alors, Shane ? Ça fait quoi de se retrouver tout seul, comme il y a dix ans dans cette ruelle, mais sans plus personne pour te sauver, maintenant ?
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