Chapitre 14 - Partie II
Roxane
Brooklyn s'éveille au son des klaxons et des sirènes de police, dont les voitures arpentent inlassablement les rues de Big Apple. À l'heure où les noctambules troquent leurs habits de lumière contre des costards de croque-mort, la ville abandonne son aura féérique pour redevenir cette vaste jungle urbaine, où chaque précieuse seconde est sacrifiée aux pléthores du Dieu dollars.
Une légère brise matinale souffle dans cette petite rue que je découvre sous un nouveau jour. Le froid se glisse sous mon t-shirt et mord la chair de mon ventre ; je m'emmitoufle un peu plus dans ma veste en jean et presse le pas. Shane ouvre la voie devant moi. Muré dans le silence depuis les premières heures de l'aube, il ne parvient pas à masquer l'inquiétude qui transparaît sur son visage. À présent, sa démarche à la fois fébrile et vigoureuse trahit sa volonté d'en finir au plus vite.
Soudain, à hauteur du bar de Jack, il se stoppe net. Prise dans mon élan, je manque de le percuter, mais parviens à l'éviter de justesse et me place à ses côtés.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Shane observe longuement la Mini Cooper beige garée le long du trottoir, sans dire un mot. De nouveau, je tente de décrypter la moindre de ses expressions, en vain. Il se contente de m'adresser un petit sourire contrit avant de s'engouffrer dans les escaliers de pierre qui mènent à la cave de Jack. Ne pas obtenir de réponses à mes questions étant devenu une habitude, je lui emboîte le pas, résignée.
Lorsque Shane frappe le battant rouillé, une sensation de déjà-vu se réveille en moi. Je nous revois, quelques semaines plus tôt, devant cette même porte, le soir de notre premier rendez-vous. Une douce chaleur se répand sur mes joues et je reste en retrait derrière lui, une main timidement accrochée à son bras.
Quelques secondes plus tard, Jack apparaît devant nous, dans un accoutrement aussi cocasse que la première fois. Mon compagnon ne prend pas la peine de le saluer et s'engouffre dans la cave sans dire un mot. À son passage, le petit homme se décale nerveusement sur le côté. Je lui adresse un bref sourire, qui n'a pour conséquence que de le mettre un peu plus mal à l'aise. Jack paraît davantage en proie à la terreur que le jour de notre rencontre et ma conscience ne peut s'empêcher de me rappeler que ce sentiment ne s'installe pas sans bonne raison. Une raison que je perçois de jour en jour, mais que je refuse de voir en face.
Spontanément, ma main glisse jusqu'à celle de Shane. Propulsée par un instinct primaire, l'appréhension monte en moi par vague à chaque pas que je fais dans cette cave. Ses doigts entrelacent les miens, comme pour apaiser les craintes que ma crispation peut laisser paraître. L'endroit est désert. Le bar de Jack étant surtout fréquenté par des couche-tard avertis, ces derniers ont sitôt pris la fuite aux premières lueurs de l'aube. Shane se dirige vers le fond de la pièce, puis s'arrête devant un épais rideau de velours rouge, qui couvre une bonne partie du mur, juste à côté du bar. Je m'immobilise à mon tour à ses côtés et l'écoute me murmurer à l'oreille :
— Tu te souviens de ce que tu m'as promis ?
J'acquiesce d'un rapide signe de tête. Il sonde un instant mes prunelles avant de pousser un long soupir, dont le tremblement fait tressaillir mon cœur. Il me place ensuite en retrait derrière lui et écarte enfin le grand rideau rouge d'un revers de son bras.
Je fais un pas, puis un autre. Ses doigts relâchent les miens et me laissent en proie à une terrible sensation de solitude poignante. J'avance à pas comptés dans la pénombre, dissimulée dans son dos. Un silence de mort règne autour de nous, seulement brisé par les battements furibonds qui résonnent dans ma poitrine. Je ferme un instant les yeux.
Quand je les rouvre, l'endroit dans lequel nous nous trouvons n'a plus rien de l'atmosphère chaleureuse et cosy du bar de Jack. Les murs de briques sont dénués de tout ornement. Une ambiance pesante, presque lugubre occupe la pièce, mal éclairée par des néons blancs vacillants. Dans le coin de droite, un vieux tonneau rouillé sert de support à quelques cadavres de bouteilles d'alcool. Au centre, un large tube aux ampoules incandescentes illumine difficilement le sol, lui-même recouvert de curieuses traces de couleur sombre qui contrastent avec la clarté du béton.
— Shane... À l'heure, comme toujours. À l'heure, mais seul.
Shane se raidit devant moi. La voix légèrement grinçante qui vient de résonner face à lui me déclenche une série de frissons le long de la colonne vertébrale. J'ai le cœur battant à tout rompre. Un bref instant, je songe à tourner les talons et m'enfuir en courant de cet endroit sordide. Mais ma curiosité et ma volonté sont plus fortes que ma peur. Je déglutis lentement et prends une grande inspiration quand soudain, une forme glisse sur le côté et je me retrouve alors nez à nez avec une jeune femme blonde. Nos yeux se croisent, je serre la mâchoire ; c'est elle, Zara...
— Non, il n'est pas seul du tout.
Son ton est morne, froid, elle me fusille du regard ; point d'étonnement pour ma part. Shane en revanche, pousse un profond soupir et lui jette une œillade de biais. Il fait alors un pas sur le côté, puis un autre, jusqu'à me laisser apparaître. Je découvre un nouveau coin de la pièce, où ont été disposés de vieux fauteuils en tissu déchiré. Desmond est là. Il se tient debout, un pied appuyé contre le mur de pierre, les bras croisés dans son dos. Lorsqu'il m'aperçoit, il se redresse et écarquille les yeux avant de se reprendre et de m'adresser un timide sourire en coin. Son regard croise ensuite celui de Shane, puis dévie précipitamment vers le sol. Fuis, pars d'ici tout de suite, me crie encore ma conscience.
Devant lui, sur le petit canapé en tissu, est assis un homme d'environ trente-cinq ans, les cheveux bruns, lisses et parfaitement coiffés, dont seules deux mèches rebelles tombent sur ses yeux gris, parés d'un regard de glace. Sa chemise blanche légèrement entrouverte laisse apparaître les lignes d'un large tatouage qui orne sa poitrine, mais dont le motif reste bien dissimulé sous le tissu. Ses iris me détaillent de la tête aux pieds. Ils brillent d'une certaine curiosité que je ne saurais décrire, mais qui ne fait qu'amplifier ma sensation de malaise. Bien que son visage soit impassible, le charisme qui émane de lui me touche profondément et me laisse pantoise, sans que je sache vraiment pourquoi. Son air assuré si séduisant m'hypnotise tant et si bien que je n'ose pas détourner mes yeux de lui.
— Tiens, tiens. Quelle belle surprise tu me fais là, Shane...
Je déglutis, ce dernier pose sa main sur mon bras aussi bien pour me rassurer que pour m'inviter à m'avancer un peu plus. Je sens le regard pesant de Zara sur ce geste, mais je tente de ne pas y prêter plus attention.
— Roxane, c'est... Je te présente Robin. C'est lui qui... C'est mon patron.
Les yeux de Robin scintillent d'une étrange lueur transcendante, tandis qu'il se redresse sur son fauteuil.
Après encore quelques secondes d'observation, il se lève à brûle-pourpoint et ouvre ses bras dans ma direction. Un large sourire orne maintenant son visage et je reste immobile, sans trop savoir comment réagir face à cette soudaine apparence amicale.
— Cette fameuse Roxane ! Je suis heureux de te rencontrer... J'ai tellement entendu parler de toi ! Excuse-moi si je t'ai fait peur, je suis un peu... à cran en ce moment.
Il s'approche et passe ses bras autour de moi pour m'étreindre avec délicatesse. À ce contact, mon corps entier se raidit. Malgré le fait que Robin m'apparaisse à présent comme quelqu'un d'assez sympathique, ma conscience me somme de rester sur mes gardes. Par-dessus son épaule, je jette un rapide coup d'œil à mon compagnon. Shane se mord les lèvres et je ne peux m'empêcher de tiquer en voyant les regards furtifs qu'il lance en direction de Zara.
Après un court instant, Robin se détache de moi et m'adresse un large sourire que je lui rends timidement. Il jette ensuite un coup d'œil appuyé à la jeune femme qui nous accompagne, puis passe son bras autour de mes épaules et m'invite à le suivre en direction des fauteuils disposés devant nous. Ma rivale nous emboîte le pas, murée dans le silence.
— Je suis vraiment désolé de te recevoir dans un endroit aussi lamentable... Les temps sont durs en ce moment. Mais je t'en prie, mets-toi à l'aise, Roxane. Tu es mon invitée d'honneur.
Toujours debout en face de nous, Shane appuie son épaule contre le mur et plonge les mains dans les poches de son manteau. Encouragée par un signe de Robin, Zara s'approche de moi et me propose de lui confier ma veste et mon sac en tendant ses bras. Elle ne sourit pas, ne me regarde pas. Son mépris est tel qu'il pourrait faire plier le plus puissant des égos.
Une fois dépossédée de mes effets, Robin m'invite à m'asseoir à ses côtés sur le vieux canapé, tandis que Zara reste en retrait dans mon dos, se rendant invisible à mes yeux. Son patron m'adresse un franc sourire, puis commence sur un ton plutôt calme et rassurant :
— Alors, Roxane. J'imagine que si tu es là aujourd'hui, c'est que Shane t'a déjà parlé de moi ?
— Pas vraiment, non.
Il jette un rapide coup d'œil à l'intéressé, toujours appuyé contre le mur. Ses iris émeraude empreinte d'anxiété oscillent entre Zara et Robin, ce qui ne fait qu'amplifier mon état de nerf actuel.
— Oh, vraiment ? Au fond, ça ne m'étonne pas de lui. C'est un garçon très loyal, très gentil. C'est quelqu'un de bien. Il n'a pas eu beaucoup de chance dans sa vie, mais ça, tu le sais probablement déjà.
J'acquiesce d'un signe de tête, écoutant patiemment les propos de Robin pour étouffer les relents de jalousie qui émanent de mon cœur. L'atmosphère pesante accentue mon malaise. J'ai la bouche sèche, le ventre noué, et réalise à peine que Robin ait déjà repris son discours.
— On s'est rencontré il y a plusieurs années maintenant. C'était un garçon des rues oui, mais avec une volonté de vivre comme j'en avais rarement vu. C'est sa force et son envie qui m'ont convaincu de le prendre sous mon aile, de lui donner un avenir. Depuis, il est devenu plus qu'un ami pour moi. C'est comme mon petit frère, la personne en qui j'ai le plus confiance au monde...
Il marque un temps d'arrêt. Son regard de glace scanne Shane de la tête aux pieds, si bien que ce dernier semble tout à coup être dans ses petits souliers. Je rétorque alors, pour tenter de lui laisser une seconde de répit.
— Oui, il m'a dit qu'il vous devait beaucoup.
Mais Robin garde les yeux fixés sur Shane, qui hausse un sourcil, attentif à la suite du laïus de son patron.
— C'est vrai. Il me doit beaucoup. Mais je n'en attends pas plus de remerciements. Tu sais, quand j'ai vu ce petit homme d'à peine quinze ans presque mort de faim, sous son carton dans une ruelle, je n'ai pas pu résister. Je l'ai recueilli, je l'ai nourri et j'ai fait de lui ce qu'il est aujourd'hui.
— Vous avez fait de lui un voleur...
Je regrette aussitôt mes paroles et mords mes lèvres, comme pour ravaler les mots que je viens de prononcer. Shane sort lentement les mains de ses poches et croise les bras sur sa poitrine. Robin dodeline du chef et se recule, visiblement assez surpris par ma réflexion. Desmond s'agite sur le côté et relève la tête en direction de Zara, qui elle, reste muette, toujours dissimulée dans mon dos.
— Roxane, je sais que les gens de cette ville ont une vision très... archaïque de certaines bandes de voleurs, qui ont des affaires par ici. Mais tu peux me croire, je n'ai pas fait de lui un malfrat de bas étage. J'ai fait de lui un homme de valeur, qui connaît le prix des choses et de la vie. Dis-moi, est-ce qu'il t'a déjà manqué de respect ?
J'ouvre la bouche, puis la referme aussitôt. Poussé par mon cœur meurtri, le souvenir houleux de mes doutes sur sa relation avec Zara resurgit dans mon esprit. Toutefois, le moment est loin d'être opportun pour étaler cette histoire en public.
— Non. Jamais. Il a toujours... Toujours été parfait.
Shane croise mon regard, je baisse la tête, faisant tomber quelques mèches de mes cheveux sur mon visage empourpré. Robin reprend, patiemment :
— Tous les voleurs ne sont pas de mauvaises personnes. Quelques fois, c'est la nécessité absolue qui les pousse à faire ce genre de chose. Je peux te jurer que chez moi, il n'y a que des hommes de bien, à qui la vie n'a simplement pas laissé le choix.
Il marque un temps d'arrêt, puis replace mes cheveux loin de mon visage. Un sourire bienveillant est ancré sur ses lèvres. Je me raidis quand le bout de ses doigts vient effleurer la ligne de ma mâchoire.
— Malgré tout, entre nous soit dit ma belle, est-ce qu'il existe une manière de vivre plus grisante que celle qui ne respecte pas les limites ? Est-ce que tu connais une sensation plus délicieuse que l'adrénaline dans tes veines, l'excitation de se sentir vivante plus que jamais ?
Je relève les yeux et me noie dans ses prunelles de glace, hypnotiques. Shane se redresse en un sursaut. La main de Robin sur mon visage m'empêche de le tourner vers lui et me force à rester plonger dans son regard, comme un serpent paralyse sa proie. Je secoue alors frénétiquement la tête en signe, devant le large sourire de satisfaction de Robin.
— Je sais que tu viens d'une famille et d'un monde assez strict, Roxane. Crois-moi, je comprends ton étouffement mieux que personne. Mais si tu le voulais, tu pourrais t'affranchir de tous ces codes. Tu pourrais être libre et faire tout ce dont tu aurais envie. Qui sait, tu pourrais même être heureuse ! Parce que, plus important encore, tu pourrais l'avoir. Lui.
Mon cœur rate un battement et mes joues rougissent un peu plus au moment où Robin retire sa main de mon visage pour pointer le doigt en direction de Shane. Face à ma gêne apparente, il reprend, sur un ton suave et mélodieux :
— Je sais à quel point c'est difficile de faire accepter aux siens son amour pour quelqu'un qui ne vient pas du même monde, qui n'a pas la même éducation ni les mêmes moyens. Quelqu'un de tellement différent qu'il ferait presque tache dans le décor. Mais je te l'ai dit, Shane est comme mon frère et je ferais tout pour qu'il soit heureux... Pour que vous soyez heureux. Tous les deux.
Mon cœur s'accélère et mes joues rougissent un peu plus, trahissant les sentiments qui m'animent et incitant Robin à poursuivre de plus belle :
— Chez nous, tu sais, vous pourriez être ensemble, sans que quoi que ce soit vous en empêche. Peu importe que tu sois de Brooklyn ou de Manhattan, si tu fais partie des nôtres, personne ne vous jugera jamais. Personne ne se mettra en travers vous. Je peux t'en faire la promesse.
Je reste muette, fondue dans le silence qui meuble à présent la pièce. Plus personne ne bouge et seuls les battements d'espoir de mon cœur résonnent dans ma tête de manière désordonnée. Dévorée par la gêne que cause cette situation, je n'ose pas lorgner en direction de Shane. Mais devant mon hésitation croissante et mon air timoré, Robin s'approche un peu plus de moi et tourne délicatement mes épaules vers mon compagnon, qui fuit alors désespérément mon regard.
— Allons, Roxane. Tu ne voudrais pas pouvoir ressentir le plaisir que procure l'adrénaline tous les jours de ta vie ? Tu ne voudrais pas pouvoir vivre ton histoire d'amour au grand jour avec notre joli cœur ? Libres, sans limites... Les Bonnie et Clyde de New York City.
Nerveux, Shane fixe le mur contre lequel il est toujours appuyé. Je suis confuse, ma raison me somme de prendre conscience de la situation actuelle et du traquenard dans lequel je m'embourbe. Mais mon cœur, corrompu par sa jalousie croissante, n'appelle plus qu'à ne rester rien que pour garder celui qu'il a choisi, envers et contre tout. Ébranlée, je prends alors une profonde inspiration avant d'oser une question.
— Et qu'est ce que je dois faire pour... vous rejoindre ?
Tout à coup, Shane fait deux pas précipités vers nous en intervenant :
— Quoi ?! Non, Rox, qu'est-ce que tu...?!
— Shane.
— Il a raison, elle n'a rien à faire dans une bande comme la nôtre, Robin.
Ce dernier ne prête aucune attention aux paroles de Zara et fusille mon compagnon du regard. Un sombre mélange de terreur, de rage et de pitié se reflète sur son visage. Pourtant, les mots de ma rivale résonnent encore dans ma tête. La jalousie de mon cœur souffle qu'elle cherche à m'évincer le plus vite possible. Qu'elle veut me le prendre, me l'arracher et le garder loin de mes bras. À cela, ma raison me pousse à renoncer de toute urgence. Robin poursuit, me sortant du même coup de mes pensées encombrées :
— Rien de bien méchant, poupée. Tu sais, je n'ai pas de très grosses affaires. Je revends un peu de drogue, un peu de contrefaçon, par-ci par-là. Rien qui devrait te faire peur. De toute façon, si tu nous rejoins, tu resteras sous la bonne garde de ton amoureux. Après tout, il a déjà commencé ton initiation et avec lui, je ne pourrais pas être plus sûr de ta loyauté...
— Je ne peux pas m'occuper de Desmond et d'elle, Robin. Je...
— Desmond est prêt. Il n'a plus besoin de toi.
Ce dernier acquiesce d'un signe de tête plus ou moins assuré. Shane pousse un profond soupir de lassitude, ce à quoi Robin rétorque avec amusement :
— À moins que tu préfères qu'un autre lascar de chez nous ne s'occupe de la former ? Bien que ce ne soient pas de mauvais bougres, il faut dire que les filles sont assez rares dans notre bande et par conséquent, assez convoitées. Tu comprends, Roxane.
Il adresse un petit sourire charmeur à Zara. Je reste interdite, n'osant contredire aucun des deux hommes qui se tiennent devant moi. Shane agrippe la racine de ses cheveux, comme pour tenter de canaliser la colère qui semble s'être emparée de lui. Sans lui accorder plus d'attention, Robin sort une carte de son portefeuille. Il n'y a aucun nom, seulement un numéro de téléphone sobrement imprimé au centre.
— Je voudrais que tu prennes le temps d'y réfléchir, ma belle. Dès que tu te sentiras prête, je me ferai un plaisir de te faire vivre personnellement tes premiers pas dans la cour des grands. Bien entendu, je compte sur toi pour garder le silence. Ce sera notre petit secret.
J'acquiesce d'un bref signe de la tête et ose un rapide regard en direction de Shane. Il fixe le bout de ses chaussures, la mâchoire serrée, invisible aux yeux de Robin qui lui, m'invite à me lever. Zara s'approche de nous et me rend mes affaires en toisant étrangement Robin. L'expression déconfite qui orne maintenant son visage me donne un léger baume au cœur que je ne peux renier. Desmond pince les lèvres, confus avant de me saluer d'un geste de la main. Leur patron me gratifie d'une dernière accolade amicale — que j'accueille cette fois-ci avec beaucoup moins de crispation — puis reprend, un large sourire aux lèvres :
— À très vite, Roxane. Il me tarde d'avoir ta réponse. Maintenant, allez, mes petits tourtereaux. Soyez heureux et profitez bien de la vie. Oui, profitez-en bien. Elle passe si vite, si vous saviez...
Je m'éloigne de Robin sans ajouter un mot et enfouis la carte dans mon sac à main. Lorsque je passe devant Shane, il fusille une dernière fois ses amis du regard avant d'empoigner fermement mon bras et de me tirer violemment à travers le rideau rouge. Je titube, prête à rouspéter, mais m'abstiens de tout commentaire quand je croise ses iris emplis de rage qui me transpercent. Je décide alors de le suivre, sans ajouter un mot, la conscience en ébullition, la raison à l'abandon et le cœur... plus vivant que jamais.
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