Partie 9
Sarah :
Après une nuit tourmenté, la fatigue est là mais je me lève de bonne humeur ce matin, j'ai l'heureux pressentiment que Süleyman sera présent aujourd'hui. Cette idée me remplit de joie. Je me prépare avec soin, je veux voir ses yeux se poser et briller lorsqu'il me verra. J'ai besoin de me faire pardonner pour le rendez vous manqué. Quoi de mieux que de jouer sur le désir et l'élégance pour atténuer la rancoeur d'un homme ... Je prends le temps en réalisant un gommage doux, j'applique ma crème de jour en mettant la base pour finir avec le maquillage léger et discret afin de rester naturelle et sensuelle. Pour l'occasion je mets mon parfum de choix Miss Dior, je veux qu'il s'imprègne de mon odeur et lui laisser ce souvenir des sens à jamais ...
Le vent froid du matin sur mon visage ne fait que me rasséréner davantage, mon cœur se gonfle d'un bonheur insensé de le retrouver. J'en ai la certitude, il sera là. Mes yeux rivés sur l'horloge de la gare, je me dis qu'il n'est plus question que de quelques minutes.
Quand soudain je vois s'approcher dans la brume une silhouette masculine. Süleyman !
Mais mon enthousiasme s'éteint brusquement.
Son pas est lent, comme s'il rassemblait ses dernières forces pour venir vers moi. Il soutient mon regard avec un faible sourire. Je vais à sa rencontre, inquiète de le voir ainsi, il semble souffrant.
"Süleyman! Bonjour, je suis vraiment navrée pour hier. Je n'ai pas pu me débarrasser d'une cliente très en colère..."
"Ce... Ça va... Ce n'est pas grave."
"Süleyman... vous êtes si pâle. Ça n'a pas l'air d'aller?"
Je constate que ses lèvres sèches, et son visage d'une pâleur inquiétante. Brutalement son regard se perd dans le vague, comme si il me transperçait. Sa main s'accroche à la mienne, et je m'aperçois avec effroi qu'il tremble comme une feuille. Son index droit se soulève et je l'entends essayer d'articuler des mots dans une langue qui ressemble à de l'arabe :
"Achhadou la ilaha il-lallah..."
Brutalement son genou ploie et il s'effondre comme une bête de somme qu'on aurait assommée de travail.
Mon coeur se met à battre à toute vitesse, et je me mets à hurler, dans ce quai effroyablement vide :
"S'il vous plaît ! à l'aide! un médecin!"
Je m'agenouille et prends la tête de Süleyman sur mes genoux, je lui sers fort les mains:
"Süleyman ! Vous m'entendez ! Répondez Süleyman ! Vous êtes avec moi? ! Ça va aller, Restez avec moi Süleyman !"
Pour toute réponse, je n'ai qu'un faible gémissement, qui ne fait qu'augmenter mon effroi.
J'appelle les pompiers totalement paniquée en les suppliant de venir au plus vite.
Je contiens mes sanglots de toutes mes forces, en tentant d'éveiller Süleyman qui demeure inconscient.
Je me surprends à prier à haute voix :
Non Seigneur ! Si il y a un Dieu quelque part! Si Tu m'entends ! Je t'en supplie! Ne me l'enlève pas ! Pas maintenant !
Le corps de Süleyman ne répond à aucun stimulus, mes larmes finissent par se répandre sur mes joues et coulent sur son visage endormi. Ses paupières finissent par légèrement se lever. Je m'accroche à sa main frêle :
"Süleyman ! Ouvrez les yeux Süleyman !"
Les secours arrivent une dizaine de minute plus tard, qui m'ont semblé être une éternité. Ils lui prennent le pouls, mesurent sa pression artérielle qui s'avère dangereusement basse et le perfuse. Les pompiers me demandent si je suis son épouse. Je leur dis que je ne suis qu'une amie mais que je souhaite pouvoir les accompagner. Il est donc transporté aux urgences et assise à ses côtés je continue d'essayer de le stimuler pour qu'il reprenne conscience.
Arrivés aux urgences, une infirmière me demande les circonstances de son malaise, et sa carte vitale. Je lui explique comment Süleyman s'est effondré au sol, mais lui propose d'attendre qu'il reprenne conscience pour lui apporter la carte vitale. Elle me demande son nom, et je réalise que je l'ignore. Aussi désemparée que moi, l'infirmière me demande au moins une adresse, je lui donne la mienne rapidement, et vais rejoindre Süleyman qu'on a posé sur un brancard, dans la salle d'attente.
Il faut que je sois près de lui, que je m'assure qu'il reprenne conscience. Avec soulagement, je m'aperçois que la perfusion lui a visiblement fait du bien. L'infirmière nous rejoint et vérifie le taux de sucre qu'il a dans le sang en lui piquant le bout du doigt, et en mettant en contact la goutte de sang avec un appareil. Je vois ses sourcils se froncer et lui déclare :
"C'est une belle hypoglycémie Monsieur, êtes vous diabétique ?"
"Non..." lui répond il faiblement.
"D'accord... Je vais vous administrer une ampoule de glucose 30% qui va vous requinquer un peu." lui dit elle en le gratifiant d'un clin d'œil, avant de s'éloigner.
Süleyman attend qu'elle soit suffisamment loin pour me glisser à l'oreille, plein d'interrogation dans les yeux :
"Qu'est-ce-que signifie "requinquer"?"
Je trouve sa question adorable et le trop plein d'émotion me provoque un fou rire incontrôlable. Les yeux encore rougis par les larmes, je ris bêtement, comme pour remercier le Destin de m'avoir laisser Süleyman. Il me sourit sans me quitter des yeux et murmure doucement :
"Merci Sarah..."
Je le trouve tellement beau, même allongé sur ce brancard, mon coeur fond littéralement... Ma main se dirige naturellement sur son front, je dégage une mèche de ses cheveux lentement, et mes doigts effleurent sa joue tendrement :
"Süleyman, s'il vous plait, reposez-vous... ça va aller."
L'infirmière revient vers nous, et injecte dans sa perfusion une petite ampoule censée le remettre d'aplomb rapidement. Elle nous demande de patienter, qu'un médecin viendrait s'occuper de nous bientôt.
Mais l'attente n'était pas un problème pour moi. J'en profite pour poser des questions à Süleyman :
"Süleyman, est-ce-que vous mangez suffisamment et équilibré ? Vous avez des diabétiques dans la famille? Des antécédents médicaux ? Vous prenez un petit déjeuner le matin ?"
Mais Süleyman ne semble plus m'écouter absorbé par les informations qui tournent en boucle sur la télévision de la salle d'attente. Je finis par y prêter attention : il s'agit d'une déclaration du ministre de l'intérieur, qui s'engage à faire évacuer aujourd'hui même un camp de migrant situé dans un terrain vague , non loin de la Gare de Saint Denis. Une information somme toute banale par les temps qui courent.
Cependant je vois le souffle de Süleyman s'accélérer, comme pris de panique, il soulève tant bien que mal son torse du brancard. Il me regarde, haletant, et retire le pansement de sa perfusion.
"Qu'est-ce-que vous faites Süleyman ?!"
"Yanis...Je dois aller chercher Yanis..." répond il sans lever le regard vers moi, comme un animal perdu.
"Qui est Yanis?"
"C'est mon fils...Il est dans ce camp."
Ma gorge s'assèche brusquement
"Qu'est ce que vous dites Süleyman ?" Vous avez de la fièvre ? Attendez je vais appeler le médecin...
"Sarah non ! c'est trop long à expliquer... je dois y aller, laissez moi partir." me répond-t-il en rassemblant toutes ses forces.
Je me mets en travers de son chemin :
"Vous n'irez nulle part Süleyman, vous venez de perdre connaissance !"
"Sarah! Vous ne comprenez pas ! JE suis un migrant ! C'est là-bas que je vis ! Et c'est mon fils qu'on va me prendre ! Laissez-moi passer..."
Il ne peut s'empêcher, ses yeux rougissent, et je perçois des larmes se former sur ce visage qui m'anéantit par la douleur qui l'habite et le stresse qui s'empare de lui ...
Est ce que j'ai le choix ? Que puis-je faire ? Le laisser partir ? Non c'est pas possible ...
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