Partie 5

Le temps se dilate, j'ai le sentiment d'être au ralenti, comment vais-je tenir jusqu'à 17h45. Moi qui d'habitude trouve que mes journées sont trop courtes pour finir mon travail... Dès l'instant où il me quitte, le temps me paraît tellement long. Je me surprend à avoir peur de mes réactions, je m'emballe tellement vite que déjà je sens une boule au ventre.... Pourquoi est-ce que je m'accroche lui? Oui c'est vrai j'ai tendance à m'accrocher à la première personne qui est simplement un peu gentille avec moi, comme si ma vie en dépendait ? Mais lui c'est différent.

Pourquoi les prémices d'un bonheur dans ma vie sont toujours accompagnés d'une incontrôlable angoisse? Comme si je passais mon temps à m'attendre au pire, à vivre un drame, une trahison, comme si tout le monde complotait pour me voir souffrir.
L'horloge tourne inlassablement, telle une routine que rien ne viens jamais perturber me voilà encore et toujours face à ma conscience, à ma réalité ... me coucher seule, dans ce lit froid, tous les soirs, misérable je me trouve devant ce miroir où je tombe le masque des apparences lorsque le maquillage laisse place à ma vrai nature ...

J'ai parfois l'impression que toute ma vie, je me débats pour éviter de voir les choses en face, pour ne pas regarder ma douleur dans les yeux. Toute ma vie n'est qu'une comédie des apparences, mais le soir, devant mon plateau repas, je m'étouffe parfois dans mes larmes, comme si, soudain je prenais conscience de mon infinie solitude. Elle qui me colle à la peau, comme si elle m'éclatait au visage. Et le pire dans tout cela, c'est la certitude que je n'entendrai jamais une clef dans la serrure tourner le verrou, et une personne apparaître pour me serrer contre elle, me caresser les cheveux jusqu'à ce que je m'endorme. Cette certitude d'être profondément, irrémédiablement seule... Et ce la malgré le gratin de tout Paris que je côtoie tous les jours. Plus je côtoie les Hommes plus j'ai l'impression d'être une étrangère que nul ne peut comprendre ...

Et pourtant... Son simple souvenir est comme une lame de couteau qui me transperce l'âme. Je n'ai pas su être là pour elle, j'ai eu honte, j'avais ma vie, mes études, mes amies, mes objectifs, comme les autres...

Et je paye chaque jour mon orgueil, mon égoïsme. Je suis devenue à mes dépendants l'incarnation même de cette caricature de l'individualisme et de l'égocentrisme à outrance de nos sociétés "moderne" ...

Lorsqu'elle sortait à moitié nue dans la rue, en hurlant des obscénités, les cheveux en bataille. Lorsqu'elle est devenue ce genre de personne qui fait peur aux enfants, qui fait fuir les passants. Cette personne dont on s'écarte dans le métro, parce qu'elle dégage une odeur d'urine insoutenable. Cette personne dont on n'ose pas croiser le regard dans la rue, parce qu'on sait qu'on est en présence d'une détraquée mentale. Lorsqu'elle est devenue cela, j'ai pris mes distances. Ce poste de responsable des ventes dans l'industrie du luxe ne m'autorisait pas à salir mon image, j'étais au contact de personnes d'envergure au quotidien.

Et pourtant... C'était ma mère...

Oui celle qui dans la fleur de l'âge avait tout sacrifier pour moi ... Comment puis je oublier maman ton sourire? Comment me faire pardonner pour tant de lâcheté de ma part? Ton souvenir me hante, chaque ride que le temps a marqué sur ton visage sont autant de cicatrices que je porte sur mon coeur! Toi qui a perdu années après années tes cheveux au point que tu ne sortais jamais sans un fichu sur la tête ...

Pour me donner bonne conscience, je l'ai installé dans un institut spécialisé pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer dont les mensualités me coûtait quasiment le prix d'un loyer. C'était finalement le prix de ma lâcheté en achetant une tranquillité ... Mais je me disais qu'au moins là bas, on saurait la gérer. Que c'était ce qu'il fallait faire...

Je n'avais pas conscience, que même malade, ma mère savait. Ma mère ressentait tout. Elle savait qu'elle était l'une des seules patientes qui ne recevait presque aucun visiteur. Elle savait, que son sort n'intéressait plus grand monde. Enfermée dans sa maladie, elle se savait être un fardeau pour les autres.

Je ne savais pas, je pensais pouvoir la duper. Mais je ne faisais que me duper moi même...

Je croyais que la vie, c'était ça. Un job qui me plaît, une situation financière plus que satisfaisante, assouvir mes caprices du moment, me prélasser sur les plages d'une île paradisiaque en plein mois de Décembre. Je pensais contrôler. Mais je ne contrôlais rien. Rien du tout.

Je me suis enrichi d'insolence à l'encontre de la quintessence même des valeurs de la vie telle que la famille, la solidarité ...

Elle me suppliait de la laisser rentrer chez elle, que sa dignité en dépendait, qu'elle prendrait une infirmière à domicile pour son traitement et que tout irait bien. Je lui promis de m'occuper de trouver une infirmière à domicile à mon retour de vacances. Vacances au Mexique, qui m'avaient semblé bien méritées...

A mon retour, mon père divorcé de ma mère, comme une dernière volonté s'était débrouillé pour la sortir de l'institut en la ramenant chez elle...

Ma mère s'est éteint toute seule, chez elle. C'est une voisine, qui alertée par l'odeur, a fini par appeler les pompiers. Elle était déjà morte depuis trois jours d'après le médecin légiste.

On m'a dit que les causes du décès ressemblait à un surdosage en somnifère. Mais moi, je sais... Ma mère est morte de chagrin. Et de rien d'autre...

Elle est morte dans la douleur, dans le mépris. Dans l'ingratitude de sa fille unique.

Et depuis, c'est moi qui me meurt... J'ai à travers cette épreuve finalement appris à ignorer la vie au sens de ne savoir la savourer et de n'y prendre aucun goût...

J'ai beau montrer un visage tout autre, quelque chose en moi est mort avec ma mère.

Bien des fois, je suis retournée sur sa tombe, et pour me libérer de ce poids accablant qu'est la culpabilité, je m'agrippais à sa pierre tombale, comme une étreinte que je n'ai pas su lui donner de son vivant. Et je sanglotais des heures en lui demandant pardon...

Maman... Ô maman ! Pardonne-moi ! C'était moi qui avait le cœur malade, j'ai été aveugle... Pardonne-moi maman, toi qui m'a veillée quand j'étais souffrante, toi qui m'a poussée à choisir la voie qui me plaisait, toi la seule personne au monde qui te soit réellement souciée de moi... Comment ai-je pu briser ce lien, et te laisser quitter ce monde sans la chaleur humaine que tu devais réclamer si fort ? Comment ai-je pu rester sourde à ton appel au secours ? Aujourd'hui ton corps froid repose sous terre, mais c'est mon cœur qui ressemble à une pierre tombale...

Et je me tournais vers le ciel. Dans ces moment-là, on est tous un peu croyant :

Je T'adresse une prière. Il est indéniable que je ne suis digne d'aucun exaucement.

Maman, ma chère Maman

Pardonne-moi ! Je t'en supplie,

De nuit comme de jour,
Maman ! Mon cœur saigne,
Je n'ai su être à la hauteur,
De mon devoir, lâche je fus !

De jour comme de nuit,
Maman ! Ma raison m'assassine,
Je n'ai su être à tes côtés,
De mes obligations, indigne je fus !

Entre la nuit et le jour,
J'erre en mon fort intérieur,
A la recherche de ton pardon,
Pour une once de paix,

Entre le jour et la nuit,
Je vis la chute de mon âme,
De cet abysse qui est mien,
Je vis sans lumière ni sourire !

Pas une nuit,
Sans une prière au ciel,
Pas un jour,
Sans une litanie pour une grâce,

Maman, ô ma belle maman !
Seul tu as affronté la mort,
Maman,  ô ma douce maman !
Seul tu as vécu le périple de la vie,

Je me noie dans mes larmes,
Pour une prière sans écho,
Je me perds chaque jour un peu plus,
Sur une voie sans issue...

Maman, je n'ai plus de rime,
Maman, je n'ai plus de sourire,
Sans ton pardon, je suis une éclipse,
Sans ton amour, je suis un astre froid,

De là où tu es, pardonne moi ...

Certains racontent que le paradis est au pied de la mère, certes je ne suis digne de toi Maman et encore moins du paradis...

Mais sache ô ma tendre Maman, que je t'aime d'un amour à en mourir. Que Dieu t'accorde sa miséricorde et qu'Il m'accorde force et patience avant que je ne puisse te rejoindre. 

Me voilà arrivée devant le magasin, je tente de ravaler ces larmes qui menacent de couler et mets mon masque habituel d'executive woman. Mon visage se referme, ma voix devient directive et mon regard froid, l'élégance dégagée par ma tenue ... Me voilà avec ce masque que beaucoup porte chaque matin pour faire comme si tout allait bien ... répondre machinalement aux questions aussi idiotes que nécessaires de mes collègues "ca va tu vas bien? Ta passer un bon week-end " Et moi de répondre "oui très bien et toi" ...

Encore une journée sous le signe des faux semblants, du faste et de la futilité. Quand j'y pense, c'est tellement pas moi tout cela. Tellement pas ce que j'aurai voulu être...

Les clients s'apparentent parfois à des bêtes insatiables, à l'affût d'un souffle de vie, qui l'est a déjà abandonné depuis des lustres. Ils ne font que survivre. Ils se cherchent des stimulations nouvelles, s'inventent du rêve, et je participe à ce grand mensonge. Je leur vends ce rêve...

Mais au fond, eux et moi, savons combien nos existences sont tristes et vides de sens.

Une cliente, aujourd'hui, a fait une razzia dans le rayon des diamantaires, et s'est ensuite jetée sur les fourrures.

Elle semblait vouloir se purger de je ne sais quel mal en dépensant des sommes astronomiques. Dans le monde du luxe, on vous vend un plaisir éphémère pour vous donner l'impression que chaque dépense astronomique vous rapproche du bonheur pour que les autres ne peuvent s'offrir ....

Un mari infidèle, des enfants absents, une jeunesse qui la quitte... Peut être un peu tout ça en même temps...

C'est absurde, car il ne m'a rien promis, pourtant je me sens soudain chanceuse que Süleyman soit entré dans ma vie. Les seules émotions réelles que je peux vivre dans la journée, c'est lui qui me les procure...

La cliente décidée à tout acheter dans le magasin se met brusquement à agresser un vendeur. Attirée par ses cris, je me dirige vers eux pour essayer de calmer le jeu. Elle prétexte je ne sais quelle remarque désobligeante que lui aurait faite mon vendeur quant à son âge et le type de manteau qu'il pourrait lui proposer compte tenu de celui-ci. En m'approchant d'elle, je m'aperçu qu'elle dégageait une forte odeur d'alcool, et je sentais les larmes dans sa gorge lui donner cette voix étrange que l'on peut avoir avant d'éclater en sanglot.

Forcée de rester pour gérer la crise, je m'aperçois lorsque la dame s'en va, après nous avoir tous insulté de tous les noms, qu'il est 17h50...

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