Partie 4

Réveillée par mon excitation, je suis très matinale ce matin... Me voilà presque prête, un dernier coup d'œil devant le miroir, pour une fois je me vois différente , j'ai voulu jouer la carte du naturel, pour ne pas avoir l'air d'une désespérée qui se jette sur le premier venu. Mais un naturel travaillé, calculé, un naturel qui a quand même pour but de le séduire. J'ai laissé mes cheveux libres, un brush un peu flou, le teint éclatant (j'ai usé de tous mes talents de pinceaux au vu de la courte nuit que j'ai passé), la bouche rehaussé d'une cerise assez naturel, et les yeux légèrement maquillés. Mon trench beige noué à la taille et mes éternels escarpins noirs vernis, je suis telle qu'il m'a vu à notre première rencontre. Je veux le séduire d'une façon vraie, authentique. Il me donne envie d'être moi, de ne pas jouer, d'être aussi sincère que l'a été ce regard qu'il a posé sur moi hier.

Süleyman... Il me tarde de te retrouver...

7h50, je suis déjà à la gare. Je n'ai pas pu attendre, j'espérais tant le croiser avant le départ du train. Passer quelques précieuses minutes supplémentaires à ses côtés.

Ma démarche lente dissimule bien mon émoi, car intérieurement, je suis une bombe à retardement. Je sens presque un hoquet m'étrangler tant je suis nerveuse. Je balaie la gare toute entière du regard, en vain. Il n'est pas là...

D'un pas résigné, je me dirige vers le quai. Quasiment vide encore aujourd'hui. Le bruit de mes escarpins sur le quai brise ce silence aérien du matin.

Je n'ai pu m'empêcher de penser et repenser comment je devais le revoir et soudain, tirée de mes pensées, une voix que j'espérais tant se fait enfin entendre, derrière mon dos. "Bonjour..."

Il est face à moi, me regarde en souriant, et comme hier, j'ai un moment d'absence, un moment où je ne suis plus maîtresse de moi-même. Éblouie.

Encore plus beau que dans mes souvenirs... Ses cheveux noirs flottent légèrement dans le vent, et son regard me transperce littéralement. Et ce sourire, il va m'achever...

Comment le seul son de sa voix peut-il me retirer toute résistance. Comme le son d'une mélodie au saxophone qui vous enlace le cœur. Une caresse langoureuse...

Je n'ai pas le temps de répondre, qu'un bruit de tonnerre se met à gronder. Je sursaute et lève les yeux au ciel. En effet, il est d'un gris menaçant. L'instant d'après, il se met à pleuvoir à grosse goutte.

"Olala, je n'ai rien prévu pour la pluie... j'aurai dû y penser."

Ni une, ni deux, Süleyman, sans se départir de son sourire, retire son manteau et m'attire en dessous avec lui. Je me mets à rire de sa spontanéité, et en même temps je trouve ça... oui je l'avoue... très très romantique.

Nous voilà à quelques centimètres l'un de l'autre, je sens sa chaleur m'envelopper toute entière. J'en suis presque tétanisée. Son rire se mélange au mien pour finalement faire place à un silence un peu gênant.

"Je nous vous ai pas demandé votre prénom ?" finit il par dire, avec cette irrésistible bienveillance.

"Sarah" lui répondis-je, aussi rougissante qu'une jeune mariée.

"Sarah? répète-t-il. Ce n'est pas le prénom que j'avais imaginé..."

"Ah bon? lui dis-je surprise et amusée. Et quel prénom aviez-vous imaginé?"

"Je ne sais pas... Sophie."

Je pars d'un éclat de rire : "Sophie? Voyez-vous ça ! Pourquoi Sophie?"

"Je ne sais pas. Comme ça." Me répond-t-il dans un sourire, une candeur enfantine dans la voix.

Je craque. Je craque désespérément pour cet homme.

"Mais Sarah, c'est très bien. Sarah..."

Si les gens ne l'ont pas vécu, ils ne peuvent pas comprendre ce que nous vivons à cet instant. C'est comme un rêve, aussi pur que du cristal. Comme deux pièces d'un puzzle qui s'assemblent naturellement.

"Sarah, notre train entre en gare je crois."

J'aurai voulu ce moment plus long, et c'est déçu que je m'apprête à quitter notre doux abri improvisé. Quand brusquement, je sens sa main se poser sur ma taille, et qu'il me murmure : "Attendez... Il n'est pas encore là, je ne me pardonnerai pas une goutte de pluie sur vos cheveux."

"Süleyman... Je...Merci..." finis-je par articuler sans parvenir à décrocher mes yeux des siens.

"Il est là... Je crois..." me dit-il, décollant doucement sa main de ma taille.

Son trouble est aussi palpable que le mien. Cette tension entre nous est presqu'irréelle.

Nous montons finalement dans le train, tout aussi bouleversés l'un que l'autre, et convaincus que ce n'est que le début de ce vertige incontrôlable.

"Süleyman, je peux me permettre une question?"

"Je vous en prie... Sarah."

Je me sens défaillir à chaque fois qu'il prononce mon nom, il y met tant de volupté, qu'on dirait presque un secret.

"Vos traits et votre prénom... enfin je veux dire..."

"Vous voudriez connaître mes origines ?" me répond-t-il amusé par ma maladresse.

"Euh... oui, si ce n'est pas indiscret. En fait, ça m'intrigue, car je ne peux pas définir vos origines."

"Je viens d'un pays où l'on ne laisse pas une femme sous la pluie."

Je lui souris : "Bonne réponse."

"Je suis afghan." me répondit-il, prenant un air grave, comme s'il m'annonçait quelque chose de solennel.

"Vraiment? Vous êtes le premier afghan que je rencontre."

"J'espère faire honneur à mon pays alors." déclara-t-il en riant.

"Tous les afghans sont-ils des gentlemen comme vous l'êtes?" osais-je.

"Seulement ceux qui honorent leur mère, respecter une femme, c'est honorer le ventre qui nous a porté..."

Je ne m'attendais pas à cette réponse.

Son regard se perd dans le paysage morose, à travers la vitre. Comme si cette dernière phrase avait éveillé des douleurs anciennes, ou de vieux souvenirs enfouis.

"C'est beau ce que vous dites..."

"Merci Sarah... Et vous, où sont vos racines? Ici?"

"Oui, on peut le dire, mais mes grands-parents sont polonais de père et française de mère..."

"C'est intéressant. Vous y êtes déjà allé?"

"Pas vraiment..."

C'est bête, mais je n'ose pas lui dire que je suis d'origine juive. Je n'en ai pas honte. Mais j'ai peur de créer un mouvement de recul de sa part. Lui le musulman comment va t-il réagir ? J'aurai trop peur de le faire fuir, te tout gâcher ...

"Sarah, est-ce-que vous êtes juive ou chrétienne?" me dit-il, malicieusement.

Je masque mon malaise par un rire et un regard faussement espiègle pour le divertir vers autre chose ...
"Ai-je le physique ou les traits d'une femme juive ? Vous avez connu beaucoup de juive ? Mais... et vous est ce que vous êtes là depuis longtemps ?pour un afghan, votre français parfait... ." avouais-je.

"Non je suis ici depuis un an, j'ai eu la chance d'étudier votre magnifique langue, j'en suis tombée amoureux très jeune au point que j'ai voulu en faire mon métier ... "

"Je vous trouve fascinant, vous avez ce talent de la maîtrise des mots et de la langue .... "

Je suis soulagée, j'ai réussi à dévier la conversation pour ne pas dévoiler mes origines tout de suite ...

"Dites moi Süleyman vous écrivez ? Vous êtes professeur ? Vous travaillez dans quoi en France ?"

"Oui c'est vrai, je ne vous l'ai pas dit, ici mon diplôme n'est pas reconnu, alors je me contente d'un poste de responsable logistique ... "
Je sens comme un malaise chez Süleyman à ce moment, j'ai l'impression qu'il est gêné de se dévoiler plus ... Je fais mine de ne rien remarquer ...

" Et vous travaillé où ?"
"Je travaille à La Défense" me répond Süleyman comme un homme fier de pouvoir dire qu'il travaille dans ce quartier très feutré et moderne.

"Mais c'est du gâchis, ne comptez-vous pas revenir à votre métier de base professeur de lettre française ?"

"Un jour peut être Sarah, si le destin me sourit ..."

"Les belles rencontres sont les plus improbables." me dit-il en me gratifiant d'un clin d'œil... "et vous? Vous travaillez dans quoi ? Et où ?

Un peu gêné, je n'ose pas lui dire, mais bon, je me lance "Je suis directrice des ventes pour les produits de luxe au Printemps"

Sourire au lèvre Süleyman me dit comme avec ce regard très surpris et admiratif :

"Oh! Madame, mes respects, votre élégance et votre charme honore parfaitement le luxe et la beauté à la Française"

Il poursuit comme enchanté : " Sarah la parisienne!, j'ai l'impression que vous êtes l' une de ces héroïnes que j'ai lu dans la littérature française... "

Je pense qu'il a vu quel émoi il a su, une nouvelle fois provoquer, puisqu'il se met à rire en me prenant les mains.

"C'est vrai ?" lui répondis-je, sans retirer mes mains des siennes.

"Je descends ici Sarah... Vous le reprendrez ce soir?"

"Oui 17h45"

"Très bien, 17h45"

Je me sens comme Cendrillon à la fin du bal, la poitrine gonflée d'impatience. J'ai juste envie de crier dans ce train. Le bonheur, ce doit être cela...

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