Partie 15


Süleyman et Yanis ayant gagné la chambre, me voilà dans le salon. Fatima fini par débarrasser et me demand​e​ avec sa prestance habituelle :

- Madame, avez-vous encore besoin de moi ?

Je ne pouvais m'empêcher de lui poser la question qui me taraude l'esprit, de quoi parlaient-ils lorsque je suis allée les rejoindre vers la salle de bain ?

- Dite moi Fatima, de quoi discutiez-vous avec Süleyman ? ​J​'avais l'impression que vous vous connaissez depuis longtemps au vue des airs enjoués que vos visages affichés.

Fatima, ne s'attendait pas à cette remarque et question. Surprise elle me répond un peu gêné​e​ malgré sa volonté de ne rien laisser para​î​tre.

- Madame, Suleyman m'a raconté simplement d'où il venait, ses origines et nous avons parl​é ​de l'Islam, de la prière et de nos pratiques...Il ne voulait pas vous dérangez, lorsque je l'ai rejoint, je l'ai surpris en train de faire sa prière...

- Mais, il est incroyable, pourquoi ne m'a-t-il rien dit ? ​J​'aurais pu lui offrir un espace plus digne pour prier qu'une salle de bai​n.

​- Madame, je pense que votre convive est très timide et réservé, il a le souci de la discrétion, il ne souhaite surtout pas donner l'impression ou le sentiment de faire du prosélytisme. Mais ne vous inquiétez pas, je lui ai dit que vous étiez une personne d'une tolérance formidable. J'ai fait l'éloge de votre ouverture d'esprit. Je lui ai dit combien je vous apprécie​z​ malgré les préjugés que les gens ont de la relation entre juif et musulman ...

A cette remarque de Fatima, j'ai ressenti comme une décharge, je détourne mon regard des lumières que j'admire ce soir avec un regard diffèrent malgré le panorama habituel visible depuis mon balcon.
J'ai cru mal entendre, je repose la question à Fatima :

- Vous avez révél​é​ à Süleyman mes origines juives ?

Je sens le malaise gagner Fatima, elle baisse le regard tout en joignant ses deux mains devant elle, comme pour demander pardon. Elle me répond​:​

- Mais Madame si vous le permettez, je ne savais pas que cela ​était​ un problème, mes excuses sincèrement, mais vous devriez être fi​ère​ de vos origines, je ne vous comprends pas ? Pour le peu que j'ai discuté avec lui, j'ai pu constater sa sagesse et sa tolérance, vos origines juives ne sont pas un problème loin delà pour un homme cultivé et sage comme Monsieur Süleyman.

Malgré ces mots rassurant, mon air agacé est à peine voilé en raison de cette indélicatesse qu'elle vient de révéler que de sa manière si passionnée pour parler de Süleyman. Je me ressaisi comme si ce n'était pas grave. Je me dis, je n'ai pas le droit de la faire culpabiliser ​d​avantage pour une réalité que je n'assume pas ouvertement, que finalement​ tôt ou tard, il l'aurait découvert ma judéité. Je fini​s​ par rassurer Fatima et de lui dire :

- Ce n'est pas grave, vous pouvez regagner votre chambre. Une dernière chose Fatima, assurez-vous qu'il ne prie plus dans la salle de bain, indiquez lui un emplacement plus digne pour ses retraites spirituelles. Je ne sais pas, proposez lui le salon, la chambre ou pourquoi pas ma bibliothèque comme lieu de recueillement ?

Je constate sur le visage de Fatima comme un soulagement et un petit rictus démontrant une satisfaction, à la manière d'un pari gagné.

- Très bien Madame, vous pouvez compter sur moi. Je vous souhaite une très bonne nuit. A demain.

Je regarde Fatima, sortir de la pièce sans se retourner. Sa démarche est d'une élégance incroyable. Elle a tout d'une femme sensuelle qui ferait craquer n'importe quel homme si elle ne s'était pas interdite de tomber amoureuse depuis sa terrible déception et de son mariage arrangé qui a fini par voler en éclat...

J'ai le sentiment qu'elle ne m'a pas tout dit sur leurs échanges avec Süleyman. Au simple regard qu'elle a posé sur lui, j'ai détecté cette étincelle qui allume la braise du désir ... Mais comment s'avoir se qu'elle ressent pour lui ? Est ce que je ne me trompe pas ? Suis-je trop attachée à Süleyman, d'en être au point, de réagir comme si c'était mon homme ? Suis-je en train de vivre un début de jalousie ? ...

Une fois seul, je me prends à espérer que Suleyman me rejoigne une fois Yanis endormi.

Je finis par me lasser des milles pas dans le salon avec des pauses devant les grandes fenêtres habillées de rideaux soyeux au couleur chatoyant.

Malgré les émotions de la journée, je ne peux m'empêcher de penser à Süleyman. Celui pour qui mon cœur déborde d'affection et de tendresse.

Je n'en reviens pas encore, il est là, à deux porte​s​ de ma chambre. J'ai pu l'admirer, le contempler comme un modèle devant lequel on est en inspiration.
Je sens la fatigue me gagner, je finis par me diriger vers ma chambre. Passant devant la chambre Saint Exupéry, mon cœur me fait sentir ses battements. Je m'arrête un instant, d'un pas mesuré, je me colle à la porte de la chambre, mes mains posées en douceur sur ce bois vernis il y a peu, je ferme les yeux comme pour humer sa présence, entendre sa respiration et sentir ses vibration​s.

Le savoir là, derrière cette porte, me procure un tel bonheur que je me surprends à aimer cet appartement, que je trouvais depuis la mort de ma mère, si froid et horriblement sans vie malgré le confort indiscutable.

De peur de me faire surprendre, je finis par gagner ma chambre. La porte fermée, à la lumière de ma lampe disposée sur la table de chevet, je m'assois au pied de mon lit. Face au miroir qui habille une partie du mur, mon regard se fixe ​sur​ mon reflet à moitié éclairé, comme si mon corps voulait se faire remarquer, attirer l'attention.
Surpris par cette prise de conscience de ma propre présence, je me lève et avance vers le miroir​, d'un pas léger.

Les mains sur mes joues, j'ai l'impression de me redécouvrir, les yeux dans les yeux.
Ce phonème intérieur, d'habitude si pessimiste, me murmure la beauté, l'élégance et le charme d'une sensualité jusque là effacée ... Comme si, l'envi​e​ d'exister, de prendre du plaisir et de plaire devenait possible et prenait du sens avec la présence de Süleyman. Depuis que je l'ai rencontré, j'ai comme des papillons dans le ventre, une chaleur qui ne me quitte plus.

Je ramène mes cheveux sur mon visage cachant une partie de mes yeux, je finis par​ me​ sourire à moi-même. Je me trouve du charme, moi Sarah, qui ai tant haïs ma personne, je me trouvais encore il y a peu d'une laideur telle, que cela enrageait mes copines lorsque je leur disais​ que​ je n​'étais​ pas très gâté par la nature. Personne dans mon entourage n'arrivait à comprendre ma sévérité à l'encontre de mon physique.

Amusé par ce jeux du miroir, je fini par me déshabiller avec délicatesse, jusqu'à découvrir mon corps nu. Noyé dans mon propre regard, les mains posé​es​ sur mes seins, je perçois dans ce miroir, ce corps devenu étranger malgré moi, réclame le droit de plaire, d'être mis en valeur et de s'exprimer... Le bout de mes seins durcissent, je sens les vulves s'humidifiaient et ma peau se couvrir d'un effet "chair de poule" je ne comprends pas la réaction de mon corps qui d'habitude reste de marbre devant ce miroir. Voilà que ma féminité et ma sensualité se dévoilent devant les yeux de ma conscience. J'apprécie pour la première fois mes courbes, je me trouve belle telle une fleur que l'on expose au soleil.
Est-ce la conscience de la présence de Süleyman qui produit en moi un effet si fort ? Mes pensées, jadis si noir​es​, se dévoilent dans un parfum d'érotisme effleuré ... Etrange sensation et ressenti.
A force de culpabilité, de remord, de rejet, d'échec sentimental et de torture psychologique que je me suis affligée, je suis devenu une coquille vide, j'ai perdu l'estime de moi-même.
Devant ces cicatrises cachées, je ne peux retenir les larmes de libération et de soulagement qui brisent enfin cette carapace que des années d'épreuve​s​ ont fini par rendre imperméable à toute émotion​s​ ou sentiment​s​ profond​s​.

Chacun de nous à une lanterne où la lumière de l'espoir permet d'espérer que les rêves les fous soient entretenus.
Il n'y aura jamais assez de feuilles et de livres pour contenir la poésie d'une âme amoureuse, c'est ce que je ressens à l'instant même.

Chaque perle arrachée au coeur est une larme contenant de l'amour ou de la haine selon les états de l'âme... D'ailleurs je me souviens encore de ces vers que j'ai fini par écrire et apprendre par cœur lorsque j'ai perdu ma mère.
Je l'avais intitulé ce poème "Une émotion à Paris" :

" Entre quatre murs,
Me voilà sans écho,
J'entends mes souvenirs en murmures,
Voici une émotion sans mots.

Dans cette ville aux mille et une merveilles,
Nulle ne peut se valoir de pareille,
Sans âme ni chaleur,
Dans ce musée à ciel ouvert, une vie en demeure.

Une odeur, une image, un son en devenir,
Me voilà en évasion,
Un instant de passion,
Pour une douleur à venir.

Noyer dans la masse,
Dans ce labyrinthe fait d'impasse,
Je cherche une lanterne,
Dans cette ville en berne.

Dehors, Paris brille de mille feux,
Habité par des cœurs sans partage,
Empreints d'une foi en adage,
Dans une lueur d'espoir en ces lieux,

Chacun sa routine,
Pour une vie en roue libre,
Dans ces rues jonchées d'âme en ruine,
Ces esprits se meurent fossilisés dans l'ambre.

Paris égoïste, Paris sans cœur, Paris sans âme,
Vous invite à la table des extrêmes,
Fait de vous un être sans foi,
Dans cette ville de sang-froid,

Pour un destin en dérision, lancinant,
Paris animé par ses morts vivant,
Se lève et se couche sans réveil,
Pour une journée sans éveil.

Choqué par tant de misère sous ces parures,
Mon âme de cette souffrance pleure,
Dans le silence, avec patience,
Je me réfugie dans ma quête avec diligence

Ô mon Dieu, préserve mon cœur de cette déliquescence,
Fait que jamais mon cœur ne soit séduit par ces leurres.
En quête de ton amour par essence
De ma foi je paris sans peur. "

Chaque fois que je me rappelle ces quelques vers, mes larmes témoignes de ma souffrance silencieuse​.

Je finis par conclure que si je veux être à la hauteur de l'amour que Suleyman et Yanis ont besoin, je dois commencer par m'aimer, m'apprécier et retrouver un minimum d'estime​ de moi​. Comment venir en aide à autrui si l'on ne peut compter sur soi-même et avoir un minimum confiance en soi ?
L'esprit soulagé par se vent de renouveau, pour la première fois, je ne sens pas les douleurs de mon corps épuisé d'habitude par toutes ces heures à rester debout et à marcher des kilomètres dans ces galeries de luxe pour accompagner les clients et venir en aide à mes équipes.

Me voilà, sous ma couette, mon lit qui encore hier me semblait dépourvu de toute chaleur, me procure un sentiment de bonheur, de bien​-​être. Caressé et enveloppé dans la douceur de la soie, à mon insu, je constate que je suis un être fait de désir ; au point que j'ai l'impression d'être bombardé​e​ d'émotions sans rien pouvoir y faire. Mon cœur, mon corps, mes rêves et mes pensées mènent en moi une drôle de danse et pourtant, je ne dois pas paniquer... ces désirs peuvent être apprivoisés je me dis.

Le temps, de la tristesse et de la morosité, avait fini par effacer ma sexualité ... je suis si heureuse de ressentir à nouveau mon corps répondre aux vibrations naturelles du désir intime.

Chaque détail​s​, de la journée me reviennent à l'esprit. Pour une fois j'ai le sentiment d'avoir été à la hauteur de la situation. J'ai réussi à convaincre Suleyman de venir chez moi. Je n'en reviens toujours pas. C'est une satisfaction et un plaisir immense. Ce geste si anodin d'ouvrir sa porte, tendre la main, accueillir avec le sourire et donner un peu de chaleur humaine à un être traversant une épreuve difficile, me procure un plaisir inestimable. En réalité je me suis faite charité à moi-même, je me suis enrichie de tout ce bonheur qu'il porte en lui et que je peux ressentir et vivre aujourd'hui.

Emporté par mes rêves, je me suis endormi sans m'en rendre compte.

Réveillé par un bruit assourdissant à 6h45, je me précipite à la fenêtre pour voir ce qu'il se passe ?

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