Partie 12
En direction de chez Sarah ... Süleyman :
Une fois dans le taxi, je regarde mon fils Yanis à l'arrière de la voiture, Sarah le tient dans ses bras pour le réconforter. Je ne peux m'empêcher de penser à Sorayah que j'ai l'impression de voir en Sarah... Elle essuie ses larmes et lui fait des bisous pour le consoler... Malgré cette journée folle, je suis soulagé d'avoir retrouvé Yanis et de voir que Sarah ne s'est pas détournée face au voile levé de ma réalité ...
La voiture engagée sur le périphérique, le chauffeur surpris de l'affolement et de l'essoufflement perceptible sur nos visages me demande :
"Tout va bien ? Qu'est ce qui se passe ? Où dois-je vous conduire ? "
Je n'ai pas le temps de décrocher un mot que Sarah répond
" Place de l'Opéra s'il vous plaît Paris 9ème "
À cette spontanéité, je suis ému par ce geste qui vient du cœur sans calcul de la part de Sarah me démontre une fois de plus que c'est une femme exceptionnelle...
Nul doute je ne me suis pas trompé sur la générosité de cette femme. Mais je me sens mal à l'aise, je sais que ce n'est pas sans risque pour elle de vouloir héberger une famille de sans papier par les temps qui courent et avec cette politique du gouvernement qui se durcit ...
Après une ou deux minutes de silence, je déclare au chauffeur sur un ton ferme :
" s'il vous plaît arrêtez nous vers la Madeleine"
Le chauffeur répond :
" décidez-vous opéra ou madeleine ? "
Sarah rétorque avec un aplomb qui me surprend
" Monsieur direction Opéra De Paris, Süleyman laissez-moi vous aider, il est hors de question que je vous laisse dans les rues de Paris !! Si vous ne pensez pas à vous, pour l'amour du ciel, pensez à votre fils, il ne peut rester dans ce froid, dehors, vous êtes mes invités ... ".
À ces mots "pour l'amour du ciel" et "pour votre fils " , je ravale ma fierté et décide de répondre favorablement à la demande de Sarah je lui réponds :
"Sarah je veux pas vous causer d'ennuis, vous connaissez ma condition et celle de mon fils ..."
Elle me répond :
"Je ne veux pas savoir, on va chez moi, inutile de discuter ..."
" D'accord Sarah, je vous suis."
" Merci Süleyman je suis honorée par votre présence ..."
Soulagé pour Yanis d'avoir une adresse où dormir ce soir, mon corps se détend je repose ma tête contre la vitre et regarde le paysage parisien ...
Devant le défilé d' immeubles, j'ai l'impression d'être à la bibliothèque de Herat et de revivre la description du style parisien, unique au monde que j'ai tant étudier ...
J'admire, en oubliant presque d'où l'on vient et ce que nous avons traversé.
Je me souviens avoir lu quelque part que Paris doit ce style à l'Empereur Napoléon III qui lors d'un voyage à Londres, observa avec jalousie la modernité de la capitale anglaise et à son retour, décida de lancer un vaste programme de transformation de la Ville de Paris.
Ce projet magnifique mais ô combien pharaonique fût confié au Préfet de la Seine de l'époque: le Baron Eugène Haussmann.Le visage de Paris et sa transformation radicale s'est produit entre 1852 et 1870...
Depuis, la ville s'est enrichie et développée de manière si harmonieuse que le voyageur ou l'étranger passant par là s'émerveille devant chaque détail...
Notre taxi se faufile de boulevard en ruelle, happé par la beauté extérieure, je suis comme ébloui. En fascination devant les grands boulevards, ces parcs, ce réseau de transports, l'ingéniosité des canalisations et du système d'assainissement...
Au 2ème étage qui est l'étage noble des immeubles haussmanniens, ces derniers sont réservés aux familles les plus riches, le but est de leur éviter d'avoir trop de marches à grimper. [Rappelons que l'ascenseur ne date que de 1870.]
Je disais souvent à Sorayah que nous irions vivre dans un de ces immeubles, pour pouvoir respirer avec elle l'air du matin, à la pointe du jour, sur ces balcons romantiques, me promener en lisant mes auteurs préférés, transmettre à Yanis notre passion de langue française de sa culture : Arthur Rimbaud, Beaudelaire, Victor Hugo, Ibn Arabi, Chateaubriand..
Sous ces hauteurs sous plafond très importantes, de riches ornements habillent les façades.
Des vers de Baudelaire me traverse soudain l'esprit :
"Les riches plafonds
Les miroirs profonds
Tout y parlerait
A l'âme en secret
Sa douce langue natale..."
Moi, l'étranger, ressens comme un sentiment de déjà vu, comme si j'avais déjà foulé le sol de cette ville, que mon âme a toujours habité ici et là, dans une autre vie...
Ces façades en pierre taillées, les immeubles d'un même îlot de même hauteur me plonge dans un rêve éveillé, tout est proportionnelle à la largeur de la rue. Un équilibre parfait. Tout n'est qu'ordre et beauté. Je constate que les immeubles ne comportent tous que six étages, caractéristique propre de ce style.
J'ai l'impression de revivre ces scènes de films que j'ai tant regardé dans ma jeunesse avec ces balcons aux 2ème et 5ème étages qui habillent l'ensemble, le plus souvent « filants » (sans interruption de part et d'autre de la façade).
Que dire de ces magnifiques moulures et corniches donnant le cachet si particulier des ces immeubles et finissent de décorer l'ensemble. J'étais fasciné par Paris depuis toujours, mais ce voyage au coeur de la ville lumière me fait prendre conscience, malgré ma douleur présente, combien je suis amoureux de cet endroit, de ce style et cette magie où la romance se lit au fil des rues et immeubles qui forment à mes yeux un musée à ciel ouvert ...
Je sors de mon rêve durant ce court voyage place de l'opéra.
Voir que Sarah paie le taxi me gêne terriblement, mais je n'ai même pas de quoi offrir un morceau de pain à mon fils...
Dans ma culture un gentleman ne laisse jamais une femme payer quoi que ce soit ...
Nous entrons dans l'appartement de Sarah. L'entrée est majestueuse, le plan intérieur typique d'un appartement haussmannien s'offre a mes yeux.
Ce décor agencé avec sobriété et raffinement vient sublimer les pièces en enfilade au niveau de la façade avec un salon, et une salle à manger. Les pièces d'eaux donnent plutôt côté cour intérieure.
Si le rez-de-chaussée était fait pour accueillir des boutiques et le 1er étage pour loger leurs gérants, le 6ème et dernier étage était réservé aux domestiques, d'où le nom de « chambre de bonne ».
Sarah appelle aussitôt Fatima qui descend nous accueillir.
Sarah amusée de nos mines ébahies, saisie la petite de main de Yanis qui semble intimidé dans pareil endroit, et se met à sa hauteur :
"Yanis, mon grand, tu vois cette gentille dame s'appelle Fatima, lorsque tu auras faim, ou besoin de quoi que ce soit, tu n'auras qu'à le lui demander, d'accord ?"
Yanis baisse les yeux, aussi gêné que moi devant Fatima qui devient un témoin de plus de notre misère et de nos malheurs....Mon fils a beau avoir connu la misère, il a autant de mal que moi à accepter la charité des gens. Sarah ressent ce mouvement de fierté, et lui dit, comme pour le rassurer :
"Tu es mon invité Yanis, je veux que tu te sentes comme chez toi ici, d'accord ?"
Yanis lève des yeux émus vers elle. Et me regarde furtivement du coin de l'œil comme pour avoir mon consentement pour acquiescer d'un geste de la tête en guise de réponse. Cet enfant a grandi si vite. A son âge, il devrait ne connaître rien d'autre que l'insouciance, le confort et les jeux ...
Mon cœur se brise quand je réalise le décalage qu'il y a, entre mon enfant, et cet endroit. Ses joues sales, ses cheveux mal peignés, ses vêtements rapiécés, dont le pantalon dévoile ses chevilles toutes frêles. Des baskets trouées, et des manches ourlées de boue. J'ai envie de serrer contre moi, ce petit être sur qui le sort s'acharne. J'aimerai tant lui donner, mon fils, la chair de ma chair. Mais je ne possède rien d'autre que la force de mes bras, et cet amour plus puissant que tous les empires du monde.
Sarah arrive avec des vêtements propres et nous propose un bon bain chaud avant de passer à table, plus tard elle me dira que se sont les costumes qu'elle avait acheté pour Avigord ... Mais je n'étais pas en position de lui demander plus sur Avigord, même si cela me démange d'en savoir d'avantage sur cet inconnu qui a occupé le passé de Sarah...
Comme elle n'avait pas de vêtements à la taille de Yanis, elle apporta un peignoir et demanda à Fatima de faire le nécessaire dès demain matin ...
Devant autant de bonté venant de Sarah, mon coeur ne peut contenir son émotion lorsque je me retrouve devant le miroir de cette magnifique salle de bain ... J'ai l'impression que mes prières ont été entendu ... Moi qui ne possède rien en ce monde, qui vivais dans un taudis infecté de rats il y a à moins de 24 heures, je suis là dans ce luxe, chez une inconnue au charme troublant... Est ce que le destin me sourit enfin ? Je me prends à rêver d'un autre avenir ...
Je m'interroge, pourquoi autant de générosité ? Pourquoi autant de dévouement...
Lorsque j'ai fini de prendre ma douche car il m'est inconcevable de prendre un bain et de gaspiller autant d'eau, mon regard s'arrête devant le miroir. Un sentiment de culpabilité me gagne, intérieurement je me demande " comment peux tu vivre dans ce luxe ? As tu oublié qui tu es, et d'où tu viens..."
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