𝟧𝟨. 𝐿𝒶 𝒹é𝒸𝒾𝓈𝒾𝑜𝓃 𝒹'𝓊𝓃𝑒 𝓋𝒾𝑒


J'ignore combien de temps je reste ainsi, la main plaquée sur le ventre de Chayyim, mes yeux effarés refusant de regarder autre chose que cette proéminence que j'ai mis tant de temps à remarquer. Mon cerveau refuse de fonctionner, mon cœur de battre. Je ne comprends plus rien.

— Que voulez-vous dire ? demandé-je d'une voix blanche.

Si je ne le vois pas, je continue à sentir le regard suppliant de Chayyim posé sur moi et cela m'est insupportable.

— Il s'agit de votre enfant, Kahn, de notre enfant... Je ne pouvais pas le perdre, je... Je suis désolé...

— Vous vous moquez de moi...

Je ne parviens pas à faire le tri dans mes pensées. Par tous les dieux, qu'est-il en train de se passer ? Chayyim ? Qui attend un enfant ? Notre enfant ? Moi, être père ? Tout ceci est insensé, ridicule, impossible ! Quelle plus cruelle farce que celle-ci ?

On lui a menti ? Alors c'était donc ça ? Plutôt que prendre le risque de destituer un roi progressiste aimé de son peuple, on a préféré faire porter le fardeau de l'infertilité à son oméga ? Mais cela n'a aucun sens ! L'existence-même de Chayyim est mille fois plus précieuse que toutes les réformes menées par le roi ! Pourquoi avoir favorisé celui-ci à son oméga ? Pourquoi avoir laissé Chayyim dépérir et croire à ces mensonges ? L'auraient-ils laissé mourir sans jamais rien lui révéler de sa vraie valeur ? Je ne peux y croire... Tout ceci est inimaginable.

— Kahn, s'il vous plaît, regardez-moi, supplie une nouvelle fois Chayyim. Je ne veux rien vous imposer, ce n'est pas la raison de votre présence ici... Mais je ne pouvais pas perdre cet enfant, c'est le nôtre, vous comprenez ? Le nôtre, le fruit de notre amour, répète-t-il d'une voix brisée. Dites-moi que vous comprenez au moins cela...

Mais je ne réagis toujours pas. Mes oreilles sifflent, mes entrailles se contractent affreusement. Et tapie au fond de mon cœur, l'envie de fuir le plus loin possible cherche le meilleur moment pour remonter à la surface et tout gâcher.

— C... Comment ? bégayé-je d'une voix rauque. Depuis quand ?

— Je m'en suis douté dès le premier jour de notre retour à Ma'la, avoue Chayyim en me fixant d'un air toujours inquiet. Quelque chose en moi était certain qu'il s'agissait de cela alors que c'était a priori totalement impossible... L'angoisse a commencé à me submerger et le soir-même, j'ai prié Aylan de ramener au palais l'un des meilleurs médecins des faubourgs... qui a confirmé cela. Je... J'aurais dû vous prévenir, je suis désolé, je sais que vous étiez toujours au palais, mais tout m'a semblé soudainement si terrible, si dangereux... Je ne voulais pas vous mettre en danger, j'étais terrifié à l'idée qu'il vous arrive quelque chose et de perdre cet enfant. Je voulais vous protéger et...

— C'est pour ça que vous avez partagé la couche du roi tous les soirs ? le coupé-je brusquement, me souvenant de cette affreuse rumeur qui avait alors tant fait souffrir mon cœur.

Un nouveau regard désolé se pose sur moi mais il ne fait que retourner davantage mon estomac. Les dents serrées, j'ai conscience de m'appesantir sur des détails sans importance et d'adopter un comportement inconvenable, mais je ne sais plus où donner de la tête.

— Il fallait que je sauve les apparences, s'excuse Chayyim d'une voix éraillée. Au cas où ma grossesse vienne à être découverte... Je... Par tous les dieux, Kahn, je n'ai jamais voulu de cela ! Tout ce que j'ai fait, c'était pour vous protéger. J'aurais tout donné pour être dans vos bras mais je n'en avais plus le droit. C'était trop dangereux, je ne savais plus que faire... Alors j'ai décidé de vous éloigner du palais.

Cette fois, mes yeux consentent à remonter jusqu'aux siens et, immédiatement, mon envie de fuir n'en devient que plus prégnante.

— Je ne cherche pas à vous imposer la responsabilité de cet enfant, insiste-t-il cette fois d'un ton plus ferme, comme s'il devinait ce qui se tramait dans mon esprit. Mais je ne peux le perdre, il est bien trop précieux pour moi et pour ce monde. Or, il s'agit d'un enfant d'alpha et sans vos phéromones, le bon déroulé de cette grossesse est remis en question. J'ai réussi... J'ai réussi à tenir les premiers mois grâce aux phéromones qu'il restait sur votre cape mais désormais... je n'en peux plus, Kahn, j'ai besoin de vous... Tout cela m'épuise, je ne tiens plus... Je veux tellement cet enfant... Il ne peut pas naître maintenant, cela ne ferait que sept mois... pas maintenant...

Comme précédemment, parler autant l'épuise et il ne parvient pas à finir sa phrase. Sa tête roule pitoyablement sur son épaule tandis que ses doigts se referment à nouveau désespérément sur ma cape qui ne doit plus porter mon odeur depuis un moment.

L'émotion est telle qu'elle m'empêche de parler. J'ignore ce que je souhaite le plus entre me précipiter sur lui pour le prendre dans mes bras, le rassurer et lui promettre que je resterai à ses côtés jusqu'à la fin des temps, ou fuir le plus loin possible, tout abandonner derrière moi et ne plus jamais revenir. Partir et tout faire pour oublier cette relation et ses conséquences.

Parce que bordel, que ferais-je d'un enfant ? Chayyim dit qu'il ne s'attend pas à ce que j'en prenne soin mais il s'agit du mien par tous les dieux ! Que pourrais-je faire d'un enfant ? Je n'ai ni toit ni situation stable. Cela fait quelques mois que je gagne de l'argent grâce à la guerre mais ensuite ? Vais-je le traîner derrière moi sur les chemins, exposé aux brigands, au Vice et aux Bulles ? Jamais, de toute mon existence, je n'ai songé un jour à la possibilité d'avoir un enfant. Non seulement mon orientation sexuelle me l'interdisait, mais ma vie toute entière est façonnée de sorte à ne pouvoir accueillir un enfant. Je n'ai rien à lui offrir. Je n'ai jamais eu de modèle parental. Je suis violent et égoïste. Il ne pourrait que souffrir.

Et puis, qui voudrait se vanter d'avoir un alpha comme père ? Cet élément est peut-être le pire avec lequel il pourrait commencer sa vie. Si cela vient à se savoir, il ne connaîtra que brimades et discriminations, tortures et rejets. On le frappera, on le brûlera, on cherchera à le vendre à un marchand d'esclaves. On le tuera sûrement, dès les premières années de sa vie.

Mais peut-être qu'au fond, Chayyim ne souhaite aucunement que je m'investisse dans mon rôle de père. Peut-être souhaite-t-il seulement que je l'aide à parvenir jusqu'au terme de sa grossesse pour pouvoir ensuite me renier comme il l'a si facilement fait quelques mois plus tôt. Il n'est pas stupide, il sait les funestes conséquences qu'engendre le fait d'avoir un parent alpha. Il ne voudra pas imposer cela à son enfant, peut-être même ne voudra-t-il pas se l'imposer à lui-même. Comment assumer être le partenaire d'un alpha ? C'est une honte, une abomination... Et ce n'est même pas mon partenaire, ce ne le sera jamais ! Aurait-ce été plus simple si nous étions liés ? M'en veut-il d'être le père de son enfant maintenant qu'il sait que n'importe qui aurait pu l'être ?

Submergé par mes pensées et émotions, je me redresse brusquement et me précipite vers la sortie de la tente. Les pans de tissu volent derrière moi alors que je m'extirpe dans la froideur cisaillante de la nuit, faisant sursauter Aylan, Naya et Nilo qui m'attendaient à quelques pas de l'entrée.

Mes amis se hâtent à ma poursuite lorsqu'ils me voient m'enfoncer toujours plus loin dans l'obscurité tandis qu'Aylan crie mon prénom dans mon dos. Mais je n'entends rien. Je ne veux plus rien entendre.

L'angoisse m'inonde de toute part.


***


La lune est pleine ce soir. Sa lueur blafarde découpe la cime des arbres comme la crête ciselée d'une montagne. Au-dessus, accrochées à la voûte céleste qui a protégé bon nombre de mes états d'âme, les étoiles scintillent de tout leur éclat. Au loin, derrière la forêt, les lueurs du campement de l'armée de Lem'ha brillent dans la nuit. De rares hiboux hululent.

Je devine la présence de Naya avant même de l'entendre. Cette aura forte, puissante et si calme à la fois. Elle s'approche lentement de moi avant de se laisser tomber à mes côtés sur le promontoire rocheux qui surplombe la vallée.

— J'ai failli ne pas te trouver, commente-t-elle d'une voix douce.

Ne voyant pas l'intérêt de lui répondre, je continue de fixer la lune. Si mon enfant naît, où que nous soyons, ensemble ou pas, nous contemplerons la même lune chaque nuit. Et je ne sais toujours pas ce que cela me fait.

— Tu te souviens du jour où Ronh est tombé dans un marécage et ne parvenait pas à en sortir ? continue mon amie tout en regardant au loin. Il paniquait et s'enfonçait un peu plus chaque seconde. Sur le coup, personne n'a su comment réagir parce que lui venir en aide supposait de se mettre soi-même en danger. Le seul qui n'a pas hésité une seule seconde, c'est toi.

Ma mâchoire se crispe mais je ne lui réponds toujours pas.

— Et la fois dans le Massif des Neiges Éternelles, quand je suis tombée dans une crevasse et que tu m'y as rejoint pour me soutenir tout en sachant très bien que nous allions nous faire ensevelir par un éboulis ? Nous sommes restés cinq jours coincés, sans manger et en léchant l'eau des roches. Et à Vae, quand nous avons traversé un village décimé par le Vice et que tu as pris l'initiative de sauver les enfants sains et d'achever les contaminés pour abréger leurs souffrances, est-ce que tu...

— Qu'est-ce que tu cherches à faire ? la coupé-je brusquement, une colère sourde coincée au fond de l'estomac.

— Je te montre que tu es beaucoup moins égoïste que tu ne le penses. Je te montre que tu te soucies des autres et que tu es capable d'en prendre soin.

Mon regard croise brièvement le sien dans lequel je ne vois qu'une calme assurance. Un soupir m'échappe.

— Aylan t'a raconté ? lui demandé-je en me frottant les paumes sur le visage.

— Oui, il nous a tout dit. Kahn... Assumer ou non cet enfant dépend de toi, c'est un choix que je ne peux prendre à ta place, mais si tu crains de ne pas être capable de te montrer à la hauteur, alors je dois te détromper.

A nouveau, mes yeux croisent les siens et je comprends qu'elle croit ce qu'elle dit, elle n'en a aucun doute. Ses prunelles noires me dévisagent à la fois avec tendresse et sérénité.

— Il y a mille façons d'élever un enfant, reprend-elle doucement, et tu n'en es pas moins capable qu'un autre.

— Qu'est-ce que je pourrai lui apporter ? soufflé-je douloureusement. Je ne suis qu'un alpha mercenaire, je n'ai pas de chez-moi, je tue pour gagner ma vie et j'ai abandonné toute morale pour l'argent. Je suis chassé et méprisé partout où je vais. Qu'est-ce qu'il pourrait voir en moi dont il serait fier ? Qu'est-ce qu'il pourrait apprendre de moi ?

— La force, le courage, la résilience, la solidarité, la détermination, le pragmatisme, l'indépendance, la débrouillardise, la connaissance des hommes et de la nature. T'en veux d'autres ?

Choqué, je reste bouche bée face à sa tirade, le cœur battant un peu plus vite contre mes côtes.

— Je te l'ai dit, Kahn, tu as beaucoup plus à apporter que tu ne le penses. Tu n'es pas que le mercenaire brutal et insolent qu'ils ont voulu que tu sois, tu es bien plus que cela. Et toi comme moi savons très bien que L'Oméga n'y est pas pour rien. Tu me l'as dit toi-même, tu ne t'es jamais senti aussi bien qu'à ses côtés, il éveille en toi des pans de ta personnalité que tu ne t'es jamais autorisés à afficher en plein jour. Tu as autant à apporter à un enfant qu'un autre, peut-être même plus. Je ne dis pas que cela sera facile, mais ce n'est pas impossible. Nous nous débrouillerons. S'il faut garder un enfant parmi nous, nous trouverons des solutions. Nous en avons toujours trouvé, pas vrai ?

Elle m'adresse un petit sourire auquel je ne peux que répondre malgré moi.

— Chayyim ne voudra pas que l'enfant reste avec nous, soupiré-je en sentant à nouveau mon estomac se contracter, ce serait ridicule. Même moi ce n'est pas ce que je souhaiterais pour un gamin.

— Qu'en sais-tu ? rétorque mon amie. Tu lui as demandé ?

— Non mais... Je ne sais même pas si moi je veux de ce gosse dans la horde. Je m'inquièterais constamment, il serait exposé à tous les risques, il nous rendrait vulnérable, il serait malheureux...

— Arrête avec tout ça. Un gamin a besoin d'amour, c'est tout. Si tu es prêt à lui en donner – et c'est uniquement sur cela que tu dois te concentrer pour prendre une décision – il sera heureux. Et toi aussi.

— Mais Chayyim...

— Cesse de parler à sa place. Tu n'as aucune idée de ce qu'il désire réellement, je suis sûre que tu n'as pas cherché à le savoir. Il a juste essayé de préserver tes sentiments, mais rien ne dit qu'il ne souhaite pas que vous éleviez cet enfant ensemble.

Nouveau silence. Nouvel affrontement visuel.

— Va lui parler, m'intime finalement Naya en pressant mon bras de sa main. Vous ne vous êtes pas encore tout dit.



NDA : Et on dit merci à Naya pour avoir évité que Kahn s'enfuit à l'autre bout du monde ! 

Plus sérieusement, je commence à voir le bout de mon déménagement donc j'essaierai de vous poster rapidement la suite :)

Des bisous

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