𝟧𝟦. 𝒮𝑒𝒸𝓉𝒾𝑜𝓃 𝒜𝓁𝓅𝒽𝒶


Je ne dirais pas que je suis né pour diriger. Si je possède une certaine autorité naturelle, cette dernière provient plus de ma farouche volonté d'indépendance que d'une appétence particulière à contrôler les autres. J'aime me faire obéir, mais seulement si cela sert mes intérêts. Que l'on me témoigne respect et soumission ne m'amuse qu'un temps. L'hypocrisie est un vice que je tolère mal.

Pourtant, je n'ai pas à me plaindre de mes nouvelles conditions de vie. Erlann – l'officier qui nous a abordés dans la taverne – a tenu ses promesses, son projet tient la route.

Après avoir accepté de travailler pour lui, il nous a entraînés au sud de l'Entre-forêt, éloignée à une soixantaine de kilomètres des premières zones de combat. D'abord interloqué par cette réclusion, j'ai finalement apprécié le fait de ne pas être plongé immédiatement dans un bain de sang. Et à bien y réfléchir, cet isolement relatif était la meilleure solution pour préserver une section encore fragile et instable.

En arrivant dans la clairière qui sert de base aux nouvelles recrues, nous avons donc découvert celles et ceux qui allaient bientôt servir sous nos ordres et avons été éberlués par leur nombre. Alors que je m'attendais à découvrir une trentaine d'alphas brisés par une vie de souffrance et de dur labeur, j'ai fait face à une centaine d'hommes et de femmes au regard assuré, se tenant bien droit en cinq rangées parfaitement organisées. Leurs visages burinés par le froid n'exprimaient rien d'autre qu'une profonde détermination, leurs corps surentraînés une confiance sereine en leurs capacités.

J'aurais dû rester méfiant plus longtemps. Mais voir tous ces alphas se tenir fièrement devant moi a fait tressauter mon cœur d'excitation. Jamais encore je n'avais vu autant de mes congénères réunis au même endroit, libérés de leurs chaînes. J'ignorais même qu'un tel destin était possible pour ceux de notre espèce.

D'abord, je n'ai pas su quoi leur dire. Quels mots utiliser pour rallier à soi de parfaits inconnus ? Quel discours leur tenir pour effacer la méfiance de leurs cœurs ? C'était la première fois qu'ils nous voyaient, ils ne savaient rien de nous et n'avaient aucune raison de nous suivre plus que d'autres. Pourtant, ils ne bougeaient pas, attendant imperturbablement un signe de notre part.

Finalement, c'est Naya qui a donné la donne. Sans un mot, elle s'est placée entre Nilo et moi, a plaqué la main droite contre son cœur et tendu la gauche devant elle, paume vers le ciel. Puis elle a baissé la tête, aussi simplement et humblement que cela, reproduisant ainsi la marque de respect que se témoignent les alphas ayant transité par les citadelles des îles du Nord.

Mon amie est restée de longues secondes ainsi inclinée, refusant de se relever malgré le silence pesant dans la clairière et le manque de réaction de nos futurs subordonnés. Ne sachant que faire, j'ai fini par l'imiter, suivi de Nilo situé un peu en retrait, sûrement pour montrer que son statut de bêta ne l'érige pas au-dessus de nous.

Nous sommes restés dans la même position près de quinze minutes avant que les soldats en face de nous ne commencent à nous rendre notre salut, d'abord timidement puis avec assurance. Et je crois que cette vision de cent vingt alphas se saluant fièrement et se reconnaissant comme égaux, campés dans le silence d'une forêt dévorée par le Vice, est l'une des plus belles visions que j'ai eue de ma vie.

Le lien étant établi, les jours suivants n'ont servi qu'à faire connaissance et à créer une relation de confiance entre nous. Parce que le projet est encore secret, nous sommes restés cantonnés dans la forêt près de trois semaines, nous entraînant chaque jour davantage pour pouvoir frapper fort lorsqu'on aura besoin de nous.

Et cette occasion nous a été donnée le jour de la fête des récoltes à Canama. La ville était bel et bien tombée entre les mains de l'armée glacée deux semaines auparavant, et les soldats du roi Nask avaient réquisitionné les demeures les plus luxueuses pour en faire leurs appartements privés. Si la misère de la population était déplorable, cela n'a pas suffit à remettre mon engagement en doute. J'aime cette nouvelle posture de commandant, presque autant que la solde qui allait avec.

Toujours est-il que le jour de la fête des récoltes, profitant de l'ivresse des soldats et de leur sentiment d'invincibilité, l'armée du roi Ovania a tenté une dernière attaque. Les sentinelles, abruties par l'alcool, ne l'avaient pas vue venir et les conséquences ont failli en être dramatiques. Toute la compagnie qui occupait la ville allait être écrasée lorsque l'ordre nous a été donné d'intervenir. Enfin.

Et les résultats ont été merveilleux. La puissance et l'endurance de la Section Alpha ont sidéré nos ennemis. Nous étions méticuleux et organisés, ne reculant devant aucun obstacle et évitant sans effort les assauts de l'autre armée. Bien qu'en infériorité numérique, notre condition physique si particulière s'est vite érigée en atout indéniable : nos peaux sont dures à percer, nos corps trop habitués à la souffrance, nos muscles surentraînés. Nos adversaires n'avaient aucune chance, surtout lorsqu'on couple tous ces avantages à une fine stratégie militaire.

Canama est donc restée entre les mains de l'armée glacée et la rumeur d'une section secrète composée de surhommes a commencé à circuler entre les soldats des deux côtés.

Après cette victoire spectaculaire – et bien que nous ayons reçu les félicitations des autres officiers – nous sommes retournés nous terrer à l'écart du campement principal. Si notre section s'est illustrée sur le champ de bataille, ce n'est pas pour autant que les alphas sont plus acceptés et Naya et moi n'avons aucune envie de vérifier que c'est bien le cas.

Notre équipe s'épanouit très bien à l'écart des autres, et cela continuera ainsi aussi longtemps que nous le jugerons nécessaire. Hors de question d'exposer mes soldats à de nouvelles souffrances inutiles.

Depuis, nous sommes intervenus dans deux autres batailles, notre entrée marquant systématiquement un tournant décisif pour ces dernières. Désormais, nous ne sommes plus qu'à une centaine de kilomètres de Ma'la et je ne comprends toujours pas comment l'armée de Lem'ha peut se faire battre aussi facilement. Leurs moyens et leurs effectifs sont largement supérieurs aux nôtres, comment peuvent-ils être incapables de les utiliser à bon escient ?

Assis près du feu qui flamboie au milieu de notre campement, je me pose une nouvelle fois la question en vidant mon outre de vin. Pourquoi sont-ils aussi vulnérables ? Ne peuvent-ils pas faire appel à des maréchaux plus compétents ? Bordel, qui va protéger Chayyim si Ma'la tombe entre les mains de l'armée glacée ?

Avec une certaine colère, je réalise alors que mon obsession pour l'efficacité de l'armée ennemie n'est due qu'à une seule peur : que Chayyim soit blessé voire tué lors des combats. Ou torturé et emprisonné si nos soldats le capturent en pénétrant la capitale.

J'aimerais ne pas être aussi concerné par son sort, mais j'en suis incapable. Le camp auquel il appartient ne m'importe guère, seule sa personne est chère à mes yeux. La blessure de son récent rejet est encore vive dans mon cœur, mais je ne peux le haïr. Il doit vivre, absolument. Rien n'est plus important que cela.

— Alors sergent, on cherche à lire l'avenir dans les flammes ?

D'un geste las, je tourne la tête vers la silhouette de Nilo qui se découpe dans l'obscurité. Mon ami se laisse tomber à mes côtés puis me tend une nouvelle outre de vin, un petit sourire au coin des lèvres.

— Qu'est-ce que ça dit sur mon futur ? me taquine-t-il d'un air faussement impatient. Quand est-ce que je vais devenir un roi entouré de mille maîtresses ?

— Ça dit que t'es pas prêt de revoir un cul de sitôt, voire même que t'en reverras plus jamais tant la rumeur de ta petite bite a fait le tour de Na'voah.

Nilo éclate de rire et je ne peux m'empêcher d'esquisser à mon tour un rictus amusé. Depuis que Naya et moi avons pris le commandement de la Section Alpha, je le vois moins souvent et cela commence à me peser. En quelques mois, Nilo a su occuper une place importante dans mon cœur. J'ignore comment cela a pu être le cas ; je ne suis pas quelqu'un qui s'attache facilement aux autres, surtout à des bêtas, mais je suppose que mon état de vulnérabilité émotionnelle a permis à ce type de franchir plus rapidement mes barrières que d'habitude. Et au fond, je ne le regrette pas.

Parce que j'apprécie cet homme, j'apprécie sa franchise et sa bonne humeur, cette façon qu'il a d'être attentionné envers ceux qui l'entourent tout en sachant instinctivement respecter leurs limites. Son optimisme et son ironie me font du bien lorsque tout semble se déliter autour de moi. Il est peut-être le seul à réussir à me faire autant sourire dans un monde fait d'horreur et de désolation.

— Putain, je savais qu'il fallait pas que j'me baigne en compagnie des autres, se lamente faussement mon ami. Comment j'vais perpétuer mon nom maintenant ? J'ai plus qu'à vendre mon cul au plus offrant...

Forçant un air sceptique, je fronce le nez avant de lui répondre.

— Pas sûr que t'aies plus de chances de ce côté-là... J'ai jamais vu un cul aussi plat de toute ma vie !

Cette fois, je récolte un coup de poing dans l'épaule et ne peux m'empêcher de m'esclaffer en voyant le visage indigné de Nilo.

— J'ai un cul comme on en voit qu'un tous les dix ans ! rétorque-t-il en levant fièrement le menton. Et j'sais parfaitement qu'il hante tes rêves les plus fous.

— Mes cauchemars les plus terrifiants, ouais !

Nous échangeons un regard complice avant de nous remettre à contempler le feu, en silence.

— Si tout va bien, on devrait être à Ma'la d'ici la fin de l'année, déclare-t-il soudainement.

— Ouais...

Je sais que sa réflexion d'apparence banale ne l'est aucunement. S'il ne connaît pas tous les détails de ma relation avec Chayyim, il a très bien deviné ce qu'il en était et je sais qu'il s'inquiète de ma réaction si nous nous retrouvons à nouveau l'un face à l'autre. J'aimerais pouvoir l'envoyer chier, lui dire que tout cela ne le concerne pas et que je n'ai rien à foutre de l'issue de cette guerre, mais je mentirais. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à mon oméga.

— Tu comptes pas virer de bord au dernier moment j'espère ! me taquine Nilo en m'envoyant un coup d'épaule.

— Je me contrefous du bord dans lequel je suis. Ce n'est pas ce qui est important.

Mon ami marque une pause avant de reprendre.

— Je sais, mais ce qui est important pour toi est aussi facile à obtenir que franchir le détroit des Six Vents à la nage ! Qu'est-ce que tu comptes faire si nous vainquons définitivement l'armée de Lem'ha ?

— Et toi, qu'est-ce que tu comptes faire ? riposté-je, agacé de le voir aussi intrusif alors qu'il ne l'est jamais. Tu comptes rester dans l'armée ? Je crois savoir que ta place est bien plus précaire que la mienne.

Si je regrette instantanément d'avoir dit cela, je n'en montre rien et subis avec résignation le sourire indulgent que m'adresse Nilo. Je sais que ce dernier a vu clair dans mon jeu mais il n'empêche que je me sens idiot de l'avoir attaqué aussi bassement.

Dès notre arrivée dans la section, mon ami a refusé le poste de commandement qu'il aurait pourtant très bien pu réclamer. Arguant qu'il serait hypocrite de placer un bêta à la tête d'un groupe d'alpha qui se veut plus ou moins libre, il a humblement pris place parmi les rangs des soldats, se battant à leurs côtés avec la même fougue et la même vulnérabilité. Cependant, si sa force et son courage ne sont plus à prouver, être le seul bêta parmi des hommes et des femmes qui ont subi les pires sévices à cause de gens comme lui le place dans une position délicate.

Je sais qu'il endure quotidiennement quolibets et provocations, parfois au-delà de ce qui est admis au sein de la section. Il m'est déjà arrivé de le surprendre en train de se battre contre quatre ou cinq alphas, tous bien déterminés à lui faire payer pour tous les bêtas de Na'voah.

Ce genre de petites revanches injustes me fout dans une rage pas possible. J'ai beau avoir sévèrement puni tous ceux qui s'adonnaient à de telles exactions, la rancœur nourrie envers les bêtas est trop forte pour être étouffée. D'autant plus que mon ami ne fait rien pour s'imposer. Il se défend, certes, mais fait bien attention à ne jamais prendre l'avantage. Alors que je l'ai vu se battre, je sais qu'il en serait capable. Et ça m'énerve encore plus.

— Finalement, celle qui s'épanouit le plus ici, c'est notre chère Naya ! reprend Nilo en jetant un coup d'œil amusé vers un coin du campement.

Je suis son regard et ne peux m'empêcher de ricaner doucement en apercevant notre amie tendrement alanguie auprès d'une guerrière à la chevelure flamboyante qu'elle ne quitte plus d'une semelle. Nilo et moi grimaçons de concert lorsque cette dernière glisse un biscuit entre les lèvres de notre amie puis éclatons franchement de rire en voyant Naya glousser comme une adolescente.

Nos esclaffements ne doivent pas être discrets puisque nous récoltons un regard noir qui remettrait à sa place le plus cruel des tyrans. Loin de nous calmer, cela ne fait qu'intensifier notre hilarité et notre amie finit par nous adresser des gestes obscènes de l'autre côté du feu.

Sa compagne en revanche nous observe avec la plus plate indifférence, bien loin d'être honteuse de ses agissements. Et si j'adore me moquer de Naya, je suis en réalité ravi qu'elle ait trouvé une femme aussi fière et courageuse.

— Elle va jamais vouloir continuer sa route avec nous maintenant, se plaint Nilo dans un ricanement moqueur. Elle est devenue aussi lascive que le cul d'une courtisane !

A nouveau, nous éclatons de rire en enfonçant nos visages dans nos poitrines pour tenter d'étouffer le bruit de nos esclaffements. Il est vrai qu'associer Naya avec douceur et sensualité est un effort de pensée que je ne peux faire qu'avec stupéfaction et amusement. Moi qui l'ai toujours connue froide et sévère, la voir aussi souriante et détendue me donne encore plus envie de me foutre d'elle.

— N'empêche, je donnerais cher pour avoir la même chose qu'elle, soupire Nilo en s'allongeant sur le dos pour contempler la voûte étoilée. Ça doit être agréable de se sentir aimé, de faire sa vie auprès de quelqu'un, de fonder une petite famille... Habiter une maison à la campagne, élever un peu de bétail, se contenter de peu... Ne plus devoir se battre chaque jour, ne plus avoir à tuer ni à souffrir... Ouais... Je donnerais cher pour avoir tout ça.

Mon ami ferme les yeux et je sens mon cœur se serrer désagréablement dans ma poitrine.

— Moi aussi, finis-je par lâcher dans un souffle douloureux.


***


La bataille fait rage dans la plaine. Le bruit métallique des épées qui s'entrechoquent, l'agonie des blessés, les hurlements de douleur, les cris d'encouragement, l'odeur lourde du sang et des viscères. Et cette détermination aveugle qui pousse à frapper, toujours plus fort, à avancer toujours plus loin, à ne céder à aucun obstacle. Cette rage de vivre, violente, désespérée.

Il y a bien longtemps que je ne vois plus grand-chose du champ de bataille. Le sang qui a coulé dans mes yeux obscurcit ma vision, m'obligeant à me fier à mon instinct pour savoir qui est dans mon camp et qui ne l'est pas. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine, la sueur imprègne mon armure, mon souffle brûle mes poumons.

Dans un cri guttural, je lève ma masse et l'abat brutalement sur le crâne d'un jeune soldat, tremblant de terreur face à moi. Pas de place pour la pitié.

Du coin de l'œil, j'aperçois Naya transpercer tour à tour deux ennemis puis esquiver les attaques de trois autres, virevoltant avec son agilité naturelle autour d'eux avant d'enfoncer son épée dans leur thorax. Leurs hurlements se noient dans la cohue qui nous entoure et, après avoir repoussé les assauts d'un autre soldat, je prends le temps de lever la tête pour évaluer la situation.

Pour la première fois depuis des mois, l'armée glacée est en péril, prête à essuyer sa première défaite. J'ignore ce qui a changé dans le commandement ennemi, mais les formations de soldats sont plus organisées, leurs assauts plus efficaces. A mon grand désarroi, j'ai réalisé au début du combat que la cavalerie avait été réquisitionnée en dépit de toutes les difficultés qu'elle occasionne. Bordel, il leur restait donc assez de chevaux sains pour mener un tel assaut ? Et assez de soldats pour vérifier que les bêtes ne soient pas attaquées par le Vice ?

Furieux, je fais volte-face pour affronter un officier téméraire, engoncé dans son armure rutilante. Sûr de lui, il tente d'enfoncer son épée entre mes côtes, misant tout sur sa rapidité et sa puissance. Mais ses coups sont propres, prévisibles, chorégraphiés. En quelques secondes, je le prends par surprise en envoyant mon pied dans son ventre puis mon coude sous le menton. Si son armure le protège de mes coups, ces derniers ont le mérite de le décontenancer et j'en profite pour attraper le poignard collé à ma hanche pour l'enfoncer dans l'interstice entre son casque et son plastron.

Un jet de sang chaud gicle sur mon visage, que je n'ai pas le temps d'essuyer avant de repartir au combat. Mes muscles me tiraillent à force d'être trop sollicités et je réalise qu'une vilaine blessure me déchire l'entièreté de la cuisse. Jurant entre mes dents, je repousse mes assaillants et me place aux côtés de Ûl, la partenaire de Naya, pour combattre les cinq soldats qui se précipitent vers nous.

Soudain, alors que les morts s'accumulent des deux côtés, le son du clairon retentit à travers la plaine, soufflant trois fois sa plainte discordante. Je comprends aussitôt que notre armée nous ordonne de nous replier et je peste une nouvelle fois contre les dieux avant d'obtempérer.

Tandis que j'enjambe en courant les cadavres et ignore les supplications des blessés, j'entends le clairon du camp adverse sonner à son tour le retrait et comprrends que cette fois, l'armée glacée a bel et bien essuyé son premier échec.

J'échange un coup d'œil avec Ûl qui court à mes côtés et nous grimaçons de concert. J'espère que notre section n'a pas essuyé de pertes trop graves...

C'est d'ailleurs ce que je m'applique à vérifier dès mon arrivée au camp. Toujours situé en retrait du campement principal, celui de la Section Alpha est situé entre deux collines boisées, près d'un ruisseau dont l'eau n'est pas encore viciée. Une dizaine de soldats est d'ailleurs déjà accroupie auprès de cette dernière, buvant à grandes gorgées ou nettoyant leurs plaies sanguinolentes.

La gorge nouée, je fais le tour du campement, accompagné de Naya qui m'a rejoint.

— T'ul et Elema sont morts, m'informe-t-elle d'une voix grave. Leurs corps ont été rapatriés, on va pouvoir les enterrer quelque part dans les collines.

L'information me retourne l'estomac mais je me contente de hocher la tête d'un air impassible. J'ai beau avoir conscience que la perte de deux soldats est risible face au nombre de morts qu'a entraîné cette bataille, je ne peux m'empêcher de me sentir coupable. Et réalise tout aussi vite que je déteste cela.

Bordel, je n'avais pas encore eu à affronter cet aspect du rôle de commandant. Mener ses troupes à la victoire est une chose, les observer soigner leurs plaies et pleurer leurs morts en est une autre. Et je ne suis plus certain d'avoir les épaules pour ça.

Alors que je m'apprête à rejoindre ma tente pour retirer les pièces imbibées de sang de mon armure, des cris retentissent à l'autre bout du campement, et très vite, j'aperçois tous les soldats présents se ruer sous les arbres.

Les sens en alerte, je me précipite à mon tour vers l'origine des exclamations et aperçois une trentaine de soldats former un cercle fermé, menaçant. Méfiant, je me fraye un passage à travers eux et tombe sur trois de mes alphas maintenant fermement un homme à terre, le visage enfoncé dans la boue.

— Ce fils de pute était dans les fourrés ! s'exclame l'un d'eux. C'est un espion de Ma'la !

— Tranchons lui la tête ! crache une guerrière à mes côtés. Ou éventrons-le et laissons-le se vider de ses tripes !

Ignorant les insultes et les menaces de torture toutes plus originales les unes que les autres, je m'approche du prisonnier dont l'armure auparavant rutilante est maculée de sang et de terre. Lorsque mes hommes l'attrape par les cheveux pour l'obliger à redresser la tête vers moi, je n'aperçois d'abord qu'un visage noir de boue, déchiré par une large balafre le long de la joue droite.

Ce n'est que lorsque ses grands yeux bleus se plantent dans les miens que mon cœur loupe un battement.

— Aylan ?


NDA : Chapitre un peu long mais j'espère qu'il vous aura plu ! J'essaie de vous poster la suite le plus vite possible.

Des bisous !

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