𝟥𝟣. 𝒫𝓇𝒾𝓈𝑜𝓃𝓃𝒾𝑒𝓇 𝒹𝓊 𝓁𝒾𝑒𝓃


Les yeux exorbités, je contemple la scène qui se joue devant moi avec l'impression que cette dernière est surréelle. Sans un mot, Chayyim délace sa chemise qu'il fait glisser le long de son buste, révélant des bras puissants aux épaules arrondies par la pratique de l'épée. Sa peau diaphane recouvre délicatement l'enchevêtrement de muscles que constitue son torse, et j'aperçois çà et là des tâches bleutées, cruel rappel que la magie ne vient jamais sans compensation.

Je manque de m'étrangler lorsqu'il retire cette fois son pantalon. J'ai beau me fustiger pour mes réactions puériles, je ne peux empêcher mon regard de dévaler ses longues jambes puis de s'accrocher à ses fesses lorsqu'il se retourne pour déposer ses vêtements sur le bord du bassin. Malgré moi, une légère excitation commence à pointer le bout de son nez, me chuchotant à quel point il serait certainement délicieux de posséder ce corps robuste qui se meut avec une agilité déconcertante.

Je n'ai pas le temps de pousser mes pensées plus loin que l'eau remue autour de moi, me signalant que Chayyim s'y est à son tour immergé. Je l'observe froncer le nez sous le froid qui l'assaille de toute part et fixe un instant son ventre plat qui se contracte spasmodiquement pour s'habituer à la température.

Lorsqu'enfin il disparaît entièrement dans l'eau, je consens à relever les yeux vers son visage pour me confronter à son regard étoilé rivé sur moi.

— Vous ne me « reluquerez pas trop », hein ? m'imite-t-il d'une voix moqueuse.

Un soupçon de gêne me traverse l'estomac, mais je le ravale aussitôt.

— J'étais simplement curieux de voir à quoi ressemblait un oméga, tenté-je d'éluder en haussant les épaules.

— Alors ? Suis-je très différent des hommes que vous avez l'habitude de côtoyer ?

— Vous êtes bien plus beau, affirmé-je en toute honnêteté.

Chayyim semble un instant décontenancé mais recouvre bien vite son air impassible.

— Il y a quelques temps, je vous aurais puni pour une telle impertinence, grommelle-t-il plus pour lui-même que pour moi.

Sa révélation m'arrache un grand sourire et je cale plus confortablement mon corps engourdi dans l'eau.

— Il y a quelques temps, vous m'auriez fait chier pour que je vous trouve un putain de coin isolé pour vous baigner, rétorqué-je. Regardez, c'est fou ce qu'on est devenu amis !

Chayyim esquisse un sourire amusé puis plonge la tête sous l'eau. Lorsqu'il la ressort, ses cheveux ébènes sont plaqués à l'arrière de son crâne, dévoilant un front noble surplombant deux sourcils arqués aussi sombres que ses boucles. Une nouvelle fois, je ne peux qu'admirer le raffinement de ses traits, la façon dont chaque élément de son visage semble avoir été minutieusement conçu pour atteindre une perfection quasi irréelle. Même les tâches bleutées qui s'étendent sur sa tempe gauche et à la base de son cou n'amoindrissent en rien sa beauté.

Ma contemplation béate me fait doucement grincer des dents. Depuis quand me comporté-je en adorateur d'idole ? J'ai l'impression d'être comme ces foutus illuminés qui vénèrent Yulah, la divinité de l'ordre et du bon agencement du monde, tellement aveuglés par sa prestance qu'ils en oublient son impitoyabilité. Ce con d'oméga est certes beau, mais il est également dangereux.

Et bordel, qu'est-ce qu'il est désirable !

— Cela vous arrive souvent d'assaillir vos amis de phéromones désireuses ?

La voix moqueuse de Chayyim m'extirpe de mes élucubrations et je reporte mon attention sur lui. Ses lèvres pleines sont retroussées en un petit rictus amusé qui fait remonter ses joues mal rasées.

Je mets quelques secondes à comprendre ses paroles. Loin de me laisser déstabiliser, je lui offre un grand sourire puis rejette la tête en arrière.

— Ça fait longtemps que je n'ai pas vu l'ombre d'un bordel, me justifié-je en fermant les yeux.

Je devine que ma réponse ne plaît pas à mon compagnon et je ressens soudain le besoin de le taquiner à ce sujet.

— Ne me dites pas que vous ne ressentez aucun désir, le provoqué-je en rouvrant les yeux pour les plonger dans les orbes agacés qui me font face. Vous n'avez jamais aucune envie particulière ? Aucune pute n'a jamais partagé votre couche ?

Les lèvres rondes se pincent en une moue contrariée et je ne peux m'empêcher de penser que cela ne le rend que plus désirable.

— Ne recommencez pas, Kahn, répond-il exaspération. Vous savez où nous a mené la dernière conversation que nous avons eu à ce sujet.

— Parce que vous vous étiez comporté comme un connard avec moi, rétorqué-je à moitié de mauvaise foi. Vous n'oseriez pas me soumettre maintenant, pas après tout ce que j'ai vécu aujourd'hui ?

Chayyim me fusille du regard mais je sais que mes mots ont fait mouche. Réprimant un sourire vainqueur, je m'affaire à frotter mes bras encore maculés de sang tout en reprenant le fil de mes pensées.

— Faut me comprendre, je n'ai jamais eu une vie comme la vôtre. Il n'a jamais été question que je reste avec quelqu'un toute ma vie, ce serait ridicule et foutrement dangereux. Vous avez vu... Vous avez vu ce que peut engendrer la douleur de perdre quelqu'un qu'on aime.

Malgré moi, l'image de Lâa, serrant désespérément le corps de Hassan contre sa poitrine, se matérialise dans mon esprit et mon cœur se serre. Silencieux, Chayyim m'écoute.

— Mais quitte à rester fidèle à quelqu'un, je reprends après m'être raclé la gorge, j'aimerais autant que cette relation en vaille la peine. C'est pour ça que je ne comprends pas votre dévotion aveugle envers votre roi, et qu'elle m'énerve. Oublions votre désir idéaliste de vouloir sauver le monde, pourquoi rester avec quelqu'un qui ne vous considère pas ? Êtes-vous heureux avec lui ? L'aimez-vous seulement ?

Un long silence accueille ma tirade mais je ne m'appesantis pas dessus. Je sais que Chayyim est en train de peser le pour et le contre de cette discussion, qu'il hésite à se confier et à me répondre. Qu'il prenne son temps. J'attendrai de me geler jusqu'aux os s'il le faut.

— Vous savez, commence-t-il d'une voix hésitante, je n'ai pas réellement eu l'occasion de penser à tout cela lorsque je me suis révélé en temps qu'oméga. La seule chose que j'ai comprise, c'est que cela pouvait m'aider à être utile, à avoir un réel impact sur le monde. Je sais que cela vous semble ridicule, mais c'est un idéal qui m'anime depuis toujours. Longtemps... Longtemps j'ai cru le partager avec le roi. Notre couple s'annonçait comme être la première preuve que le monde pouvait aller mieux. Nous étions censés... je ne sais pas, donner de l'espoir ? Avoir des enfants qui seraient eux-mêmes des omégas et qui pourraient aider à rétablir une certaine harmonie...

Sa voix se coupe et je l'observe regarder un point au loin, une certaine lassitude peignant ses traits.

— Sûrement étions-nous naïfs, sûrement avons-nous été trop rapides... Kahn, avez-vous entendu parler des paires ?

— Vous parlez de ces couples d'alphas et d'omégas qui s'unissaient pour la vie ou je-ne-sais-trop quoi ?

— En effet, acquiesce Chayyim dans un léger sourire désabusé. A un détail près : cela ne concerne pas que les alphas et les omégas. Pour ces derniers, la formation de la paire se fait à travers un lien très puissant qui s'établit lorsqu'un alpha mord la nuque d'un oméga. Pendant longtemps, ce fut la seule forme de paires dont on parlait parce qu'on ne pouvait concevoir qu'alphas et omégas ne s'accouplent pas ensemble. Or, il existait également plein de couples alpha-bêta, oméga-bêta, etc. Et ces derniers formaient également des paires.

Je comprends que l'on arrive à un sujet qui le dérange parce que je le vois prendre une inspiration un peu trop saccadée. J'ose à peine respirer de peur de l'interrompre.

— Il existe une autre façon de créer une paire... par le sang. C'est une opération risquée, qui requiert un haut niveau de magie, mais qui fonctionne tout aussi bien qu'un lien créé par morsure. Les deux partenaires s'entaillent la peau au niveau du cœur, récupèrent quelques gouttes de sang dans une coupe, puis renversent le tout au pied d'un arbre millénaire en proférant certains morts précis. Cette forme de liage n'existait plus car seuls les omégas sont capables de célébrer une telle cérémonie, mais... Me voici.

Il ponctue son récit d'un esclaffement amer qui me surprend par sa spontanéité. Chayyim n'a jamais démontré une quelconque rancœur envers sa condition, il a toujours assuré être fier d'être marié au roi et de pouvoir agir pour son peuple. Pourquoi semble-t-il alors si désabusé aujourd'hui ?

Mes yeux se posent sur son beau visage pâle et je réalise avec horreur que le savoir appartenir à ce roi irresponsable retourne mes entrailles de colère.

— Je suis lié au roi, Kahn, conclut-il d'une voix rude. Aussi irrémédiablement que s'il était mon alpha.

Ce constat fataliste me tord l'estomac mais je m'efforce de rester aussi impassible que mon compagnon. J'ai beau ne pas saisir l'ampleur de ce lien dont il me parle, je devine qu'il est suffisant pour l'empêcher de mener la vie qu'il souhaiterait. Et ça me révolte.

— Vous regrettez ?

Chayyim soupire puis se relève sans me jeter un regard. Interdit, je contemple les gouttes d'eau qui ruissellent le long de son dos musclé, admire un peu trop intensément sa chute de reins et le galbe rebondi de ses fesses. Mon compagnon s'extirpe du bassin avec agilité avant de renfiler son pantalon et son ample chemise.

— Répondez-moi, exigé-je tandis qu'il s'essore les cheveux. Est-ce qu'il vous arrive de regretter ce lien ?

Le silence qui enveloppe ma question décuple mon irritation. A mon tour, je sors du bassin et me dirige peut-être trop brusquement vers Chayyim. Ce dernier me lance un regard menaçant qui glisse ensuite le long de mon corps, bien plus large, bien plus puissant que le sien. Est-il choqué par le nombre de tatouages punitifs qui le parsèment ? Si c'est le cas, il n'en dit rien.

— Répondez-moi, insisté-je une nouvelle fois en l'attrapant par l'épaule.

Le concerné se dégage aussitôt, le visage crispé en une expression furieuse.

— Restez à votre place, siffle-t-il d'une voix inquiétante. Vous ne savez jamais où se trouve la limite des choses, voilà pourquoi il est impossible de parler avec vous !

— Je me contrefous de la limite des choses, je veux que vous répondiez à ma question.

— Qu'est-ce que cela peut bien vous faire ? Quelle importance de toute façon ?

Il secoue la tête d'un air rageur puis rabat brusquement ses cheveux en arrière.

— Vous avez entendu les rumeurs au palais, je ne peux pas avoir d'enfants. Tout l'espoir que les gens avaient envers moi, tout l'espoir que mon roi avait, s'est évaporé ce jour-là. Qu'importe ce que je pense de ce lien, il n'aurait jamais eu lieu si les médecins avaient repéré plus tôt que je ne vaux rien en temps qu'oméga ! Vous fustigez le roi, mais lui aussi est coincé dans cette situation. Pensez-vous qu'il aurait placé tant d'espoirs en moi s'il avait su tout cela avant ? Je ne suis personne pour me plaindre de ce lien, je suis le seul auquel il a bénéficié. Je n'ai pas le droit de...

Je suis inconscient. Il n'y a aucune autre explication valable pour justifier le fait que je serre actuellement cet homme entre mes bras. J'ignore pourquoi j'ai fait cela, mais j'ai senti ce truc dans mon ventre, cette envie irrépressible de le protéger de toutes ces choses qui semblaient le faire souffrir. J'ai senti ce truc, beaucoup trop instinctif pour mon propre bien, et je lui ai obéi. Et maintenant je suis là, complètement à poil, en train de serrer le foutu partenaire d'un roi contre moi.

— Kahn... Habillez-vous s'il vous plaît, articule Chayyim d'un ton qu'il s'efforce de garder neutre.

— Je vous remonte le moral, grommelé-je, trop heureux de cette proximité entre nous.

— Et je vous en remercie, mais j'aimerais autant que vous le fassiez avec un pantalon.

A contrecœur, je me détache de lui puis renfile le pantalon crasseux que j'ai porté toute la journée. Lorsque je jette un nouveau regard derrière mon épaule, je réalise que mon compagnon me fixe d'un air crispé que j'interprète comme de la répulsion. Puis, il se met à frotter son torse auparavant plaqué contre le mien en contractant la mâchoire.

— Je vous dégoûte ? grogné-je en fronçant les sourcils.

En dépit de ma voix menaçante, je sens un petit tiraillement dans mon estomac. Surpris, Chayyim relève la tête en écarquillant légèrement les yeux. Je dois avoir l'air pitoyable ainsi debout, encore trempé de mon bain, le corps recouvert de blessures, les joues grignotées par une barbe hirsute et les genoux dépassant de mon pantalon troué. Lentement, la colère l'emporte sur la gêne et je m'apprête à serrer les poings lorsque Chayyim s'approche de moi.

— Kahn, soupire-t-il alors qu'il n'est plus qu'à quelques centimètres de moi, il va falloir que vous intégriez un jour le fait que vous dégagez des phéromones en permanence...

— Et ça vous dégoûte ? le coupé-je d'une voix froide. Vous préféreriez que ce soit votre roi qui...

— Non. Pas le moins du monde.

Perdu, je l'observe prendre une grande inspiration puis effleurer ma joue du bout des doigts.

— Vous êtes un alpha. Cela suffirait déjà à appuyer mon propos, mais au-delà de cela, vous dégagez des phéromones auxquelles je ne suis pas insensible. J'ignore si cela est seulement dû à nos natures complémentaires ou si le fait de cheminer ensemble nous a sensiblement rapprochés, mais le fait est que me serrer contre vous crée d'étranges réactions en moi. N'oubliez pas par ailleurs que je suis un oméga en chaleur... Donc non, Kahn, vous ne me dégoûtez pas, bien au contraire.

Sur ces mots, il fait volte-face, me laissant les bras ballants, le ventre crispé d'excitation et un sourire mal contenu au bord des lèvres. Alors, pour éviter de faire une connerie et parce que je m'étais promis de me venger, je m'approche doucement de lui et le balance tout habillé dans l'eau glacée.

Le glapissement étranglé qu'il pousse me ravit au plus profond de mon être et, tandis qu'il nage péniblement vers le bord du bassin en me fusillant du regard, je m'accroupis et lui adresse mon plus grand sourire.

— Ça, c'est pour m'avoir obligé à redevenir un esclave.



NDA : Je ne tiens plus tellement j'ai envie de les faire se rapprocher au plus vite ! Je vous jure, je mets autant mon mal en patience que le vôtre 😭

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