𝟣𝟪. 𝐿𝒶 𝒻𝒾𝓃 𝒹𝓊 𝓂𝑜𝓃𝒹𝑒


Finalement, ce n'est pas Evea qui me réveille cette nuit-là. Non, ce qui me tire du sommeil, c'est ce sentiment diffus et étouffant qu'un danger imminent plane au-dessus de ma tête.

J'ouvre les yeux en sursaut, les muscles raidis d'anticipation, le cœur battant la chamade. Tous mes poils sont hérissés et mon instinct de survie dilate mes pupilles. Je n'ai pas besoin de tourner la tête vers eux pour savoir que les autres membres de la horde sont dans le même état, guettant sans la voir la menace qui rôde pernicieusement dans l'ombre.

J'ai conscience de sa présence comme j'ai conscience de celle de mes compagnons : quelque chose d'intangible et pourtant omniprésent. Quelque chose qui cherche à nous atteindre.

Et soudain, je n'ai plus à me poser la question.

En une fraction de seconde, la terre se soulève brusquement, nous projetant dans les airs et arrachant la cabane de ses fondations. Je n'ai que le temps d'écarquiller les yeux que mon corps est cette fois attiré vers le sol, si violemment que mon dos s'écrase avec fracas contre le foyer éteint. La douleur me coupe la respiration, et à l'instant où je tends la main pour tenter de m'accrocher à quelque chose, je suis propulsé contre le mur.

Mon crâne heurte lourdement la pierre et des centaines de tâches noires viennent obscurcir ma vision. Affolé, je referme le poing autour d'une étoffe située près de moi et réalise après coup qu'il s'agit de la cape de L'Oméga. Ce dernier est prostré dans un coin, une main soutenant péniblement son épaule qui doit avoir été abîmée par le choc. Son masque se tourne vers moi et je ressens de plein fouet l'inquiétude qui raidit ses membres.

Par réflexe, je l'attrape par le bras et tente de ramper vers la porte que je discerne au loin. Nous n'avons cependant pas à l'atteindre puisque cette dernière s'arrache brutalement de ses gonds pour venir atterrir avec fracas à quelques centimètres de nous.

Un hurlement retentit et j'aperçois vaguement la fillette muette essayer de s'extirper de la prison que constitue la porte venue écraser son petit corps. Je songe brièvement à l'aider mais la nécessité de sauver ma peau est plus forte que tout.

Dans tous les cas, un nouveau tremblement éventre la terre et j'observe avec effroi un gouffre se creuser à l'endroit où se trouvait le foyer. Un sursaut de conscience me pousse à parcourir la scène pour repérer mes amis, mais la poussière et les débris entravent ma vue, me rendant incapable de distinguer quoi que ce soit.

Tout n'est que grondements, craquements et hurlements. Le sol convulse, les murs s'effondrent, mes membres sont écartelés par une force que je ne comprends pas.

Un nouveau sursaut du sol me projette hors de la maison et mon corps s'échoue lourdement dans la neige. Terrifié et l'œil hagard, je remarque que les étoiles, si étincelantes lorsque j'ai été me coucher, ne sont plus visibles à l'œil nu, dissimulées par un voile opaque qui assombrit davantage l'extérieur.

Puis soudain, elles réapparaissent. Tressautent. Bondissent dans le ciel. Reviennent à leur place. Explosent. Disparaissent.

Et l'horreur oppresse tellement mon cœur qu'elle m'en rend pantois, inerte, incapable de bouger ne serait-ce qu'un doigt de pied.

Mon cœur tambourine si fort dans mes oreilles que j'ai l'impression qu'un troupeau de chevaux sauvages martèle mon cerveau. Plus rien n'a de sens : les toitures volent au-dessus de nos têtes, des corps sont projetés contre les arbres, des rochers s'effondrent sur eux-même.

Je ne comprends réellement ce qui se passe que lorsque mes yeux se posent sur Ronh, recroquevillé entre deux rochers, le visage couvert de sang.

J'ouvre la bouche pour l'appeler, mais d'un coup, il n'est plus là. A la place, un pan entier de montagne s'écroule à l'endroit où il se situait une seconde plus tôt, produisant un fracas terrible qui écorche mes oreilles. Des éclats de roche volent partout. Mes yeux s'exorbitent, mon cœur loupe un battement, mes muscles sont raidis d'effroi.

Et puis mon ami réapparaît. Son corps disloqué se tord dans les airs avant de s'effondrer par terre, agité de convulsions. En une fraction de seconde, il est de nouveau soulevé au-dessus du sol, un craquement horrible se fait entendre, une explosion, puis des gerbes de sang, partout.

Et son armure retombe au sol, vide.

L'épouvante me foudroie sur place et l'étau autour de ma poitrine se resserre au point de me couper la respiration. Soudain, tout n'est plus que silence, un silence assourdissant brisé par ce sifflement suraigu qui résonne dans mes tympans. Incapable d'arracher mes yeux de l'armure ensanglantée qui gît devant moi, je sens mes mains se mettre à trembler et ma cage thoracique se soulever de manière anarchique.

L'angoisse se fraye pernicieusement un chemin dans mes veines et un effroyable constat s'impose à moi : je vais mourir. Je vais crever ici, la gueule dans la neige, sans avoir rien accompli ni goûté suffisamment à cette liberté que je chéris tant.

Cette pensée m'est insupportable.

Animé par un soudain regain d'énergie, je me redresse d'un bond, prêt à fuir n'importe où et à me battre pour sauver cette vie pitoyable qu'est la mienne.

Je remarque alors que ma main gauche est toujours figée autour du bras de L'Oméga, et que je serre tellement ce dernier que mes doigts en sont douloureux. Étonnamment calme, mon compagnon d'infortune observe sans bouger le théâtre d'horreur qui se joue sous nos yeux. Sa placidité me déconcerte, et j'en viens à le haïr d'être si impassible face aux corps de mes amis projetés dans tous les sens.

Pourtant, je ne me résous pas à le lâcher et le tire brusquement vers moi, trébuchant à moitié alors que je tente de courir vers un pan de montagne qui s'est écroulé en travers du chemin.

Mes yeux effarés cherchent Naya, Lâa et Hassan, mais la poussière me brûle les yeux et le sang qui dégouline sur mon visage obscurcit ma vision.

Une boule douloureuse obstrue ma gorge et je comprends que j'ai envie de chialer.

Merde.

Ronh est mort.

La boule n'en devient que plus étouffante. Je tente de déglutir, mais m'étrangle à moitié et me rabats sur l'avant-bras de L'Oméga que je compresse davantage.

Ronh est mort. Comme ça. Aussi simplement. Aussi pitoyablement.

Soudain, un éclat opalin attire mon regard et j'aperçois Lâa titubant à quelques pas de moi, les mains crispées sur son crâne, le corps convulsant étrangement.

Sans prévenir, elle tombe à genoux et plaque son front contre le sol, hurlant à s'en déchirer les cordes vocales. Le son est si abominable qu'il me transperce les tympans et me pétrifie sur place.

Puis je vois. Et comprends.

Juste là, à ses pieds, le corps de Hassan gît, inerte, la tête arrachée de ses épaules.

Un puissant haut-le-cœur me ravage les entrailles, m'obligeant à me plier en deux pour cracher la bile qui me brûle l'œsophage. J'ai à peine conscience de la main de L'Oméga qui s'enroule autour de mon poignet dans l'effort illusoire de me procurer du soutien.

Parce que je sais que c'est ce qu'il cherche à faire. A cet instant, au milieu de la gueule du monde qui cherche à nous engloutir, je saisis avec exactitude les intentions qu'il dirige vers moi.

Et cela ne me rend que plus malade.

Je vomis pendant cinq bonnes minutes, torturé par les hurlements de Lâa qui ne cessent pas. Le sol continue de s'ouvrir et de se refermer, les étoiles de bondir dans le ciel, les corps d'imploser. Et je suis foutrement incapable d'y faire quoi que ce soit.

Alors, abasourdi par mon impuissance, je tombe à genoux dans la neige maculée de sang et prends ma tête entre mes mains, priant pour que tout ceci ne soit qu'un cauchemar, jurant contre ce monde absurde dans lequel je m'obstine à vivre.

J'ignore combien de temps je reste ainsi, effondré sur moi-même, exposé dans toute ma vulnérabilité d'être humain. Les roches et les branches qui m'écorchent la peau me font à peine vaciller, mes blessures saignent abondamment, mes mains ne tremblent plus.

J'attends. Pendant longtemps, j'attends, la fin, la délivrance, quelle que soit sa forme, je ne sais plus. J'attends.

Une secousse m'arrache de L'Oméga qui me tenait toujours par le bras et je m'effondre contre un rocher saillant. Une profonde entaille ouvre ma joue en deux. Je ne bouge pas. Paralysé. Vide de toute émotion.

Puis finalement, le sol cesse de trembler, les étoiles reprennent leur place dans la voûte céleste puis s'inclinent pour laisser place aux premiers rayons du soleil. Les derniers pans de montagne retrouvent leur immobilité solennelle et le silence retombe sur le village.

Lourd. Mortuaire.

Et je comprends que tout est fini.



NDA : Bon... Tout le monde est vivant ? Je n'ai perdu personne lors de ce chapitre ?

Je dois avouer que, d'un point de vue émotionnel, il a été assez dur à écrire. Ce n'est jamais simple de tuer ses personnages, même lorsqu'on l'a décidé depuis le début, mais dans la logique du monde que j'ai créé, il n'y avait pas d'autre issue.

J'attends avec impatience vos avis sur ce sombre chapitre. J'espère n'avoir traumatisé personne parce que, pour être honnête, il y aura sûrement d'autres moments aussi terribles par la suite.

Je vous fais quand même des bisous ♥

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