𝟨. 𝒜𝒻𝒻𝓇𝑜𝓃𝓉𝑒𝓂𝑒𝓃𝓉


Ce matin-là, c'est la botte de Ronh appuyant contre mon estomac qui m'extirpe des bras de Morphée. Jurant contre le rayon de soleil qui tente de me brûler la rétine, je roule sur le flanc avec le très sérieux objectif de me rendormir pour quelques années.

— Ben alors mon salaud, on tient plus le coup ?

La voix moqueuse de mon ami ne m'arrache qu'un faible grognement et je glisse plusieurs fois ma langue derrière mes dents pour lutter contre cette affreuse sensation de bouche pâteuse. Bordel, j'ai l'impression que mon corps pèse une tonne.

Toujours aussi peu enclin à ouvrir les yeux, je pose un bras en travers de mon visage et remarque que ce simple mouvement réveille mon épaule engourdie.

— Regardez moi ce noblion abruti par le vin et la bonne bouffe ! Debout mon cochon, on a des obligations ce matin !

— Va crever, tu veux ? grincé-je en baillant ostensiblement.

Un ricanement de hyène me répond et Ronh se jette sur moi pour frotter énergiquement mon crâne.

— Alors, comment c'était hier soir ? Combien de jeunes princes as-tu troussé ? Tu t'es tapé le roi ? T'as vu l'heure à laquelle t'es rentré ! J'ai cru qu'on avait jeté ton corps dans le fleuve ! Allez mon gars, fais pas ton salaud et raconte à papa comment la haute société t'a bouffé la queue !

Cet imbécile a tout juste le temps de clore sa tirade que mon coude s'enfonce dans ses côtes et le projette à l'autre bout de la paillasse. Une nouvelle fois, son gloussement stupide retentit à travers la pièce, rejoint par un esclaffement que j'estime provenir de Lâa.

— Va te rincer la gueule champion, s'entête Ronh en me donnant un coup de pied dans la cuisse, tu sens le cul !

— En même temps, t'as pas idée de combien j'en ai bouffé, marmonné-je d'un ton endormi.

Deux éclats de rire me répondent, bien vite coupés par un reniflement méprisant dont je devine parfaitement l'autrice.

— Vous êtes vraiment dégueulasses, nous admoneste Naya. On est ici parce qu'on nous a chargés d'une mission de la plus haute importance et vous ne faites que vous comporter comme des idiots ! Kahn, sors de ce putain de lit, on a une audience avec le roi et L'Oméga dans trente minutes. Si on est en retard à cause de toi, je te jure que je te fais bouffer tes couilles !

Je lui réponds par mon plus beau doigt d'honneur et cela me vaut un coup de jambière sur le front. Tandis que j'insulte ma tortionnaire de tous les noms, Ronh s'assoit près de moi et s'affaire à lacer sa tunique.

— Tu vois, c'est ce genre de créatures terrifiantes que crée la frustration sexuelle, me glisse-t-il d'un air de fausse confidence. S'il y en a bien une ici qui aurait besoin de bouffer un cul, c'est notre chère et tendre Naya !

Son intervention lui vaut un coup de poing sur la tempe et c'est à mon tour de ricaner grassement.

Je consens enfin à ouvrir les yeux et m'étire pendant de longues secondes, chacun de mes membres me rappelant douloureusement les efforts que je les ai obligés à fournir quelques heures plus tôt. Putain, je ne crois pas avoir un jour participé à une telle orgie ! Mon sexe en est complètement fletri !

Les yeux à moitié ouverts, je me traîne jusqu'à la salle d'eau et découvre avec ravissement qu'un seau d'eau m'attend déjà. Je m'échoue sur le tabouret en bois installé à côté et entreprends de frotter mon corps fourbu qui peine à s'éveiller.

Je remarque alors que des dizaines de traces de morsures et de griffures décorent ma peau, et ne peux empêcher un petit sourire satisfait de fleurir sur mes lèvres. La noblesse de Ma'la se rappellera de quoi est capable un alpha, foi de Kahn !

Avant de sortir, j'observe rapidement mon reflet dans un miroir en étain rangé contre le mur et grimace en apercevant mes cheveux argentés complètement emmêlés sur le sommet de mon crâne, un début de barbe manger ma mâchoire carrée et des cernes noirâtres creuser mes yeux.

Par réflexe, mon regard s'attarde sur la cicatrice qui fend ma lèvre inférieure en deux, descend le long de mon menton et traverse ma gorge jusqu'au creux formé par mes clavicules. Mon index la retrace distraitement. Mes sourcils se froncent. Et je sors de la pièce sans prendre la peine de ranger ce foutu miroir.

Dans la chambre, la horde au complet m'attend, chemises blanches lacées, pantalons en toile rêche enfoncés dans leurs bottes, bijoux d'apparat clinquant sur leurs lobes et autour de leurs poignets. Les filles ont également agrémenté leur coiffure des perles tant à la mode à Ma'la et Hassan s'est rasé de près. Ce constat me fait sourire.

— Prêts à vous faire mépriser par toute la noblesse de Ma'la ? lancé-je gaiement.

Comme d'habitude, trois paires de regards amusés et une exaspérée me répondent.


***


A mon grand désarroi, nous retrouvons l'immense salle d'attente qui précède les appartements du roi. Contrairement à la veille, cette dernière est remplie d'une cinquantaine de personnes qui nous jettent toutes des regards scandalisés emplis de dégoût. Nous avons à peine le temps de franchir le pas de la porte qu'une splendide vague humaine roule en arrière, le plus loin possible de nous.

Du coin de l'œil, j'aperçois Lâa grincer des dents tandis que Ronh fait de grands signes outrageux qui horrifient les personnes présentes. Naya comprenant que cet idiot est prêt à pousser la provocation un peu trop loin, elle nous tire vers des chaises coincées entre deux poteaux et nous oblige à nous y installer. Aucun de nous ne proteste, trop conscient que l'enjeu de cette rencontre est déterminant pour la horde.

Cela doit bien faire une dizaine d'années que notre groupe comporte chacun de ses éléments cabossés et a réussi à en tirer le meilleur potentiel. Nos histoires respectives nous ont tous conduits à vendre nos services et mettre nos vies en danger pour espérer grappiller quelques pièces d'or et trouver de quoi manger.

Ensemble, nous avons écumé chaque village, traversé chaque royaume encore en place, offert notre force à chaque personne un tant soit peu fortunée et manqué de mourir un nombre incalculable de fois. Nous nous sommes inclinés et nous avons encaissé les pires sévices pour pouvoir nous remplir le ventre. Mais nous avons également volé et tué pour la même raison. Dans notre monde, tout se vaut et rien n'a d'importance. Tuer pour le compte d'un commanditaire ou par stricte nécessité ne fait aucune différence. A la fin, nous serons toujours les méchants de l'histoire.

Or, depuis quelques mois, l'état du monde empire. Les bulles de compression se multiplient, les royaumes se déchirent, les ressources s'amenuisent. Par conséquent, nos commanditaires habituels sont moins enclins à louer nos services et notre survie s'en trouve compromise. Nous avons besoin de cette mission, cet or est une question de vie ou de mort. Qu'importe le mépris que nous ressentons à l'égard de ces foutus nobles, nous avons malheureusement besoin de leur aide.

— Alphas ! tonne soudainement une voix caverneuse de l'autre côté de la pièce.

Nous nous levons comme un seul homme et nous approchons du garde qui nous dévisage avec suspicion, la main posée sur le pommeau de son épée. Nous le suivons ensuite le long d'un immense couloir, largement éclairé par les hautes fenêtres qui recouvrent les murs. Au bout, une porte en bois massif se dresse solennellement, encadrée par deux gardes au visage aussi méfiant que leur collègue. Ce dernier leur fait un signe de tête et ils ouvrent la porte d'un air réticent.

La pièce qui se dévoile à nous n'a rien à voir avec les autres du palais : le plafond y est bas, les murs épais, la lumière tamisée. Un véritable conseil de guerre composé d'une vingtaine de personnes est attablé près d'une minuscule cheminée éteinte et leurs voix rauques ricochent contre les murs en pierre. Lorsque notre présence est remarquée, les discussions cessent et les regards se rivent sur nous. Agité d'un mauvais pressentiment, je me redresse et contracte les muscles de mon dos, prêt à me jeter dans le tas si cela peut me permettre de sauver ma vie.

Le garde qui nous a accompagné ressort de la pièce et un silence pesant s'écrase comme une chape de plomb sur nos épaules. Un homme au visage sillonné de profondes rides se lève alors lentement, appuie ses paumes sur la table et se penche vers nous d'un air menaçant.

— Voici donc les chiens qu'on nous a promis.

Quelques ricanements s'élèvent mais aucun membre de la horde ne bronche. Sûrement frustré par ce manque de réaction, le gradé qui a parlé contourne la table et se dirige vers nous avec assurance. Ses yeux cyan glissent sur chacun de nos visages et ses lèvres fines se tordent en une grimace de dégoût.

— Comment a-t-on pu permettre à de telles ordures de pénétrer dans le palais ? C'est inadmissible !

Sans prévenir, les clous de son gantelet s'écrasent contre ma joue et le choc me fait écarquiller les yeux. Aussitôt, une formidable vague de haine ravage mon estomac et je me concentre de toutes mes forces sur la douleur lancinante qui irradie de ma pommette pour ne pas planter mes crocs dans les yeux de ce connard. Le corps de Naya se crispe violemment à mes côtés.

— Nous avons reçu une missive de la part du roi, siffle-t-elle en refermant sa main autour de mon avant-bras. Veuillez donc faire preuve de respect à notre égard.

— De respect ?

Les yeux de l'homme se font plus durs et je le vois lever à nouveau le bras, prêt à frapper. Je ne lui en laisse pas le temps. Furieux, j'attrape son poignet à la volée et l'immobilise à quelques centimètres du visage de Naya.

— Frappe-la et t'es un homme mort, grondé-je en sortant les crocs.

Il n'en faut pas plus pour que la tablée entière se lève et porte la main à son épée, le corps tendu et le regard enragé. Naya s'empresse de dénouer les doigts que j'ai enfoncés dans la manche de mon adversaire et me tire brusquement en arrière.

— Inutile de nous entre-tuer, affirme-t-elle d'une voix forte. Nous sommes dans le même camp.

— Le même camp ? aboie un homme au fond de la pièce. Pour qui tu te prends salope ? Tu crois nous être égale ?

— Sale petite pute, renchérit un autre avec un reniflement dédaigneux, vous devriez déjà nous remercier de tolérer votre présence dans la même salle que nous. Sombres miséreux, sachez où est votre place et baissez les yeux lorsqu'on vous parle !

Le vieux qui m'a frappé me scrute désormais avec un tel sadisme au fond du regard que je me demande un instant s'il ne va pas me tuer. Ses petits yeux enfoncés dans leurs orbites lui confèrent un air sournois qui met tous mes sens en alerte et je regrette profondément ne pas avoir le droit de porter mon arme.

Tout à coup, il dégaine son épée et en plaque le tranchant contre ma jugulaire. Naya pousse un cri de colère et les autres se jettent en avant, mais les soldats ont tôt fait de les entourer et de ceinturer leurs bras. Mes amis se démènent comme des chiens enragés, mais sans arme, ils ne peuvent prendre l'avantage. Profitant du désordre engendré, mon adversaire enfonce davantage sa lame dans mon cou et m'adresse un affreux rictus.

— Alors, alpha, ne peux-tu donc pas te défendre ? susurre-t-il en observant d'un air jubilatoire mon sang perler sur son épée.

Brusquement, il retourne son arme et m'assène un violent coup contre la tempe avec son pommeau. Trois hommes en profitent pour me plaquer à genoux sur le sol et une lame se met à cajoler mes lèvres.

— Lèche, chien galeux ! m'ordonne le vieux d'une voix méprisante. Nettoie les traces qu'a laissé ton sang impur sur une arme royale.

Ces mots sont accueillis par des cris furieux de la part de mes amis, accentués par le raclement déchaîné de leurs bottes contre le sol. Ronh se met à proférer une litanie de jurons plus odieux les uns que les autres, ce qui lui vaut un coup de poing dans le nez. Le craquement caractéristique d'un os qui se brise retentit à travers la pièce et ne fait que décupler notre colère.

Les soldats s'irritent à leur tour et des coups pleuvent dans tous les sens, transformant la pièce en microcosme de bataille.

De mon côté, je tente de dégager mes bras de l'étau exercé par les trois hommes derrière moi, mais ne fais que recevoir un coup de pied en plein visage. En une seconde, le talon d'une botte s'abat sur ma mâchoire et le goût familier du sang inonde ma bouche. Ma fureur est à son comble.

— Je vais vous tuer, grondé-je en crachant par terre. Je vais tous vous tuer bande de fils de pute !

J'ai à peine le temps de finir ma phrase que le visage du vieux se tord de rage. A nouveau, son épée fend les airs et des hurlements retentissent derrière moi. Mes dents se serrent, mais mon regard ne quitte pas celui de mon bourreau. Si je meurs, je veux pouvoir me rappeler de ses traits et les emporter avec moi en Enfer. Puis soudain.

— Baissez immédiatement votre arme !



NDA : Alors, des avis sur ce chapitre ?

J'avance plus doucement sur cette histoire que sur les autres que j'ai pu écrire, mais j'aime bien m'essayer à ce style. N'hésitez surtout pas à me dire ce que vous en pensez, que vous ayez aimé ou moins, tout avis m'intéresse :)

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