𝟦𝟩. 𝐿𝑒 𝑀𝒶𝓈𝓈𝒾𝒻 𝒹𝑒𝓈 𝒩𝑒𝒾𝑔𝑒𝓈 𝐸𝓉𝑒𝓇𝓃𝑒𝓁𝓁𝑒𝓈


La panique qui me saisit manquerait de peu de me faire perdre à nouveau connaissance. Le cœur tambourinant contre ma cage thoracique, je tente de me relever malgré ma tête qui tourne affreusement. Que s'est-il passé ? A-t-il été enlevé ? Avons-nous été attaqués dans notre sommeil ?

Furieux contre moi-même, je me maudis d'avoir été aussi faible et d'avoir cédé à la maladie. J'étais censé resté éveillé pour surveiller son corps et en prendre soin, comment ai-je pu échouer aussi lamentablement ? Combien de temps suis-je resté endormi ? Et si Chayyim avait succombé à ses blessures ?

L'estomac noué par l'angoisse, je prends péniblement appui sur mes mains pour me relever, jurant contre mes bras qui tremblent et ma vision qui se trouble. Je dois le retrouver. Je dois absolument le retrouver ou je ne me le pardonnerai jamais.

Alors que je parviens tout juste à me mettre debout, un bras s'enroule soudainement autour de mon cou, me faisant écarquiller les yeux de surprise. Merde, mes sens sont tellement amoindris que je n'avais détecté aucune présence ! Refusant de me laisser crever aussi stupidement, je donne un violent coup de coude en arrière pour me dégager, mais ne rencontre que du vide. Aussitôt, je réitère mon geste, mais l'étau autour de ma gorge s'affaiblit.

— Mais enfin, comment pouvez-vous avoir une telle énergie après être resté inconscient aussi longtemps ?

Ces mots, prononcés d'une voix grave à l'accentuation légèrement hautaine, me pétrifie sur place. D'un bond, je me retourne, l'estomac crispé d'anticipation, pour tomber nez-à-nez avec le visage rieur de Chayyim. Bel et bien vivant.

Sans réfléchir davantage, je me jette sur lui et le prends dans mes bras, le cœur battant si fort que j'ai l'impression qu'il cherche à s'extirper de son corps. Je ne parviens pas à y croire. Comment peut-il être debout ? Il ne devrait même pas pouvoir bouger, c'est incompréhensible ! Mais bordel, je suis tellement heureux que tout ceci m'importe guère.

A la place, j'enlace sa taille si fine en prenant de grandes bouffées de son odeur suave. Vivant. Il est vivant.

Un léger esclaffement me parvient aux oreilles lorsque mes bras se mettent à trembler d'émotion autour de lui, et je sens en réponse les siens s'enrouler fermement autour de ma nuque.

— Tout va bien, chuchote-t-il contre mon oreille. Nous avons survécu.

Nous restons enlacés un long moment avant que je ne reprenne enfin mes esprits. Lorsque c'est le cas, je le repousse un peu trop brusquement et m'empresse de le retourner pour inspecter sa blessure, incapable de résorber entièrement mon inquiétude.

Si la plaie commence à cicatriser, l'ensemble reste impressionnant, notamment parce que du sang séché continue de maculer ses cheveux. La peau est encore largement boursouflée par endroits, surtout au niveau de la nuque, mais l'entièreté présente un aspect plus encourageant que les jours précédents. Dès lors, un mystère subsiste : comment peut-il déjà se mouvoir aussi aisément ?

— Vous ne devriez pas bouger, murmuré-je sans m'en rendre compte encore mes dents.

Chayyim se retourne pour me faire face puis attrape mes mains dans les siennes. Sans un mot, il les apporte à ses lèvres et prend le temps d'embrasser chacun de mes doigts dans une posture qui me semble presque un peu trop pieuse.

Ému, j'observe la façon dont ses mèches emmêlées par le sel et le sable tombent sur son front, la forme arrondie de ses épaules et sa peau légèrement brûlée par le soleil. Ne pouvant me retenir plus longtemps, j'attrape à mon tour ses mains et les apporte près de mon cœur.

— Que s'est-il passé ? l'interrogé-je d'une voix pressante. Vous ne devriez pas être debout, on ne connaît pas la gravité de votre blessure ! J'ai vu des soldats repartir au combat après s'être fracassé le crâne puis s'écrouler quelques minutes plus tard ! Vous devez vous reposer, si le mal est plus profond, vous risquez de...

— Kahn, m'interrompt mon compagnon, calmez-vous.

Il m'incite à me rasseoir puis en fait de même face à moi.

— Cela fait trois jours que vous vous battez contre la fièvre, m'explique-t-il doucement. Lorsque je me suis réveillé, cela ne devait pas faire longtemps que vous aviez perdu connaissance, et je me suis alors occupé de vous. Je ne saurais expliquer avec certitude ce qu'il s'est passé... Je pense que vos phéromones ont accéléré mon processus de guérison et ont permis à mon corps de reprendre plus rapidement des forces. Et puis, n'oubliez pas que je suis très résilient ! Mon corps est non seulement en capacité de régénérer celui des autres, mais également lui-même.

— Mais... Et si vous aviez trop puisé dans vos forces ? Et si le mal vous frappait à nouveau et...

— Ne vous en faites pas, je ne suis pas stupide. Je vous promets que je ménage mes forces, j'ai passé la première journée allongé au sol, à essayer de rétablir une certaine harmonie physique dans mon corps. Le deuxième jour, je ne me suis levé que pour boire et prendre soin de vous. Ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai utilisé ma magie pour guérir à moitié votre blessure au bras. Mais je ne pourrai faire plus, cela m'épuise.

Je suis tellement sous le choc que je mets un moment à réaliser qu'il arbore réellement un air contrarié, comme s'il s'en voulait de ne pas pouvoir me guérir complètement. Alors qu'il était lui-même entre la vie et la mort quelques jours plus tôt ! Je ne comprends plus rien. Mais je commence à réaliser que le lien qui existe entre alphas et omégas est d'une puissance sans pareille.

— Donc en gros... Nous nous sommes mutuellement sauvés ? tenté-je, toujours incertain.

— On dirait bien, sourit Chayyim. A croire que même le Vice ne peut nous séparer.

Encore trop ému pour tenir une véritable conversation, je me contente de le reprendre dans mes bras puis de déposer une myriade de baisers dans son cou. Ses mains s'enfouissent immédiatement dans mes cheveux et je l'entends inspirer mon odeur à plein poumon contre mon torse.

— Je ne dois pas sentir très bon, grommelé-je contre sa peau.

— Vous sentez affreusement bon, rétorque mon compagnon. Vous sentez si bon que je souhaiterais m'enivrer de votre odeur.

Un ricanement m'échappe et je dérive mes baisers vers sa mâchoire.

— Le danger aurait-il ramolli votre coeur ? m'amusé-je en embrassant le coin de ses lèvres.

Chayyim pouffe avant de prendre mon visage en coupe.

— Je l'ignore, mais vous n'imaginez pas à quel point je suis heureux de vous savoir en vie.

A ces mots, nos bouches se rejoignent enfin pour la première fois depuis plusieurs jours, et je crois que c'est exactement ce dont j'avais besoin. Longtemps, nous prenons le temps de caresser l'autre, de lui montrer que nous sommes vivants tout en nous assurant que lui l'est également. Mon cœur reprend progressivement un rythme normal, dépassé par cette connexion qui existe entre nous, tandis que mon être tout entier hurle son attachement envers l'homme qui me fait face.

Au bout de quelques minutes, nous nous allongons sur le sable et j'attire Chayyim contre moi.

— Qu'allons-nous faire désormais ? je m'enquiers, conscient qu'être vivants ne signifie pas que nous sommes au bout de nos peines.

— Nous allons prendre encore quelques jours pour nous reposer, répond mon compagnon en dessinant des arabesques sur mon torse. Rejoindre Ma'la est une nécessité, mais aucun de nous n'est en état pour effectuer un long voyage. Nous devons reprendre un maximum de forces, vous pour guérir, moi pour résorber nos maux le plus vite possible. Je dois stabiliser nos états le plus longtemps possible avant que nous refassions de grands efforts.

— Peut-être qu'on peut se réfugier plus en arrière, dans les falaises. J'ai réfléchi et la logique voudrait que nous nous trouvions au Nord du Massif des Neiges Éternelles. Il m'a semblé apercevoir les sommets au loin, un matin, lorsque le ciel était dégagé.

Chayyim mesure un instant l'impact de cette information.

— Arrêtons-nous dans le premier abri rocheux que nous trouverons, conclut-il finalement. Si vous avez raison, le massif nous dissimulera d'éventuels regards curieux et nous pourrons le traverser pour atteindre Ma'la.

— On voit bien que vous n'avez pas beaucoup traîné par ici, m'esclaffé-je en embrassant ses cheveux. Les montagnes pullulent de brigands, il faut être très prudent.

— Mais vous connaissez un chemin, n'est-ce pas ? réplique mon compagnon, le regard railleur.

— Évidemment, m'enorgueillis-je en haussant un sourcil arrogant. Il n'y a rien que je ne connaisse pas en ce monde.

Une pression bien précise contre mon genou me fait soudainement couiner de douleur et je lance un regard noir à Chayyim qui se recule pour éviter le coup que j'essaie de lui porter. Dans un éclat de rire, il m'observe m'étaler au sol en essayant de me relever, puis tomber une seconde fois en me prenant les pieds dans le reste de la voile posée par terre.

Jurant contre cette dernière, je conserve du mieux que je peux mon visage agacé pour ne pas montrer que les esclaffements si spontanés de mon compagnon affolent mon cœur. La poitrine débordant d'allégresse, je le contemple du coin de l'œil rire sous le soleil, les rayons illuminant son beau visage et glissant sur sa peau dénudée. Je le contemple, et je sais qu'il sera la plus belle vision que j'aurai de toute ma vie.


***


Après trois jours à nous abriter dans les falaises, nous avons finalement repris notre voyage vers Ma'la. La matinée du premier jour, nous avons longé le sommet des falaises pour avoir une vue imprenable sur les criques en contrebas, espérant secrètement y retrouver Ol'mu et son équipage. Mais rien. Il n'y a absolument aucune trace de ces derniers et nous avons fini par croire que la mer les a engloutis. A moins qu'ils ne se soient échoués plus loin. Bien que la culpabilité nous tenaille, nous n'avons pas le temps de partir à leur recherche, et j'ose espérer qu'ils l'auraient compris.

Dès que nous nous sommes éloignés du littoral, le relief est très vite devenu escarpé, parfois presque impraticable pour nos corps affaiblis. Une végétation dense couvre l'ensemble du paysage, composée de plantes basses mais aux feuilles plus acérées qu'un couteau. Les étroits sentiers de rocaille nous obligent à avancer l'un derrière l'autre, souvent en nous aidant de nos mains tant la pente est raide et le terrain glissant.

En dépit de notre condition physique restreinte, nous avons très vite atteint le Massif et ses monts gigantesques au sommet desquels la neige ne fond jamais. Arrivé à leurs pieds, je n'ai pu m'empêcher de ressentir une vague d'abattement à la perspective de l'effort qu'il allait nous falloir fournir pour gravir ces versants abrupts.

C'est pourtant ce que nous sommes en train de faire, suant abondamment tandis que nous puisons dans la force de nos jambes pour monter toujours plus haut. Au début de notre ascension, nous avons traversé un petit village dont les maisons tombaient en ruines mais dans lequel nous avons réussi à dénicher quelques vêtements à moitié épargnés par l'humidité et la vermine. A cause du naufrage puis de la quantité de tissu nécessaire pour nettoyer nos plaies, nous nous déplacions jusqu'alors en haillons et cela allait finir par devenir problématique.

Nous avons donc déniché deux paires de braies dont la matière drue gratte légèrement nos jambes, deux chemises aux manches mangées par les mites ainsi que deux capes en laine et des chaussures à la semelle assez épaisse pour affronter la rocaille. Si nous ne possédions pas tous les deux un physique sortant de l'ordinaire, on aurait presque pu nous prendre pour des montagnards.

Alors j'essaie de me comporter comme tel, faisant fi de la fatigue et de la douleur qui irradie de mon genou, m'écorchant les mains sur la pierre et me frayant un chemin à travers la nature hostile. Si mes souvenirs sont bons, aucun clan de brigands ne sévit dans cette partie du Massif, mais je préférerais tout de même que nous en sortions le plus vite possible, ne serait-ce que pour retrouver un terrain plus praticable.

Les températures chutent drastiquement lorsque la nuit tombe. Après plus de neuf heures de marche, nous évoluons désormais dans une neige épaisse dans laquelle nous pouvons nous enfoncer jusqu'à la taille si nous ne faisons pas attention. Avec le soleil qui décline, le vent s'est levé, cruel, cisaillant. Les bourrasques me brûlent les yeux et m'empêchent parfois de voir à plus de trois mètres. Pour ne pas nous perdre, Chayyim et moi nous sommes attachés avec une corde récupérée au village et avançons désormais à petits pas pour éviter de tomber dans une crevasse.

Mais quand la nuit s'installe définitivement, il devient trop dangereux de continuer. Par mesure de précaution, nous nous abritons dans un renfoncement rocheux en nous serrant l'un contre l'autre, grignotant les baies trouvées sur le piémont. Une fois que nous avons repris des forces, Chayyim procède à la même routine que nous suivons depuis quelques soirs : après avoir fermé les yeux et détendu tout son corps, il pose ses mains sur mon genou et me transmet une portion infime de son énergie vitale afin d'accélérer ma guérison. Comme toujours, je l'arrête avant la fin par peur qu'il ne s'épuise trop, et il tombe aussitôt dans un profond sommeil réparateur qui dure de longues heures.

A chaque fois qu'il s'endort aussi rapidement, la peur tenace de le voir chuter à nouveau dans l'inconscience me tiraille l'estomac. Mais plutôt que de me morfondre et d'exprimer mes inquiétudes à voix haute, je me contente alors de veiller sur son sommeil, le serrant étroitement contre mon corps tandis que le sien récupère de l'effort fourni.

Et les mêmes gestes se répètent pendant près d'une semaine.



NDA : Vous avez vu, je n'ai pas été trop méchante, je ne les ai pas laissés séparés très longtemps 😇

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top