𝟦𝟣. 𝐿𝑒 𝓇𝑒𝒻𝓁𝑒𝓉 𝒹𝑒 𝓉𝑒𝓈 𝓎𝑒𝓊𝓍


La pluie bat son plein lorsque j'aperçois enfin notre petite cabane au milieu de la tempête. Ses murs vermoulus sont malmenés par les assauts du vent, produisant un sifflement lugubre, mais elle tient bon. Éreinté, je pousse la porte d'un coup d'épaule tout en tenant fermement le pan de ma capuche devant mes yeux afin de les protéger des bourrasques glaciales.

J'ai à peine le temps de faire un pas à l'intérieur qu'une masse s'échoue sur moi et que deux mains prennent mon visage en coupe.

— Par tous les dieux, Kahn, où étiez-vous ? s'écrie Chayyim dont le visage m'apparaît faiblement grâce à la flamme d'une petite bougie posée au pied du mur.

Je mets quelques secondes à remarquer que mon compagnon est trempé de la tête aux pieds. Ses cheveux noirs sont plaqués sur son front et de l'eau en ruisselle comme s'il avait passé des heures dehors. Sa cape s'égoutte bruyamment au sol, formant une large flaque dans laquelle nous pataugeons actuellement, et son visage est déformé par un tumulte d'émotion allant de la colère au désarroi.

— Je vous ai cherché partout ! fulmine-t-il en m'attrapant par le bras. J'ai cru qu'il vous était arrivé quelque chose ! Ne faites plus jamais cela, vous êtes totalement inconscient !

Ses traits ont beau désormais afficher une franche colère, une inquiétude latente alourdit sa voix et je me sens immédiatement stupide de l'avoir laissé seul aussi longtemps. Il aurait pu lui arriver tout un tas de choses et je n'aurais pas été là pour le protéger ! Et s'il était tombé d'une falaise en me cherchant ? Et s'il s'était fait agresser ? Et s'il tombait gravement malade d'être resté si longtemps sous la tempête ?

Furieux contre moi-même, je m'empresse de retirer ma cape que je suspends à un vieux crochet rouillé qui dépasse du mur puis me précipite vers le foyer pour allumer le feu. Les quelques branches que nous avons ramassées la veille sont humides, mais il va falloir qu'elles s'enflamment si nous ne voulons pas mourir de froid cette nuit.

Sans un mot, je m'attelle à frotter les pierres à feu entre elles, m'y reprenant un nombre inlassable de fois avant qu'une étincelle n'apparaisse enfin sur les brindilles et parvienne cette fois à les embraser. Satisfait, je veille à ce que le feu prenne bien avant de me tourner vers Chayyim qui n'a pas bougé, debout devant la porte, dégoulinant sur le plancher comme un chien mouillé. Ses yeux étoilés me fixent sans ciller et je comprends qu'il ne parvient pas à sortir de cet état de terreur qui a dû l'habiter pendant mon absence.

Aussitôt, je me redresse d'un bond, retire sa cape puis délace les pièces de son armure avant de le serrer de toutes mes forces contre moi.

— Je suis désolé, soufflé-je contre son cou, je suis vraiment désolé... Je ne pensais pas que vous me chercheriez partout, je...

Les mains de Chayyim s'accrochent désespérément à mon dos et je le sens inspirer profondément contre mon torse.

— Je suis désolé, répété-je en caressant ses cheveux trempés.

Je finis par le repousser légèrement de sorte à pouvoir plonger mon regard dans le sien puis lui adresse un petit sourire.

— Mais j'ai peut-être une solution pour nous faire traverser le détroit.

Aussitôt, les yeux de mon compagnon s'écarquillent et ses mains agrippent fermement mes biceps.

— Racontez-moi ! me presse-t-il d'une voix impatiente.

Amusé, je me dépêche de lui relater ma rencontre avec Yaol ainsi que sa demande de revenir chez lui dans trois soirs. Je ne cache pas la méfiance que m'a d'abord inspirée le vieil alpha, ni sa capacité si dérangeante à me cerner. J'omets simplement le passage autour de ma volonté à prendre Chayyim comme partenaire, non seulement parce que cela ne regarde pas mon compagnon, mais surtout parce que ces mots continuent de remuer désagréablement mon estomac.

Au bout de mon récit, les traits de Chayyim sont tirés, son air grave. Je devine qu'il pèse le pour et le contre de cette rencontre, mais en réalité, lui comme moi savons que nous n'avons pas d'autre option.

— Pensez-vous que nous pouvons lui faire confiance ? me demande-t-il finalement.

— Je l'ignore. Il n'a pas de raison apparente de nous tromper, mais je n'ai pas pour habitude de me fier à cela pour placer ma confiance en quelqu'un. En réalité, si nous voulons traverser le détroit, je ne crois pas que nous aurons une autre chance. S'il connaît réellement quelqu'un d'assez fou pour tenter le voyage, je pense que nous devons sauter sur l'occasion.

Mon compagnon hoche gravement la tête avant de fixer un point au loin, perdu dans ses pensées. J'en profite pour décrocher l'outre brûlante coincée sous ma tunique avant de l'ouvrir et d'en renifler le contenu. Suspicieux, j'analyse un long moment l'odeur et l'apparence du breuvage puis en bois une petite gorgée afin de déterminer s'il est empoisonné.

Curieux, Chayyim m'observe faire en fronçant les sourcils, mais quand il voit que rien de particulier ne m'arrive et qu'un grand sourire vient étirer mes lèvres, il abandonne son air sérieux.

— Tenez, dis-je en lui tendant l'outre. C'est un cadeau de l'alpha.

Heureux de pouvoir lui offrir un repas chaud, je le contemple boire de longues gorgées de ce que j'estime être une soupe épaisse. Son visage se détend aussitôt lorsque la chaleur du breuvage se répand dans sa gorge et j'en profite pour l'attirer plus près du feu afin de le réchauffer. En attendant mon tour, je retire ma cuirasse puis ma tunique que j'étends près des flammes afin de les sécher.

Je tente ensuite d'ignorer le regard de Chayyim que je sens brûler mon torse parce que j'ai toujours peur de ce que je vais trouver dans ses yeux. Depuis plusieurs jours, je vois bien qu'il m'observe davantage, souvent à la dérobée, lorsqu'il pense que je ne peux le surprendre, et cela me ravit autant que cela me terrifie. Je sais très bien que mes sentiments à son égard ont évolué et que l'attirance qui me pousse vers lui a endossé des proportions inquiétantes. Si je croise son regard et que j'y vois, comme je l'espère, un soupçon de désir, je crains de ne pouvoir me contrôler davantage et de me jeter sur lui. En revanche, si j'y vois autre chose, ne serait-ce qu'une certaine répulsion envers les cicatrices qui strient ma peau ou la confirmation qu'il ne se passera jamais rien entre nous, la déception que je risque de ressentir sera trop intense pour que notre relation n'en pâtisse pas.

Mais au-delà de tout cela, je crois que ce que je crains le plus, c'est de voir dans ses yeux le reflet des sentiments qui m'agitent. Et cela me terrifie. Parce que, par tous les dieux, que ferais-je d'une telle affection si elle s'avère réciproque ? Tout serait condamné à l'échec, je ne peux m'infliger cela.

Alors, pour me redonner du courage, j'attrape à mon tour l'outre que me tend Chayyim et en bois de longues gorgées sans pouvoir m'empêcher de l'observer du coin de l'œil tandis qu'il finit de se dévêtir.

Le cœur battant la chamade, j'admire les lueurs sensuelles que projettent les flammes sur sa peau blanche, l'arrondi de ses épaules et les muscles saillants de ses bras. Je suis même obligé de prendre une inspiration un peu trop brusque lorsqu'il se tourne et me présente son ventre plat, amaigri par le voyage mais encore creusé par de légers abdominaux, ses hanches étroites sur lesquelles tombe son pantalon en lin, sa taille fine qui dénote avec la rudesse de son corps. Immédiatement, j'imagine mes mains se refermer sur cette dernière pour l'attirer à moi, mes dents taquiner les tétons rosés qui pointent impudiquement à cause du froid, ma langue retracer les contours de chaque tâche bleutée qui parsème son épiderme. Je me représente la douceur de son cou, les intonations légèrement rauques de sa voix, la volupté de son déhanché lorsqu'il marche devant moi. Et je dois me mordre la langue jusqu'au sang pour ne pas bander sur le champ.

Certainement conscient de mon trouble, Chayyim se rassoit à mes côtés après avoir étendu ses vêtements près des miens. Dans le plus complet des silences, nous nous mettons à observer les flammes qui crépitent, n'osant esquisser aucun mouvement ni proférer aucun mot de peur de ne faire qu'accentuer cette tension pesante qui s'est créée entre nous.

Mes crocs se mettent à malmener ma lèvre inférieure tandis que mes poings se contractent discrètement contre le sol. L'atmosphère est devenue si lourde que je peine à respirer, saturée de nos phéromones qui s'échappent en pagaille pour venir se coller à nos corps trempés. Ne pas le serrer dans mes bras devient douloureux, mais je me force à garder contenance pour ne pas dépasser la limite qu'il a tacitement tracée entre nous.

Je ne sais plus ce que je veux. Perdu entre ma volonté de le posséder et la peur de m'engager trop intimement avec lui, j'ai l'impression d'être pris dans un tourbillon sans fin qui embrouille mon esprit et annihile ma raison. Que suis-je censé faire ? Que désire-t-il ? J'ai tellement besoin de sa présence que j'en deviens inconscient, je veux qu'il reste à mes côtés pour l'éternité, je voudrais qu'il n'ait jamais été lié à ce connard de roi. J'ai besoin qu'il agisse pour moi, qu'il prenne une décision pour nous.

Alors, lorsque sa main attrape la mienne et que sa tête s'échoue sur mon épaule, j'ai la conviction d'être définitivement foutu.


NDA : Petit chapitre de transition, la suite arrive très vite 😁

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