🌹Chapitre 6🌹

   — Tu me manques, Judith...

   Mon murmure se perd parmi les tombes du cimetière. Tout est gris, ici. Gris sombre. Je frissonne. Je n'aime pas cet endroit.

   Je me penche et dépose mes fleurs sur la pierre tombale. Cette dalle ne lui ressemble pas. C'est du marbre, une pierre froide, qui ne reflète pas qui elle était. Les roses que je pose dessus ravivent le décor. Elles sont rouges sang, comme Judith les aimait.

   Je retire les anciennes, celles que j'ai posées là le jour de son enterrement, une semaine auparavant. Aujourd'hui, je suis venue seule. Ma mère a pleuré lorsque le cercueil s'est refermée, mais mon père et moi sommes restés de marbre. Maintenant, nous vivons sans elle, comme si rien n'avait changé. Alors que c'est faux, terriblement faux. Le jour où Judith est morte, tout a changé. Ma mère est redevenue la femme froide que je connais, et mon père est toujours aussi antipathique et insensible.

   Je ris toute seule face à la tombe de ma soeur, d'un rire marqué d'une profonde amertume. Il n'y a que moi qui ai changé. Que moi qui ai compris.

   Je me redresse, relevant ma longue robe pour ne pas marcher dans les flaques d'eau. Je me retourne juste avant de sortir du cimetière, pour contempler la tombe de Judith. Je pose une main sur mon coeur. Il bat contre mes doigts, qui se resserrent sur la douce étoffe de ma robe. Pourquoi mon coeur bat-il encore, alors que le sien ne fait plus le moindre bruit ?

   Je baisse mon bras et serre les poings. Mon corps entier de crispe.

   — Je découvrirai qui t'a fait ça, Judith. Et je me vengerai.

   Je sors du cimetière, le coeur lourd. Le portail en fer forgé claque derrière moi.m, me séparant une nouvelle fois de ma soeur.

   Un homme "m'aide" à monter dans la voiture, et je m'assoie sur la banquette dans un long soupir. Je contemple un moment le vide, avant de croiser les jambes et de me pincer l'arête du nez pour mieux réfléchir.

   Je sais que Judith a été assassinée, même si tout porte à croire qu'il s'agit d'un suicide. Elle n'allait pas bien, mais elle n'aurait pas fait cela. Jamais.

   Elle avait les yeux ouverts...

   Je ne suis pas une experte en matière de mort, cependant, il me semble qu'elle aurait eu les yeux fermés si elle s'était suicidée. Non, peut-être pas. Comment le savoir ?

   Je secoue la tête. Bon, ce qui est sûr, c'est que, s'il s'agit d'un assassinat, quelqu'un en avait après elle. Les ennemis de la famille Spencer sont nombreux. Mais Judith ne s'est pas montrée en public depuis près de deux ans. Si quelqu'un souhaitait se venger et tuer l'une des filles, il aurait dû me tuer, moi, et non Judith. Cela aurait été beaucoup plus logique, et aurait eu beaucoup plus d'impact. D'autant plus que je suis maintenant la fiancée d'Andrew Fisher, le fils de l'une des premières influences du pays. Je sais que notre famille se trouve un peu plus loin dans le classement. Mon père souhaite sûrement étendre son pouvoir et remonter en tête en me mariant à lui. Mais ce n'est pas le sujet..

   Qui a tué Judith ?

🌹🌹🌹

   — Anthem, la chambre de ta sœur va être vidée. Tu ferais bien d'aller voir s'il y a toutefois des choses que tu souhaites conserver.

   Je lève les yeux de mon assiette pour les tourner vers mon père. Il se débarrasse aussi vite des affaires de sa fille ?

   — Très bien, Père. Je vous remercie de m'avoir prévenue.

   Ma mère est absente au dîner, comme hier. Mon père m'a dit qu'elle était souffrante. Je pense qu'elle souffre de la perte de l'une de ses deux filles, mais qu'elle ne l'avouera jamais. Mon père n'a pas l'air de souffrir de la mort de Judith. Il n'a aucun cerne, ne présente aucun signe de fatigue, ne tremble pas, et ne se crispe pas en prononçant le prénom de ma soeur.

   Et moi ? Comment suis-je ? Qu'est-ce que les autres perçoivent en me regardant ? Voient-ils combien la perte de Judith m'affecte ? Ou pensent-ils sur je suis aussi insensible que mon père ?

   Une fois mon enquête achevée, et ma vengeance terminée, à quoi pourrai-je m'accrocher ?

   — Tu ferais bien de te dépêcher, avant que tout ne soit jeté, commente froidement mon père en dépliant son journal dans un froissement de papier.

   Je me lève et quitte la pièce, en silence. Au fil des ans, Judith et moi avons appris à ne plus déranger notre père quand il entamait sa lecture du journal. Il le lit souvent le matin, mais parfois le soir, quand il n'a pas le temps de s'y consacrer pendant la journée.

   Les domestiques qui descendent l'escalier en portant des malles remplies d'objets diverses de ma soeur inclinent respectueusement la tête sur mon passage. Je n'aime pas cela. Pourquoi sont-ils "moins bien" que moi, en-dessous, simplement parce qu'ils sont issus d'une caste différente de la mienne ? Cela me dépasse. Mais je ne peux pas faire autrement. La seule chose que je puisse faire, c'est d'avoir un mot gentil pour eux dès que mon père ou la mère ont le dos tourné. Je pense que ma mère fermerait les yeux face à ce geste. Mais ce ne serait pas le cas de mon père.

   Je tourne la tête et monte les marches en silence. La porte de Judith est ouverte. Je ne suis pas rentrée à l'intérieur depuis ce qui me semble être une éternité.

   — Veuillez me laisser seule, s'il vous plaît.

   Mon murmure fige les domestiques présents dans la chambre. Je leur souris timidement. Ils sortent, sans bruit. Ce sont des fantômes... Tout comme Judith n'est plus qu'un spectre, un souvenir. Mère veut oublier. Père fait comme si de rien était. Il n'y a que moi qui continuerait d'entretenir le souvenir de ma soeur jumelle jusqu'à ma mort. Ce n'est pas parce que les deux dernières années nous ont éloignées que notre lien s'est brisé.

   Je ferme la porte et m'adosse en battant pour contempler la chambre de Judith. Elle est semblable à la mienne, légèrement plus grande. Plus décorée, aussi. Il y a beaucoup d'objets sur les étagères, tandis que les miennes sont remplies de livres en tous genres. Père désapprouve que je lise autant. Mais aucune loi n'empêche une femme de lire. Pour lui, une femme doit être suffisamment instruite pour apprendre où est sa place, mais sans plus. Sauf que je ne suis pas d'accord. Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas avoir accès aux mêmes choses qu'un homme ? C'est injuste, mais c'est, hélas, la dure réalité du monde dans lequel nous vivons. Ce monde étrange et sombre.

   J'expire pour me donner du courage, puis ouvre les tiroirs du bureau de ma sœur. Je n'aime pas fouiller dans ses affaires. Même si elle est morte, je continue de penser que cela ne se fait pas. Je sursaute au moindre bruit, comme si j'avais peur d'être prise sur le fait, alors que j'ai tous les droits et toutes les raisons d'être là où je me trouve.

   — Pardonne-moi, Judith...

   Entre des crayons de couleur et quelques pinceaux et tubes de peinture vides, je découvre un carnet noir, relié avec du fil doré. La poussière rend la couverture presque grise. Je souffle un bon coup dessus, puis me redresse pour m'asseoir sur la chaise de Judith.

   Journal de Judith Juliet Louise Spencer

   J'effleure d'un doigts les mots écrits par ma sœur, savourant la douce texture du papier sous ma peau. Judith avait une belle écriture, ronde et précise. La mienne est brouillonne, penchée et si quelq'un parvient à lire ce que j'écris, il est très doué... J'ai toujours pensé que nous étions des opposés, et Judith le pensait elle-aussi. Mais je pense que nous nous trompions lourdement...

   J'ouvre une page au hasard. Peut-être que ce journal pourra m'éclairer sur ce que ressentait Judith avant sa mort... Et peut-être que je pourrai trouver de potentielles informations, ajouté-je mentalement, restant un frisson d'excitation.

   Cher journal,

   Je l'aime. Je crois que je ne peux plus me passer de lui. Mais ce monde ne nous autorise pas à être ensemble. Pourtant, je sais que je veux passer le restant de ma vie à ses côtés. Et je suis persuadée qu'il ressent la même chose...

   Je regarde la date qui figure en haut de la page. C'était il y a un an de cela.

   Ma gorge se noue. Judith aimait quelqu'un ? Elle aimait quelqu'un avec qui elle ne pouvait pas se marier ? Je fronce les sourcils, puis me masse doucement le front. Je tourne délicatement la page. Mes yeux se figent brusquement. Sur cette page, Judith a écrit des centaines de fois mon prénom, parfois en lettres majuscules, mais souvent en minuscules.

   Et, tout en bas :

   ILS VEULENT MA SŒUR. JE LA PROTÉGERAI. COÛTE QUE COÛTE. MÊME SI JE DOIS EN MOURIR.

   Bouleversée, je ferme le journal de Judith et le serre contre ma poitrine.

   J'observe ensuite la chambre silencieuse, seule pièce qui témoigne de la vie de ma sœur. Une sœur que je pensais connaître...

   — Qui étais-tu, Judith ? murmuré-je doucement pour moi-même.

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Nouvelle couverture, réalisée par GroupedeCoveristes

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