🌹 Chapitre 1 🌹

   Mon regard vert affronte mon double reflété dans le miroir. Je contemple la robe vert émeraude, assortie à mes yeux et mes cheveux foncés fixés en un chignon haut. D'un geste de la main, je repousse une mèche plus courte échappée de ma coiffure.

   Ce soir, je dois être parfaite. Et je le serai.

   — Anthem ! retentit la voix de mon père.

   Je ferme un court instant les yeux face au miroir, puis les rouvre, déterminée.

   — Je m'appelle Anthem Aubree Olivia et, ce soir, j'incarnerais la perfection, me murmuré-je à moi-même.

   J'expire un grand coup, et m'élance dans le couloir, quittant le sanctuaire qu'est ma chambre. Et qui ne le sera plus pour longtemps.

   Mon regard se pose sur la porte en bois sombre d'en face. Trois pas me séparent d'elle. Seulement trois pas.

   Avant d'hésiter, je toque. Silence de l'autre côté du battant. Je recule, le coeur en miettes, regrettant d'avoir frappé. Alors que je fais volte-face, la porte s'entrouvre, laissant entrevoir un visage qui ne m'est pas inconnu, qui ne peut pas m'être inconnu. Ce visage, je l'ai vu à l'instant dans mon miroir.

   — Qu'est-ce que tu veux ?

   La voix froide de ma soeur me fait mal, agissant comme un poignard que l'on m'enfoncerait dans la peau. Je ne la reconnais plus. Cette personne qui se tient devant moi, n'est ma soeur que de nom. Même son visage n'est plus tout à fait le même qu'auparavant.

   Je me racle la gorge et me balance d'un pied sur l'autre, nerveuse de lui adresser la parole.

   — Tu es sûre que tu ne veux pas venir ?

   Son regard noir me pétrifie sur place.

   — Judith... Ce serait mieux avec toi.

   Son visage semble s'adoucir. Elle lève une main pour écarter une mèche de mon visage.

   — On avait promis qu'on resterait ensemble, quoi qu'il arrive.

   Cette fois, j'en suis certaine, et je peux l'affirmer sans craindre de me faire de faux espoirs. Son regard n'est plus un iceberg, mais un océan de douceur et de chaleur. Comme avant.

   Elle se remémore certainement ce jour-là... Ce jour où nous étions dans le jardin, cachées derrière les buissons pour échapper à nos instructeurs. Nous nous étions faites une promesse, celle de rester ensemble, quoi qu'il arrive. Nous avions scellé cela en crochetant nos petits doigts. Aujourd'hui, alors que je regarde ma sœur, je sais que tout a changé entre nous deux, et que plus rien ne sera jamais comme avant. Nous ne possédons plus cette innocence qui était présente jadis. Nous sommes différentes l'une de l'autre, grandissant chacune de notre côté, surtout ces deux dernières années. Elle a passé son temps à s'enfermer dans sa chambre. Alors que nous dormirons ensemble très souvent, elle m'a fermé sa porte presque du jour au lendemain. Le pire, dans tout cela, c'est sûr je ne sais même pas pourquoi. Est-ce que j'ai fait quelque choses de mal, à l'époque, qui l'aurait poussée à m'éviter continuellement ?

   Judith ouvre la bouche, mais la voix de notre père retentit à nouveau, agacée.

   — Anthem, descends, maintenant ! Il faut partir...

   Judith se penche soudain vers moi. Je sursaute, dans un mouvement involontaire, et ses yeux se glacent aussitôt.

   — Les apparences sont souvent trompeuses... Ne fais confiance à personne, Anthem. Nous portons tous des masques, dans ce monde. Notre famille plus que quiconque.

   J'en reste muette. Avant que je ne puisse lui poser de questions, sa porte claque à nouveau. Je me retrouve seule dans le couloir sombre, frissonnante. Qu'a-t-elle voulu dire ?

   Mon sang se glace dans mes veines. Mes pieds sont collés au sol.

   — Tout va bien, chérie ?

   La voix haut perchée de ma mère me ramène à la réalité.

   — Oui, tout va bien.

   Ma voix est rauque. Je décolle les talons du sol et me dirige vers l'escalier. Juste avant de descendre, je jette un coup d'oeil par-dessus mon épaule, vers la porte de la chambre de Judith. Je ne sais pas pour qu'elle raison je fais ça. J'ai peut-être l'espoir qu'elle ouvre brusquement le battant, qui claquera avec violence contre le mur, et qu'elle me saute au cou, s'agrippant à moi comme un singe, comme elle le faisait quand elle était petite ?

   Je secoue lentement la tête, attristée. Judith n'est plus la même. Et moi non plus. Mon regard se pose à nouveau sur les marches qui se déroulent devant moi. Je ne dois plus penser au passé.

   Je dois faire honneur à mon nom, ce soir. Faire honneur à ma famille. Ne pas décevoir mes parents, alors que je suis la dernière fille qu'il leur reste.

   Je me détourne de la porte close de ma sœur jumelle. Je déteste me sentir impuissante comme ça. Alors je descends les marches, sans me douter une seule seconde que c'est la dernière fois que je vois Judith.

   Mes parents m'accueillent en bas de l'escalier. Ma mère se charge de lisser ma robe alors qu'elle est parfaitement repassée et mon père m'observe de ses yeux semblables au miens,  avec fierté et aussi ce qui me semble être une pointe d'inquiétude.

   — Tu es prête ? me demande-t-il de sa voix grave.

   Je hoche simplement la tête, même si c'est un mensonge. Je ne serai jamais prête. Ma mère presse doucement ma main dans un geste de compassion. Je la regarde, un peu surprise, et surprend son regard mélancolique. Elle doit penser elle-aussi à Judith, la deuxième fille qu'elle a mise au monde et qui refuse de sortir de sa chambre. Je me rends compte que cela lui fait autant de mal qu'à moi et, étrangement, cela me rassure. A cet instant, je comprends qu'elle n'est pas seulement une femme exemplaire qui pense sans arrêt au statut de son époux, mais aussi une mère, qui s'inquiète pour sa fille.

   Elle recule, mais je lui adresse un minuscule sourire dans le but de la rassurer. Malheureusement, ce petit moment d'affection disparaît aussitôt, et son visage est à nouveau impassible. Elle est à nouveau hors d'atteinte. Elle est redevenue Annabel Spencer, la femme parfaite.

   Je me tourne vers mon père, l'un des hommes les plus importants du pays. Elijah Spencer. Son expression est aussi impassible que celle de sa femme, tellement neutre alors qu'il regarde sa fille...

   Cependant, une émotion que je ne parviens pas à identifier est présente dans leurs prunelles à tous les deux.

   — Ce gala est d'une importance capitale. Ne nous déçois pas, Anthem.

   Ce sont les mots que mon père m'adresse avant que nous ne quittions la résidence, la main de ma mère posée sur le bras de mon père, et moi derrière eux, sans personne à mes côtés.

   Juste avant de m'engouffrer dans la voiture, mon regard se tourne une demi-seconde vers la fenêtre de la chambre de Judith. Elle ne peut plus accomplir sa tâche. C'est mon rôle, à présent. Je serre les poings dans les plis de la robe verte.

   Je serais parfaite. Je ne décevrais pas ma famille, et je préserverai l'honneur des Spencer.

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G.

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