Heure H : JUGENDLIEBE, Elefant
Heure H
Les minutes les rapprochant de la fermeture du KDR s'égrainent plus rapidement que Janina l'aurait voulu. Sur la piste, des musiques d'une époque révolue s'enchaîne, serrant douloureusement son cœur par moment, le réchauffant à d'autres. Alors qu'elle se remémore des souvenirs dans cet endroit avec ses amis, elle se fait la réflexion que le temps a adouci ceux-ci. Car une fois de plus, seuls les plus beaux, les plus heureux, les plus lumineux sont évoqués. Ou bien peut-être que les autres, plus noirs, plus sombres, plus tristes aussi sont bien enfouis, oubliés depuis des années pour arrêter d'y penser, pour arrêter d'en souffrir.
Il y a ces personnes dont personne ne cherche à prendre des nouvelles parce que tous savent désormais. Ce qu'ils étaient. Ce qu'ils ont fait. Ce qu'ils ont rapporté et les conséquences sur leur vie que cela aurait pu entraîner. Parmi les présents, seul un de leur bande n'avait pas de dossiers quand ils avaient demandé à en avoir l'accès. Parfois, la pensée atroce qu'il n'en avait peut-être pas parce qu'il était l'un des leurs l'effleure, puis l'institutrice l'écrase. Parce qu'ils sont des doutes qu'il est mieux de ne pas entretenir.
Elle prend une nouvelle gorgée de sa boisson avant de reposer son verre sur la table. Le goût est caractéristique d'un autre temps, celui du non-choix, celui où il s'agissait de l'unique boisson pétillante, une tentative médiocre de recomposer un Coca-Cola déjà fortement présent à l'Ouest. Pourtant, alors qu'elle la buvait sans la savourer des décennies plus tôt, un franc sourire se peint sur ses lèvres ce soir-là. Parce qu'il a le goût des souvenirs, du passé et de la nostalgie. Parce qu'il a le goût du KDR et de tout ce qu'elle aimait aussi. Parce qu'il a le goût de toutes ces choses qui n'existent plus et qui auraient gagné à être préservées et améliorer. Car avec l'arrêt de leur production, c'était une économie et tout un pan du pays qui s'étaient effondrés.
— Tu danses ?
La voix de Lukas résonne alors qu'il revient d'un autre côté de la salle où il avait retrouvé des amis avec qui il avait pratiqué du sport à l'époque. La main est tendue dans sa direction et Janina ne met pas bien longtemps à s'en saisir. Car si le temps n'avait pas effacé ses capacités de danse comme il l'avait fait pour leurs souvenirs, elle savait qu'elle allait passer un agréable moment. Celui qui avait un jour partagé sa vie avant de partir vers des horizons loin du gris de l'est avait toujours été excellent danseur, c'était peut-être même l'une des raisons qui avaient fait qu'il lui avait tant plus à l'époque.
Bientôt, elle se retrouve dans ses bras à se laisser entrainer au rythme des basses d'une énième chanson de son adolescence. Dans un coin de la pièce, elle voit les gens se presser pour mettre des pièces dans un jukebox qui pourrait paraître d'époque - peut-être l'était-il encore ? - et choisir la chanson suivante.
Des sifflements se mettent à pleuvoir alors qu'une chanson bien actuelle s'élève d'un seul coup. Les deux danseurs froncent leurs sourcils devant ce choix raté d'une personne n'ayant rien compris. Puis ils se mettent à rire devant l'air penaud arboré par deux jeunes, dont le capitaine du club local. Leur courte réalisation de leur bourde ne semble pourtant pas les arrêter et elle les regarde avec un air doux s'amuser au rythme de la chanson d'AnnenMayKantereit alors que le mécontentement continue de se faire entendre sans qu'ils en aient quelque chose à faire.
— On va en mettre une ?
La voix de Lukas résonne et elle hoche la tête tandis que la musique précédente s'approche de la fin. Un soupir désolé lui échappe quand elle voit qu'ils ne sont pas les seuls à avoir eu cette idée. Plusieurs personnes seules ou en couple attendent patiemment devant l'engin permettant la sélection des musiques qui s'élèveront ensuite dans le KDR.
— Tu veux qu'on attende ou ?
Alors qu'elle allait répondre, Janina reconnait sur le champ les quelques notes commençant Jugendliebe d'Elefant. Des notes qu'elle a entendu à de nombreuses reprises. Des notes qui résonnent encore dans les soirées de sa fille. Des notes qui ont conquis les deux côtés de l'Allemagne et qui ont servi à bien des slows au fil des décennies. Peut-être l'une des chansons de l'Est les plus populaires à l'Ouest. Les lèvres de Lukas s'entrouvrent quand il les reconnait à son tour. S'ils avaient dansé à bien des reprises sur ces phrases, elle l'avait toujours préférée à lui.
« Er sprach von Liebe
Dabei waren sie noch nicht mal 15 Jahr'
Schwor große Worte
Und er küsste sie und streichelte ihr Haar
Sie sprach von Träumen
Und wie gerne würde sie ihm alles glauben
Malte mit ihm Bilder
Von dem Leben, das sie sich dann beide bauten »
Alors qu'elle l'avait entendue à de nombreuses reprises, les mots s'insinuent différemment en elle alors qu'elle fredonne les chansons comme beaucoup d'autres personnes dans le KDR. Peut-être qu'eux aussi sont en train de penser à leurs premiers amours. Ceux qui sont parfois partis par le Sud. Ceux qui ont fui à l'Ouest. Ceux qui ont tenté et se sont effondrés sous les balles des hommes en vert. Ceux qui ont été trahis ou déçus en découvrant qu'ils étaient leur informateur. Ceux qui se sont simplement éloignés, comme cela arrive si souvent. Ou encore ceux qui comme elle, l'avait perdu quand il s'était jeté dans les bras de l'ouest si coloré et brillant. Cet Eldorado à conquérir ou découvrir loin du gris des bâtiments soviétiques.
Janina se demande ce qui traverse aussi l'esprit de Lukas dont les mains sont posées sur ses hanches depuis quelques dizaines de secondes. L'emprise se resserre légèrement à l'arrivée du refrain.
« Jugendliebe bringt den Tag, wo man beginnt
Alles um sich her ganz anders anzusehn, ha-ha
Lachen trägt die Zeit
Die unvergessen bleibt
Denn sie ist traumhaft schön »
Elle ferme les yeux et se laisse attirer dans les bras de Lukas, oubliant une seconde les années les séparant de cette période où ils se retrouvaient ainsi. Elle sent les mains retrouver la place naturelle dans son dos, celle qui restait peut-être la leur. Sa tête repose contre son épaule alors qu'elle inspire l'odeur du parfum qu'il a mis avant de sortir. Alors qu'elle ne s'attendait pas à cela, elle reconnait celle d'une autre époque et elle ne comprend pas comment cela est possible. Elle se presse un peu plus dans sa chemise blanche, inspirant l'odeur de son premier amour et de son pays disparu.
« Er traf sie wieder
Viele Jahre sind seit damals schon vergangen
Sieht in ihre Augen
Und er denkt zurück - wie hat es angefangen »
Elle reste contre lui alors qu'elle repense à leur rencontre, au lycée, aux soirées et après-midi au KDR ou au Stadion an die alte Fösterei. Elle se remémore leur premier cinéma et les concerts qu'ils étaient allés voir ensemble, toujours de groupes de l'Est, même après que le mur soit tombé. Des brides d'instants se mélangent. Des émotions contraires s'affrontent dans sa mémoire, la tristesse et la joie, la colère et le réconfort, la détresse et l'amour. Et puis l'amitié qui les enveloppait souvent.
Les souvenirs d'eux restent magnifiques, parce que peut-être qu'ils l'étaient, ou bien peut-être parce qu'un amour de jeunesse reste merveilleusement beau à jamais.
« Er sprach von Liebe -
Schwor große Worte
Und er küsste sie und streichelte ihr Haar »
Les lèvres s'approchent lentement des siennes alors que Janina ne sait pas quoi faire. Autour d'eux, la foule les cache de la vue de leurs amis, ceux qui comprendraient de toute façon peut-être. Des souvenirs lointains remontent alors que des doigts caressent ses cheveux et jouent un bref instant avec ses mèches. Mais contrairement à la chanson, ici, il n'y a pas de grosses promesses, même pas celle d'être indéfiniment de retour.
Elle a une seconde d'hésitation. Peut-être une de trop. Car alors qu'elle se décide pour plonger quitte à s'abimer le cœur car son premier amour en vaut peut-être la peine, les lumières s'éteignent d'un seul coup ainsi que la musique. Minuit vient de sonner, et la fermeture de son bar dansant préféré entraîne avec elle des souvenirs heureux, d'autres douloureux et un amour qu'elle croyait réussir un jour à enterrer qui semblait soudainement avoir ressuscité.
pas grand chose à rajouter ici, Jugendliebe, c'est vraiment certainement la chanson qui est la plus connue et qui est surtout celle la plus adaptée aux soirées encore maintenant contrairement aux autres utilisées qui trainent vraiment leur côté lieu. c'est la chanson d'amouuuur et elle colle tellement pour eux deux (comme vous avez pu le voir aux traductions) étant donné qu'elle parle de l'amour de jeunesse, même si initialement c'était pas pour ça qu'elle était là !
je me mets bientôt à l'épilogue, je sais où je vais pour les personnages, je suis juste en rade sur les chansons à y mettre :(
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