-2 : ALS ICH FORTGING, Karussell

(paroles à vraiment bien lire en même temps sur ce chap !!)

2 heures plus tôt

Les retrouvailles sont tout ce que Janina rêvait sans l'avoir compris. Passée l'émotion initialement ressentie, la mère de famille est juste heureuse de retrouver ceux qui furent jadis tout pour elle. C'est avec joie qu'ils se replongent dans leurs souvenirs édulcorés d'une époque où ils étaient heureux. Dans les souvenirs des soirées et après-midis passés au KDR à boire des jus de pomme et rire ensemble alors que le barman les prenait sous son aile. Dans les souvenirs d'après-match à chanter pendant des heures encore des chants en l'honneur de l'Union Berlin. Dans les souvenirs de moments suspendus à écouter en secret des chansons de groupes bannis ou interdits pour avoir défié ou déplu à ceux qui les dirigeaient.

Mais alors qu'avec Über sieben Brücken mußt du gehn de Karat c'est une énième musique de son adolescence qui rejoint les autres résonnant encore et encore dans les lieux, ce sont des instants de vie qui reviennent. Les vacances sur la mer du Nord, la seule à laquelle ils avaient accès. Les sorties en famille en forêt. Les camps, certes de propagande, mais où ils se retrouvaient à rire pendant une semaine entre jeunes. Le jour où l'un de leurs parents avaient enfin eu sa Traban et où ils avaient tous eu le droit d'y faire un tour. Des choses simples, des choses loin de la vie si compliquée et des proches qu'ils ne pouvaient plus voir. De ceux qui quittaient par le mur, par le Sud ou par tous les moyens possibles et imaginables. 

Les mots qui allaient échapper aux lèvres de Janina se perdent alors que ses yeux se posent sur la silhouette dans l'entrée. Une silhouette qu'elle reconnaitrait entre mille. Une silhouette qu'elle n'a pourtant pas vue depuis des années. Une silhouette dont elle connait aussi bien les traits que tout ce à quoi les autres n'ont jamais eu accès. Un léger hoquet de stupeur finit par franchir la barrière de ses lèvres et les autres regards se tournent en direction de l'entrée où eux aussi identifient celui qu'ils n'ont pas plus croisés que l'instritutrice depuis que le mur était tombé. Sur les visages, elle voit partout le même étonnement, signe que personne ne semblait prévenu que le dernier membre non banni serait de la partie. 

« Als ich fortging war die Straße steil, kehr wieder um
Nimm an ihrem Kummer teil, mach sie heil
Als ich fortging war der Asphalt heiß, kehr wieder um
Red ihr aus um jeden Preis, was sie weiß »

Janina se perd pendant quelques secondes. Derrière, la chanson qui représente le mieux l'état dans lequel celui qui semble les avoir aperçu et se dirige vers eux était une trentaine d'années plus tôt résonne. Les notes de Karussell représentaient alors également son état, pour d'autres raisons, d'une autre façon. Mais la chanson de rupture du groupe avait alors surtout accompagné son cœur qui était alors en train d'ébrécher, sans jamais vraiment réussir à la consoler. Car comme dans la chanson, quand le mur s'était ouvert et les universités de l'Ouest leur avaient permis dans leur immense gentillesse d'y étudier, comme dans la chanson, Lukas en train de saluer les premiers d'entre eux ne s'était pas retourné. Malgré les doutes, malgré la peur, malgré ce qu'il laissait derrière lui - elle. Malgré leur amour, il avait choisi ce nouveau pays auquel elle n'avait jamais réellement appartenu.

Salut. 

Elle observe les traits alors que le souffle lui manque. Car sur ce visage aux cheveux désormais grisonnants, aux yeux marqués par les légères rides, elle reconnait tous les traits de celui qu'elle avait jadis aimé. Le sourire qui lui est adressé est léger, faible, comme si celui avec qui elle était à ce concert au lendemain de la chute du mur, répondant à Dirk Michaelis par un schwach und klein et non kehr wieder um comme ils l'avaient fait pendant plusieurs années, ne savait pas trop comment se positionner face à elle. Elle ne sait pas non plus quoi faire. Parce que Lukas, elle s'était faite à l'idée de ne plus jamais le revoir il y a des années, quand elle avait compris qu'il ne reviendrait pas à l'Est et qu'au fil du temps, les nouvelles avaient diminué jusqu'à devenir inexistantes. 

Salut. 

Elle hésite quelques secondes avant de venir le prendre dans ses bras comme tous les autres l'ont fait. Le silence est légèrement pesant alors que leur gêne est plus que palpable. Pourtant, quand les bras de celui dont elle ignore tout de la vie viennent se refermer sur elle, des pans entiers de son histoire semblent se remettre en place. Sa gorge nouée se desserre violemment alors qu'elle retrouve celui qui a été l'un de ses meilleurs amis avant de devenir son premier amour. 

Elle réalise qu'il n'y a pas vraiment besoin de mots pour ça non plus. Alors qu'elles s'étaient compris avant en écoutant les chansons, la façon qu'on les bras de Lukas de se refermer avec force sur elle lui font saisir tout ce qui à réaliser, tout ce qu'ils n'ont pas besoin de se dire parce qu'ils n'ont jamais réellement eu besoin de le faire. Ils restent plusieurs secondes, dizaines de secondes, minutes, elle n'en sait rien, enfouis dans les bras l'un de l'autre. Et comme c'était le cas auparavant alors qu'ils croisaient des membres de la police, comme c'était le cas alors qu'elle pleurait son nom inscrit dans le dossier celui d'un de ses plus proches amis signant les comptes-rendus, comme c'était le cas alors qu'il lui annonçait qu'il allait partir, l'étreinte avait gardé ce pouvoir magique de réussir à la consoler, réconforter ou rassurer. 

Tu m'as manqué là-bas.

Quand ils s'éloignent et que la main de l'ancien brun vient se poser sur sa joue, Janina n'arrive pas à savoir si c'est l'ancien Lukas ou le nouveau qui parle. Est-ce que c'était les souvenirs du jeune adulte dont les souvenirs remontaient soudainement ou ceux de l'adulte dont elle ne connaissait rien de la vie mais qui avait eu le temps d'analyser à quel endroit elle avait manqué dans sa vie. Sa main se pose une seconde sur sa joue, glissant doucement avant de s'éloigner, les doigts ne jouant pas avec ses mèches comme ils l'auraient fait à l'époque. 

« Als ich fortging kam ein Wind so wach, warf mich nicht um
Unter ihrem Tränendach war ich schwach »

Les prunelles bleutées plongent dans les siennes alors que les mots sont murmurés, les mêmes que ceux prononcés des années plus tôt alors que ses yeux se noyaient de larmes sur un quai de gare à Berlin Ouest réunifié. Janina se recule d'un bond, s'éloignant d'un passé duquel elle a eu bien trop de mal à faire le deuil. Ses pensées s'entrechoquent et sont sens dessus-dessous quand elle se réinstalle à sa table. 

Cela faisait bien longtemps qu'elle n'associait plus son ancien petit-ami à cette chanson alors qu'elle l'avait un jour fait. Non, comme l'intégralité des habitants de l'est, c'était à la chute du mur, aux choses non immuables et à la faiblesse de l'humain face à un grand chamboulement qu'elle l'associait. Car alors que les paroles reflétaient la peur du départ, de la rupture, de la fin d'un pays. Janina se souvient encore de la peur qui l'avait transpercée aussitôt la joie du mur s'effondrant terminée. Parce que c'était toute sa vie qui allait se retrouver modifiée.

« Nichts ist unendlich, so sieh das doch ein
Ich weiß, du willst unendlich sein, schwach und klein
Nichts ist von Dauer, was keiner recht will
Auch die Trauer wird dann sein, schwach und klein »

Elle peut sentir les iris posés sur elle alors que les dernières phrases de la chanson s'élèvent. Elle sait très bien à qui elles appartiennent. Et pendant quelques secondes, l'institutrice se demande si ce qui n'était pas figé dans un sens pouvait également l'être dans l'autre avant d'effacer très rapidement cette idée de son esprit. 

Pourtant, quand elle relève la tête et qu'un doux regard compatissant est posé sur elle, un de ceux qui la rassuraient jadis, elle se dit que peut-être que rien n'était éternel. Et si aujourd'hui était la fin du KDR, il était possible que cela soit aussi le début d'une nouvelle chose, d'une nouvelle vie, avec l'intégralité de son groupe d'amis retrouvés pour cette si triste occasion. Alors ce soir, Janina allait se focaliser sur la beauté dans la douleur, ne retenant que le positif de ce moment qu'elle aurait pourtant préféré ne jamais voir arriver, alors que revoir l'intégralité de sa bande d'adolescence était pourtant tout ce à quoi elle rêvait depuis des années.

als ich fortging, c'est la chanson qui est devenue l'hymne de la chute du mur. ça parle d'un homme qui quitte son ex, mais revient un peu parce qu'il a peur de la suite & c'était particulièrement adapté au contexte avec notamment ces 2 phrases qui ont toujours eu un double-sens "Rien n'est infini, alors comprends ça/Nichts ist unendlich, so sieh das doch ein & Rien ne dure que personne ne veut vraiment/Nichts ist von Dauer, was keiner recht will". karussell était en plus en concert à la + grande salle de berlin les 8-9-10 octobre 1989. la chanson a donc été chantée avant, pendant et après la chute du mur à cette occasion.

Mais les paroles faisaient aussi référence à tous ceux qui quittaient l'allemagne par le sud notamment. Avec les paroles Als ich fortging war die Straße steil, kehr wieder um/quand je suis parti la route était xx, fais demi-tour. Ou dans ce cas précis, ceux ne partaient pas demandaient aux autres de ne pas partir. D'ailleurs avant la chute du mur, c'était le kehr wieder um qui était chanté fort en concert. Le soir de la chute du mur, le nichts ist unendlich (rien n'est infini) et dès le lendemain alors que l'est et l'ouest se mélangeaient dans la salle schwach und klein (faible et petit) ce qui semblait déjà indiquer une peur de la suite. 

https://youtu.be/FYVb8kMsZz4

L'autre chanson, particulièrement connue à l'ouest aussi parce qu'elle a fait l'objet de nombreuses reprises : 

https://youtu.be/JBb_A2GkD8M

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