Chapitre 12 -Tourments-
Douloureux. Juché entre deux branches, à une hauteur des plus improbables, Nathaniel n'avait que trop conscience des élancements douloureux provenant de son corps, et qui semblaient s'accentuer à chaque seconde.
Immobile depuis des heures, il avait perdu toute notion du temps. Alors il pensait, afin d'éviter oh combien il souffrait. Il se rappelait encore sa course effrénée, main dans la main avec la jeune femme. Il se souvint l'avoir trainé, tel un forcené, sa peur, son angoisse guidant ses pas.
Et plus que tout, il se remémorait sa chute au travers du miroir, et sa main fouettant le vide, seule. Il avait lâché sa main. Et bon sang, qu'il s'en voulait !
Il connaissait que trop bien les lois de la physique. Un battement d'aile de papillon pouvait se transformer en énorme bourrasque dans un autre monde. Et a n'en pas douter, il n'était plus sur Xars. Et il lui semblait bien que quelques mètres les séparaient, dans ce vide incommensurable qu'ils avaient traversé. Il avait hurlé, tendu sa main et même essayer de plonger dans sa direction sans qu'elle ne lui réponde jamais ou qu'ils se rejoignent. A l'heure qu'il était, il était possible qu'elle se retrouve à l'autre bout du monde.
Et il s'en voulait. Il s'en voulait de l'avoir laissé seule, face à cet univers dont ils ne connaissaient rien. Seule alors qu'elle était très certainement blessée.
Il ne savait pas d'où il tirait cette affirmation, mais sans qu'il ne puisse l'expliquer, il en avait l'infirme certitude. Il avait l'impression de connaître intimement cette jeune femme, alors qu'il ne connaissait même pas son prénom. Tout n'était que confusion dans son esprit. Peur, angoisse, colère et incompréhension. Ses pensées, ses sentiments se heurtaient et se fracassaient dans un désordre son nom.
Il brûlait d'obtenir des réponses, aussi minimes soient-elles. Ce trop-plein d'incertitude était néfaste pour son esprit cartésien. Et il allait bientôt devenir fou. Alors il se pencha sur un autre problème. Comment descendre de cet arbre sans se casser les bras et les jambes. Et surtout, où était-il et comment ferait-il pour retrouver sa semblable dans un monde qu'il ne connaissait pas ?
De son côté, Anastasia émergeait doucement. Elle reprenait petit à petit possession d'un corps qu'il lui semblait bien trop lourd. Elle avait mal. Son épaule l'élançait bien trop pour que ce ne soit anodin. Mais elle ne se souvenait de rien. Juste de sa fuite avec Nathaniel. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi la douleur était si intense.
Désormais à demi-consciente, elle essaya doucement de reprendre le contrôle de son corps, et de soulever ses paupières qui désiraient cependant rester fermées. Elle papillona des yeux longuement, et quand elle les ouvrit, elle se retrouva face à un petit homme. D'une vingtaine de centimètres seulement, il marchait à côté d'elle. Sa main se passa dans ses cheveux noirs ébène, et il grommelait d'une voix rauque, sans qu'Anastasia ne comprenne ce qu'il disait.
Il l'intriguait énormément. La jeune femme avait toujours pensé que si de petits êtres tel que lui existaient, leur voix serait fluette et aiguë. Jamais elle n'aurait pu imaginer une voix si puissante enfermée dans un si petit corps. C'était des plus surprenants.
Alors qu'elle se perdait dans sa contemplation, le petit homme se tourna vers elle et quand il vit qu'elle était enfin réveillée, il arrêta soudainement de marcher. Il la regardait. Réellement. Comme si à travers ses deux billes ambrées des plus étincelantes, il la comprenait. Comprenait son passé, son présent, ses pensées. Elle avait l'impression qu'il fouillait au plus profond son âme, sans aucune restriction. Sans limite, avec une détermination sans faille. Pourtant, aussi rapidement qu'elle était apparue, cette lueur s'éteignit pour laisser place à un regard froid, hautain. Comme un masque que l'on rebâtit brutalement, pour ne laisser aucune chance à son adversaire. Pour ne lui laisser aucune chance.
Un guerrier. Voilà à quoi lui faisait penser cet homme. Si petit et si grand. Si frêle et si fort. Un être empli de contradiction qui faisait frissonner l'entièreté de son corps.
Quand sa voix rauque remplit de nouveau la pièce dans laquelle elle était, Anastasia sursauta. Elle le regardait, l'entendait, mais elle semblait comme déconnectée.
Par la déesse, mais que disait-il ?
Devant son air interrogatif, sa voix se haussa et sembla plus crue, plus hachée, plus énervée. Comme s'il essayait de se contenir. Mais de quoi ?
Soudain, sous ses yeux éberlués, il sauta furieusement du lit, se dirigea vers la porte et la claqua dans un bruit sourd.
Mais qui était-il donc ?
Adanedhel venait de claquer la porte, et de lâcher par la même occasion ses responsabilités. Il se faisait l'effet d'un lâche. Mais bon dieu, il n'avait pas voulu le faire ! Depuis que cette femelle était arrivée, il perdait totalement les pédales.
Un instant, il avait pensé qu'il pourrait se faire aux ordres du roi et veiller sur cette étrangère. Encore maintenant il ne savait pas ce qu'il lui était passé par la tête. Il était un guerrier, certainement pas une nourrice. Et pourtant, il lui avait suffi d'un regard sur cette femme pour lui faire changer d'avis.
Elle était dangereuse. Il fallait qu'il évite, mais il ne pouvait pas se déroger aux ordres de son souverain. Dans un râle, il jeta sa tête en arrière et ses mains vinrent furieusement tirer ses cheveux ébène. Foutue bonne femme ! Elles n'apportent que des problèmes de toute façon. Entre elle et Tintallë, il avait de quoi devenir chèvre !
Redressant sa tête, il découvrit les yeux ambrés de son griffon, si semblables aux siens. Elle au moins le comprenait. Et elle ne le laisserait jamais. Il en était certain. C'était ancré en lui.
-Que se passe-t-il, fantur ?
-Mirίel, grogna-t-il avant de soupirer longuement. C'est l'étrangère. Je ne sais pas quoi faire.
-Laisse-moi lui parler.
-Hors de question !
Sa voix claqua dans l'air, tel un fouet. Il ne voulait pas qu'elle lui parle. Sans en connaître la raison, il voulait être le seul à qui elle adresserait la parole. Le seul !
Cependant, si lui semblait surpris, son griffon ne le semblait pas. Immobile, il n'avait pas esquissé le moindre geste et le regardait de toute sa hauteur, ses yeux brillants d'une compassion non feinte. Comme s'il était au courant de ses tourments, de ses réactions imprévisibles et de son comportement contradictoire.
Pourtant, il savait que c'était la meilleure solution. Après tout, quoi de mien qu'une femme pour en comprendre une autre ?
Las, épuisé par ses émotions instables, il abdiqua et se dirigea vers la porte qu'il venait de quitter d'un pas lent.
La fatigue pensa-t-il. Elle était certainement la cause de son état. Il faudra qu'il aille se reposer après avoir parlé à cette femme.
Si la seule préoccupation d'Adanedhel était une femme, qui lui faisait furieusement perdre la tête, ce n'était pas le cas de Daery, qui cherchait son frère parmi les décombres. Grâce au lien qui les unissait, il était certain que son jumeau était encore en vie.
Quand il avait entendu parler des explosions par des voisins, il s'était précipité vers la maison de Kaël et avait vu, impuissant, la maisonnée en feu, se décomposant au gré des vagues de chaleur. Aussitôt, avec l'aide de quelques curieux, ils avaient fait une chaîne afin de transporter de l'eau et d'éteindre le feu. Ils l'avaient fait, ensemble pendant des heures, jusqu'à ce que les dieux leur viennent en aide, et que les nuages déversent leur contenus.
Dorénavant, il fouillait chaque recoin, espérant trouver son frère et les deux petits dont il lui avait parlé. Nathaniel, dont il vouait une affection sans borne, et la jeune Terrienne, étrangement relié à son protégé. Il s'acharnait, encore et encore à soulever chaque débris, quitte à se brûler les doigts et à se les écorcher. Des heures et des heures durant, sans qu'il ne sente la morsure du froid, causé par la pluie et le nuit.
Pourtant, épuisé, il se laissa tomber au sol et regarda le cadavre d'une habitation qu'il aimait tant. Sa main sur le sol, ses yeux tournés vers le ciel, il parla aux étoiles, représentant les dieux qu'il aimait de toute son âme. Dans sa douce prière, il laissa s'échapper quelques mots.
« Je te retrouverai Kaël, peu importe le temps et les moyens. Je te le promets. »
A quelques mètres de là, Kira essayait de réveiller Jack. Elle avait tout essayé. De le secouer, de lui jeter de l'eau, de le claquer... Mais il demeurait inconscient. Avec ses dernières forces restantes, elle le baffa, encore et encore, avec l'énergie du désespoir. Encore et encore. Jusqu'à entendre un faible geignement. Soulagée au plus profond de son être, elle le prit sur ses genoux et lui caressa la tête, ses larmes tombant lentement sur son front, aussi doucement que possible, comme pour effacer ses actes de violence commis quelques minutes plus tôt. Mais elle s'en fichait. Il était en vie. En vie !
Pourtant, il lui restait une dernière chose à faire pour clôturer cette horrible journée.
Téléphoner à son commanditaire.
C'est avec lenteur qu'elle le fit. Cependant, quand il lui répondit, elle déballa tout d'une traitre, comme pour se débarrasser de ce fardeau. Le plus dur étant de décrire l'état de son partenaire. Elle avait dû le réanimer plusieurs fois et le faire sortir de sa léthargie. Son crâne était ouvert, son épaule déboité, son coude et sa jambe étaient cassés. A l'autre bout du fil, son destinataire semblait accepter sans broncher, écoutant seulement les traumatismes qu'avait subis son fils.
Sans un mot, il raccrocha. Seuls ses yeux remplis de fureur semblaient transpercés la nuit, suivis d'n cris d'une rage incommensurable. Ivre de douleur et de fureur, guidé par le peu d'amour qui lui restait pour son fils, il prit la pire décision qui soit.
Celle qui allait immanquablement détruire son monde.
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