Chapitre 9

Kilia

Je me réveille peu à peu, l'esprit encore un peu lourd. Je sens une étrange impression au niveau de mes poignets et mes chevilles que je ne comprends que quand je me rappelle de ce qui s'est passé avant que je ne m'endorme. À ce souvenir, j'ouvre les yeux en grand et je m'agite en regardant autours de moi. Je suis attachée à une planche en bois, mes bras et mes jambes retenus par des sangles. Je ne suis pas allongée mais plutôt maintenue debout comme pour mieux faire face à ce qui m'attends.

J'essaye de forcer sur mes attaches qui résistent et je m'apprête à utiliser mes flammes pour me libérer quand je remarque les symboles. La vielle chouette a dû les enchanter pour contenir ma magie, j'en suis sûre.

Une rapide inspection montre que j'ai encore mon armure et mes armes attachées à ma ceinture, Claria a dû penser que dans ma position, je ne pourrais pas m'en servir de toute façon. Peu prudent, mais elle n'a pas exactement tort...

Dépitée, je scrute les environs. J'ai l'impression d'être dans une cave aux murs de pierre sans fenêtres vers l'extérieur et un escalier montant pour seule issue. Des étagères m'encerclent, bondées de diverses choses dont certaines que je ne voudrais pas reconnaître. Dans un coin de la pièce, je vois un miroir, large et imposant, dans lequel je me vois reflétée en partie, j'ai l'air tellement pathétique dans ma position.

Enfin, je remarque ma tortionnaire, affairée à une table de travail. Elle se tourne vers moi et m'adresse un large sourire faussement sympathique.

– Ah, enfin réveillée ! Je commençait à trouver le temps long ! Enfin, ça m'a donné plus qu'assez de temps pour tout préparer pour l'opération...

– Détache-moi tout de suite si tu ne veux pas que je te tues salope ! je hurle en forçant sur mes liens. Tu ne payes rien à attendre !

– Oh que j'ai peur... se moqua la magicienne en s'approchant de moi avec des fioles dans les mains. Tu devrais ne pas faire la maline, j'ai préparé ces liens pour qu'ils contrent la magie de ton peuple.

Je me calme et la fixe en plissant les yeux. Si elle connaît les coutumes de mon peuple, alors elle sait peut-être la signification de la couleur de mon armure. Et si c'est le cas, j'ai peut-être encore une chance de m'en sortir.

– Et oui, j'ai étudié les traditions de ton clan... ricana Claria. Vu comment tu es accoutrée, tu dois être une guerrière élémentaire, pas vrai ? L'une des meilleures combattantes de ton clan avec un puissant pouvoir. La couleur de ta tenue représente celle de ta magie, alors ça doit-être soit l'eau ou la glace. C'est pour ça que j'ai enchanté les sangles avec une incantation qui bloque complètement ces deux éléments. Malheureusement pour toi, tu n'as plus la moindre chance de m'échapper. Enfin, ce n'est pas comme si ça changerait beaucoup de choses pour toi...

Ne surtout pas sourire. Je dois rester neutre, peut-être donner l'impression de cacher du dépit. Si elle n'en savait pas autant sur mon peuple, elle aurait sûrement lancé un sort plus général qui m'aurait posé problème. Mais comme elle en sait autant, elle a fait une erreur de taille avec l'anomalie que je suis. Oui, non sommes habillés comme l'élément que nous maîtrisons, mais contrairement aux autres manieurs de feu qui sont vêtus de rouge, mes flammes sont bleues. Ma magie est donc plus puissante que celle de mes camarades et on m'a donnée une armure bleue pour représenter ma magie. Ce qui veut dire que les sangles ne sont pas du tout conçues pour me retenir.

J'hésite à me libérer immédiatement mais me retiens. Je ne sais pas à quel point Claria est puissante, cependant, comme elle a servi à la cour du roi, quelque chose me dis qu'elle est redoutable. Elle avait joué la subtilité pour m'attraper avant, rien ne garanti qu'elle n'utiliseras pas la force pour me garder ici si je tente de lui échapper. Ma meilleure option est d'attendre une ouverture pour l'attaquer avant qu'elle ne comprenne ce qui se passe. Même si elle est vive, si je me jette sur elle alors qu'elle n'est qu'à quelques centimètres de moi sans prévenir, je devrais avoir une chance de la tuer avant qu'elle lance un sort. Je me dois d'être patiente...

Mais... Est-ce que je peux me le permettre ? Je dors depuis combien de temps ? À quel point le néant a-t-il progressé ? J'espère que la vieille bique va se dépêcher de me donner une ouverture, je n'ai vraiment pas le temps de jouer avec elle !

– Je sens que tu as envie de savoir ce qui t'attend... souffla Claria en restant encore trop loin à mon goût. Vois-tu, quand j'ai compris que ce monde était condamné, j'ai mené des recherches pour survivre et j'ai trouvé un traité sur les voyages dimensionnels. Savais-tu qu'il existait d'autres mondes, d'autres univers ? Chacun avec ses propres règles ? Il existe des moyens de voyager entre eux, cependant, ils ont chacun besoin de ressources particulières. Malheureusement, bien de ces choses avaient déjà disparues dans les ténèbres quand j'ai trouvé cette solution, me laissant plus qu'un sort d'envisageable même si l'ingrédient principal était devenu bien rare dans cette ville désertée.

– Et laisse-moi deviner, c'est là que j'interviens ? je demande froidement.

– Absolument ! Ton âme, pour être plus précise ! J'ai tenté de sacrifier les âmes de monstres avant de te trouver, mais leurs consciences n'étaient pas assez puissantes. Il faut sacrifier la forte volonté d'un humain ou une entité au même niveau de conscience pour ouvrir la porte entre les mondes. On peut dire que tu es tombée à point nommée, même si j'ai dû fouiller les derniers recoins de la ville pour trouver les ingrédients qui me manquaient.

– Pourquoi ne pas avoir attaqué Eldon pour son âme alors ? je demande en sentant l'embrouille. Si tu avais besoin d'une âme, la sienne aurait dû faire l'affaire, non ?

– Ha ! On vois que tu ne le connais pas ! Oui, son âme aurait fait l'affaire, mais l'obtenir aurait été une autre paire de manche ! Eldon est certes âgé, il reste un formidable combattant qui chassait des dragons dans sa jeunesse. Je suis peut-être puissante, je sais qu'en combat singulier, il a plus de chance de l'emporter que moi. Alors j'ai préféré patienter et tu es la preuve que j'ai fait le bon choix.

Je me mords la lèvre en baissant les yeux. Je savais qu'Eldon était roi, mais un guerrier ? Surtout un capable de tuer des dragons ? Si elle ne me ment pas, ça veut dire qu'un sacré combat m'attend... Enfin, si j'arrive déjà à me tirer de cette situation...

– Et puis, j'avoue que quitte à me trouver un nouveau corps, je préférerais une enveloppe jeune... Et féminine, surtout, même si dans la situation actuelle, je me serrais accommodée de ce que j'aurais trouvé...

Cette remarque m'interpelle et je fixe la créature devant moi avec horreur en comprenant quelle sorte de monstruosité me tient entre ses griffes.

– Une désincarnée...

– Bien, tu en sais des choses... ricana la monstruosité dans le corps d'une mortelle. Je n'ai jamais eu ma propre enveloppe charnelle, alors je vole celle des autres après avoir dévoré leurs âmes, même si dans ton cas, les choses se passeront différemment. D'habitude, j'en change tous les trente ans et je cible d'habitude les jeunes enfants pour que leur changement d'attitude soit mon suspect, mais quand cette chère Claria a commencé à gravir les échelons, je me suis dis que changer mes habitudes serait à mon avantage, et j'ai eu raison. En siégeant au conseil de la magie, j'ai pu apprendre tant de sorts, une vraie aubaine ! Et j'ai même pris le temps d'avoir des enfants et petits-enfants, en me disant que d'ici peu, celle que l'on appelait Claria décéderait et que son plus jeune descendant s'éveillerait à un talent magique encore jamais vu... Tant qu'à faire, autant fonder une dynastie qui a pour seul but de garantir ma prospérité. Certes, c'est gâché maintenant, mais je n'aurais qu'à recommencer dans un autre monde...

Depuis combien de siècles cette horreur existe ? De millénaires ? Combien de vies a-t-elle ruiné en dérobant autant de futurs potentiels ? L'un des devoirs de mon clan a toujours été de traquer les monstres dans son genre pour les tuer, et à la fin de tout, je me retrouve à la merci du dernier d'entre eux ?

Je vois un mouvement derrière la fausse Claria et je me mets à blêmir. Bon sang, mais j'ai dormi combien de temps, moi ?

Interloquée par mon comportement, ma ravisseuse se retourne et pousse un cri de terreur. Comme moi, elle vient de voir une tâche noire se former sur le mur en face et grandir, l'engloutissant lentement. Les choses sur les étagères disparaissent elles aussi au contact de l'obscurité qui s'étend sans que rien puisse lui résister.

Moi qui avais tant haï le néant, je suis finalement ravi de le voir. J'inspire et force sur mes jambes en incinérant les sangles qui les retiennent. En renforçant le coup avec des flammes, je donne un violant coup dans le dos de la désincarnée avec mes deux pieds pour la poussée le plus loin possible. Elle n'a rien vu venir et vole jusqu'à l'autre bout de la salle. Elle s'étale au sol et se relève en hurlant vers moi.

– Sale pute ! Quand j'aurais ton corps, je me ferais une joie de...

Elle se tait en pleine phrase et son visage devient blanc. Je suis son regard vers sa main encore posée sur le sol. Le néant s'est déjà propagé jusqu'à elle et commence à l'engloutir. Je ne sais que trop bien ce qui va se passer, alors je ne perds pas une seconde à libérer mes bras et détaller vers l'escalier qui a l'air encore sauf.

J'entends un cri qui devient de plus en plus inhumain derrière moi alors que je gravis les marches quatre à quatre. J'arrive enfin en haut de cette dernière et enfonce la porte qui m'y attend d'un coup d'épaule pour me retrouver dans le hall d'entrée. La moitié de la pièce a déjà été englouti par le mur de ténèbres qui dévore tout, ayant même emporté la porte d'entrée. Je n'ai donc pas d'autre alternative de trouver une fenêtre à traverser et me dépêcher d'atteindre le palais.

Je me remets à courir et trébuche en avant quand un de mes pieds et retenu en arrière. Surprise, je me retourne et vois des griffes spectrales se resserrer autours de ma cheville. Des escaliers que je viens de quitter, je vois une apparition émerger, une forme cauchemardesque difforme qui ne semble pas avoir de véritable consistance. Elle pose deux yeux rouges incandescents sur moi et le bas de son visage se déchire pour former une bouche distordue.

– DoNne MoI TOn cOrpS... m'ordonne la désincarnée dans sa forme la plus pure.

Je lui colle un coup de pied en pleine face, entourant mon coup de flammes bleues qui blessent la créature et l'envoi valser dans les escaliers. Je ne perds pas une seconde de plus et je me rue dans la direction opposée du néant. L'avantage avec cette menace là, c'est que l'on sait toujours d'où elle arrive, et si elle arrive à nous encercler, c'est qu'il n'y a de toute façon plus nul part où fuir...

Je déboule dans un salon et j'aperçois de larges fenêtres qui semblent ne demander qu'à être traversées. Je ne me fais pas prier et saute à travers la plus proche, entendant derrière moi le son de nombreuses pattes courant à toute allure dans ma direction.

Une fois que j'ai traversé la fenêtre, je roule au sol pour mieux me réceptionner et je pivote sur moi même pour projeter une intense rafale de flammes bleues derrière moi. Je n'ai pas le temps d'apercevoir mon poursuivant qu'il se prend mon attaque de plein fouet et pousse un cri monstrueux. Je contrôle le feu pour qu'il recouvre chaque fenêtre, condamnant ainsi toutes les issues de la désincarnée.

Je me relève rapidement en voyant le néant approcher et je me mets à courir vers le château, abandonnant derrière moi le cauchemar vivant qui hurle à la mort dans sa dernière demeure en flamme.

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