Chapitre 5
Kilia
Je ne sais pas combien de temps je vais encore pouvoir tenir. Je cours sans m'arrêter depuis plus d'une heure, avec un véritable bestiaire aux trousses. Quand j'ai cru semer les harpies, ce n'est que pour retomber sur ces fichus loups, et dans ma fuite, j'ai croisé la route de gobelins, puis de minotaures... Bref, ils sont plusieurs dizaines à me courser pour me dévorer. Et évidement, les harpies ont elles aussi retrouvé ma trace...
Au début, j'avais espéré qu'ils s'attaqueraient entre eux, mais clairement, ils sont beaucoup plus intéressés en moi qu'en chacun d'entre eux. Qui sait, ils ont dû déjà dévoré des rivaux pour découvrir qu'ils ont un goût horrible... Alors que moi...
Je ne sais même plus si je cours dans la bonne direction, je n'arrive plus à voir le château dans ces ruelles étroites. Finalement, je regrette d'avoir abandonné mon plan de quitter les toits, parce que de toute façon, les harpies que je redoutait ne semble pas gênée par l'étroitesse de ce terrain de chasse. Après, je dois faire un choix... Limiter les angles d'attaques de ces volatiles mais continuer d'être pourchassée par toutes les horreurs au sol, ou gagner de la hauteur pour compliquer la vie à ces même bestioles et donner l'avantage aux harpies. Franchement, je n'aime aucune de ces options.
Je quitte avec horreur les ruelles pour me retrouver dans une vaste place qui pourrait donner à mes poursuivants plus de place pour m'encercler. Sans oublier que c'est l'endroit idéal pour que de nouveaux adversaires puissent me tendre un piège.
Je profite quand même de la vue plus dégagée qu'avant pour lever les yeux et me repérer. Je suis ravie de voir que, même si je ne suis pas en train de courir directement vers lui, je me rapproche quand même de mon objectif. Le problème, c'est que je ne risque pas d'y arrivée seule. Ou tout court, même...
Je refuse d'abandonner et je cherche rapidement une rue qui part dans la bonne direction alors que dans mon dos résonnent les bruis de pas et de cris des horreurs qui ne veulent plus me lâcher. Sauf que d'un coup, le boucan s'arrête.
Surprise par ce changement, je risque un regard par-dessus mon épaule vers la ruelle que je viens de quitter. J'y vois plusieurs monstres s'y entasser sans oser fouler le sol de la place. Ils observent les environs et je peux sentir leur peur et panique grimper en flèche. Après un moment d'hésitation, ils se mettent à détaler dans le sens inverse, poussant leurs congénères qui sont dans leur chemin. Les harpies s'envolent dans tout les sens, se percutant dans leur fuite improvisée.
Je suis sidérée. Ces monstres m'ont pourchassée pendant une heure, et maintenant, ils détalent ? Comme si...
Oh bordel, je dois vraiment être épuisée s'il me faut autant de temps pour comprendre ce qui se passe ! Je viens de pénétrer dans le territoire d'un prédateur encore plus dangereux ! Ces monstres ont suivi leur instinct et ont fui une créature qui pourrait se mettre à les chasser à la place !
Tous mes sens sont en alerte, j'ai mes mains posées sur la poignée de mes armes. L'endroit est absolument vide, et à part le son de la fuite des monstres, c'est le silence absolu ici.
Je vois enfin un mouvement sur ma gauche ! Paniquée, je dégaine des lames et me met en posture de combat en guettant le comportement de ce potentiel adversaire. Ma vision se précise et je réalise que ce qui m'inquiète autant est une petite figure rabougrie qui avance lentement de l'autre côté de la place, elle ne semble pas m'avoir remarquée.
Bien loin de la vision du dragon que je m'imaginais, cette apparition n'inspirait aucune peur, et c'est bien ça qui m'inquiète. Bien des horreurs aiment prendre l'apparence de quelque chose inoffensif pour mieux berner ses proies et les mener à baisser leurs gardes. Mais après ce qui vient de se passer, je ne vais pas me laisser avoir.
À pas de loups, je m'approche de ma cible, guettant la moindre réaction de sa part. Mais au final, peut-être que je devrais m'éloigner au lieux de m'approcher ?Je ne sais pas de quoi cette personne est capable, et de toute façon, qu'est-ce que j'aurais à y gagner en m'y confrontant ?
– Tu es bien hésitante, tout d'un coup... Dire que tu semblais si sûre de toi un instant plus tôt...
Les mots dis pourtant avec douceur me secouent et me mettent en garde. Sans même se retourner vers moi, l'inconnue ricanait comme si elle devinait mon inquiétude. Elle finit par se retourner vers moi et m'adresser un large sourire. Je vois sous sa capuche ses longs cheveux blancs qui tombent autours de son visage fripé, ses yeux d'un éclat éteint se posent sur moi alors que j'hésite encore à fuir.
– Oh ? Une femme-louve ? Tu dois avoir un bon instinct dans ce cas... J'avais senti des monstres courir dans ma direction avant de rebrousser chemin, est-ce qu'ils te pourchassaient ? Si c'est le cas, tu as eu bien de la chance d'approcher de ma maison...
La vielle femme désigne une large battisse de l'autre côté de la place et je comprends que je me suis méprise quant à la situation. La demeure que j'admire maintenant avec plus de minutie est façonnée en bois noble et pierre éclatante, plus majestueuse que les autres bâtiments autours. Des sigles magiques ponctuent sa façade, j'en reconnais plusieurs qui servent à protéger la demeure des intrus, et certains, plus frais que les autres, ont pour vocation de tenir éloignés les monstres. Je n'ai aucun mal à deviner que cette dernière couche de protection a été ajoutée assez récemment, sûrement pour en réponse à la récente invasion de créatures de la cité.
– Vous vivez ici ? je demande en baissant enfin mes armes. Vous êtes donc magicienne ?
– Pas que ! s'exclama la vielle femme en prenant un air arrogant. Sache que tu parles à Claria Morina ! Je fais parti du haut conseil magique sous la supervision du roi en personne ! Enfin, je suis tout ce qu'il en reste... Et pour combien de temps, je ne le sais pas...
Elle a travaillé directement sous le roi ? Je ne m'attendais pas à avoir autant de chance ! J'ai tant de questions à lui poser !
Cependant, je n'ai pas le temps de la questionner avant que la lumière qui nous baignait s'estompe sans prévenir, nous plongeant dans l'obscurité la plus totale, avant de réapparaître aussi soudainement qu'elle s'était envolée. Je tourne les yeux vers la tour au sommet du château, horrifiée par ce que cette expérience peut signifier. Ce qui garde le néant à distance est en train de perdre ses forces, il ne reste plus autant de temps que ce que j'espérais.
– Nous devrions continuer cette conversation à l'intérieur... marmonna Claria. Si nous devons vivre la fin de toute chose, autant le faire dans le confort...
Je la regarde s'éloigner, tiraillée entre ma soif de réponse et le temps qui risque de manquer. Au final, je laisse ma curiosité l'emporter, car seule cette magicienne peut encore répondre à mes questions dont peut dépendre le succès de ma quête. Je rengaine mes armes et me dépêche de la rejoindre alors qu'elle ouvre la porte de sa maison en m'invitant à la suivre.
Sans me faire plus prier, je pénètre dans le large manoir et découvre un hall d'entrée immense décoré d'œuvres d'arts et d'objets magiques. Claria ignore le large escalier qui mène à l'étage et se dirige vers une porte à gauche.
– Vous vivez ici seule ? je ne peux pas m'empêcher de demander.
– Depuis quelques mois, oui... me réponds l'ancienne avec un soupir. Avant, je vivais ici avec mon mari et nos enfants et petits-enfants, mais quand le néant a commencé à se propager... J'ai tenté de les convaincre de rester, mais ils n'ont pas voulu m'écouter quand je leur disais que cet endroit serait le dernier à sombrer... Comme tous les sots qui ont fui sans plus se poser de question, ils ont essayé de trouver refuge à Valadion, à l'ouest. Moins d'une semaine après le départ, ce pays a disparu. Depuis, je vis seule ici...
Je m'en veux de lui avoir posé une question aussi sotte. Elle a perdu toute sa famille et elle m'accueille dans la maison où elle a vécu tant d'années à leurs côtés. Je peux imaginer sa tristesse, parce que moi aussi, j'ai tout perdu à cause de ce fichu néant.
Claria ouvre la porte d'un petit salon cossu et me dit de m'asseoir dans un des fauteuils accueillants. Je m'y installe et me détends un peu tant il est confortable. Je sens mes paupières se fermer lentement mais je me ressaisis. Je sais que mon corps veut se reposer, mais qui sait si le monde serait encore là à mon réveil si je me laisse aller.
– Dis moi, à quand remonte la dernière fois que tu as dormi ? m'interroge Claria en agitant la main vers un buffet.
Les portes et tiroirs du meuble s'ouvrent et des tasses et soucoupes s'envolent de cette dernière pour nous rejoindre. Une théière les suit, flottant dans les airs. Plusieurs herbes émergent d'une petite boite et plongent dans la théière qui se remplit d'eau invoquée par Claria.
– D'ici quelques minutes, le thé sera prêt... déclara la magicienne en s'installant en face de moi. Tu ferais mieux de te détendre, tu as l'air absolument exténuée...
Je me pince l'arrête du nez en évitant justement de m'assoupir et je secoue la tête.
– Je sais que vous pensez à bien, mais je suis pressée. Je m'excuse pour mon manque de politesse, mais je ne sais pas combien...
– Oh, je dirais que ce monde tiendra encore au moins deux bons jours... s'exclame Claria en agitant la main avec dédain. Avant de voir la pierre d'aube fluctuer, j'aurais dis au moins une semaine, mais maintenant, je vois que son pouvoir est en train d'atteindre ses limites... Elle risque de fluctuer de plus en plus à partir de maintenant, mais nous sombrerons pas dans le néant dans l'immédiat... Alors ne sois pas si pressée. Par contre, j'aimerais savoir ce qui t'amène si loin des forêts de Rofi. Tu ne me donnes pas l'impression de chercher un refuge pour survivre plus longtemps... Pourtant, il ne reste plus rien ici...
– Peut-être que si, justement... Vous disiez connaître le roi ? Savez-vous s'il est encore en vie ?
Claria se tend un peu en entendant ma question. Elle reste silencieuse avant de soupirer.
– Oui, Roi Eldon est encore en vie de ce que je sais... Il n'a pas quitté le palais et travaille sur un projet vide de sens... J'imagine que tu es là pour le tuer ?
– Et comment... je grogne en serrant les poings. S'il avait laissé l'équilibre du monde tranquille, ma famille serait encore en vie ! Juste disparaître avec le reste de l'univers est une fin trop douce pour lui, il doit payer pour son crime !
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