Chapitre 2

Eldon

Combien de temps me reste-t-il ? Est-ce que je vais pouvoir terminer mon projet avant qu'il ne soit trop tard ? C'est comme si le néant sait ce que je m'apprête à faire et se dépêche pour m'engloutir avant que j'ai terminé.

Mon cou me fait un mal de chien, je me penche en arrière sur ma chaise en me faisant craquer la nuque. Sans vraiment prêter attention à mon entourage, je laisse mon regard flotter sur les murs du laboratoire. Les étagères ont presque été vidées de leurs contenus, je n'ai pas vraiment pris le temps de ranger les livres que j'ai lu, surtout que je pourrais encore avoir besoin d'eux pour me rafraîchir la mémoire.

Je sens des fourmis dans mes jambes, preuve que je suis resté assis beaucoup trop longtemps pour mon bien. Je sais que je dois me dépêcher d'achever mon œuvre, mais je dois de toute façon vérifier si la pierre d'aube n'est pas en train de faiblir.

Je prends appuis sur la table de travail pour me redresser et je sens mes jambes vaciller. Je souffle quelques secondes en les agitant pour leur redonner vie avant de me retourner. Dans un coin de la salle, une sphère magique qui montre la ville et les alentours montre que l'obscurité a encore gagné du terrain, je ne saurais pas dire s'il me reste une semaine ou un jour. Cette saleté ne progresse pas toujours au même rythme. Parfois, il lui faut trois jours pour parcourir un mètre, alors que d'autres fois, des kilomètres entiers sont engloutis en l'espace de quelques secondes. La lueur de la pierre d'aube a au moins l'air de l'empêcher de faire des bonds trop importants, mais on n'est jamais trop prudent.

Avec un soupir, je ramasse mon casque à la longue tignasse argentée et je la visse solidement sur ma tête pour compléter mon armure. Je ne sais même plus depuis combien de temps je la porte, je n'ose plus l'enlever depuis que la situation a empiré. Quand les derniers gardes se sont enfuis, croyant les rumeurs selon lesquels la capitale serait maudite, les monstres en ont profité pour l'investir et je n'ai pas été en mesure de les repousser seul. Même le palais est devenu leur dernier antre pour survivre le plus longtemps possible à la fin du monde.

C'est ironique quand j'y pense... La cité d'Ordron avait été bâti pour servir de refuge contre les attaques de monstre, et maintenant, elle leur sert de demeure alors que les anciens habitants se sont enfuis et ont sûrement déjà sombré dans les ténèbres en essayer de lui échapper. S'ils m'avaient écouté, ils auraient survécu plus longtemps. Mais maintenant, je suis seul...

Quand j'empoigne ma lance, je ne peux pas m'empêcher de comprendre ce qu'ils ont ressenti en me fuyant. Après tout, quoi que je puisse dire, je ne peux pas nier que je suis le seul fautif de tout ce qui nous arrive. J'avais voulu tout réparer, et au final, je n'ai fait que nous condamner. Que raconte-t-on, sur les bonnes intentions et l'enfer ? Quoi que ce genre de pensée n'a plus de raison d'être, désormais...

Je m'approche de la porte du laboratoire que j'avais barricadé et je colle mon oreille contre elle. Pas un murmure. Rassuré, je m'empresse de bouger le mobilier qui me bloque le passage et je revérifie qu'il n'y a pas de bruit suspect de l'autre côté. Je suis enfin convaincu que la voie est libre et j'ouvre la porte.

Des monstres ont dû passer par là depuis ma dernière sortie, parce que le couloir auparavant si magnifique est encore plus dévasté. Les tapis sur le sol ne sont plus que des amas de lambeaux déchiquetés, et je n'ose même pas parler des tapisseries. Les murs et le sol sont couverts de marques de griffes et quelques dépouilles de créatures en partie dévorées jonchent le couloir au milieu des débris de statues brisées.

Je ne m'attarde pas plus sur la scène désolante qui m'accueille et je referme la porte avant de me diriger vers l'escalier central à pas de loup. Je suis peut-être prêt à me battre si j'en ai besoin, je préfère éviter l'affrontement. Trop de bruit pourrait attirer encore plus de monstruosités, et je n'ai plus la force d'en affronter plus que trois à la fois.

Plus lentement que je ne l'aurais voulu, j'arrive à l'escalier et je le scrute pour déceler une potentielle menace, sans rien trouver. Je commence alors mon ascension, mes sens en alerte. Je surveille chaque ombre, caque recoin, guettant le moindre mouvement suspect. Après avoir survécu aussi longtemps, périr comme une vermine ici est inacceptable. Je sais que je dois payer pour les horreurs que j'ai commises, mais avant d'affronter ma sentence, je dois au moins accomplir la dernière chose qui est en mon pouvoir.

Alors qu'il ne me reste que quatre marche à gravir, j'entends des grognements provenant du couloir que je vais devoir prendre. Je me fige et me concentre sur les sons pour essayer de deviner ce qui m'attends, le souffle coupé. Je perçois des pas, lourds et pesants. D'après leurs rythmes, ils sont deux... Non, trois... De grande taille, et la façon qu'ils baragouinent m'est trop familier. Des saloperies de trolls, rien que ça...

J'inspire un grand coup, je sais que je n'arriverais pas à me cacher à temps pour échapper à leurs regards sans que les cliquetis de mon armure ne trahisse ma présence. Dans quelque secondes, ils vont passer le coin et entrer dans la ligne de vue. Ce sera le moment idéal pour moi d'agir.

Je me fléchi sur mes jambes en empoignant ma lance à deux mains. Les marches ne me permettent pas de prendre un bon appui, mais je vais devoir faire avec. Ce n'est pas comme si je pouvais leur demander de patienter le temps que je me trouve un terrain plus favorable...

Dès que je vois la première tête grise au nez retroussé, je pousse de toutes mes forces sur mes jambes et bondit en avant. J'invoque une bourrasque dans mon dos pour me propulser et m'aider à fermer la distance qui me sépare de la créature qui commence à peine à tourner la tête vers moi.

Le bougre n'a pas dû avoir le temps de comprendre ce qui se passait avant que la longue lame de mon arme vienne séparer sa tête du reste de son corps et l'envoi voler contre un mur. Je pose les pieds au sol, mes jambes hurlant de douleur sous cet effort qui n'est plus de mon âge mais je les ignore. Je pivote sur mes appuis, examinant d'un regard les expressions ahuries des trois autres trolls qui commencent tout juste à réaliser ce que je venais de faire. Je me fais vraiment vieux, j'en avait loupé un...

L'avantage des Trolls, c'est que dans le meilleur des cas, ils ne portent qu'un pagne, alors je n'ai pas besoin de m'inquiéter d'être bloqué par une armure. Leur peau grise est certes très épaisse, mais ma lance tueuse de dragon ne sera pas ralentie par un tel détail.

Je me rue vers le plus proche d'entre eux en faisant un moulinet avec mon arme. Heureusement que nous sommes dans un des espaces les plus dégagés du palais, sinon mon mouvement aurait été bloqué par un mur et je n'aurais pas pu décapiter mon second adversaire. Les deux derniers réagissent enfin et lèvent leurs massues avec un beuglement presque ovin. Je serre les dents, espérant qu'aucune autre créature ne l'a entendu.

Un des deux survivants se jette sur moi de façon malhabile pour fracasser mon crâne avec son arme, mais il me suffit d'un pas de côté pour esquiver une attaque aussi rudimentaire. La pointe de ma lance vient à sa rencontre en pleine charge, je laisse son élan m'aider à l'empaler sans trop me forcer. Je vois le dernier troll sourire, s'imaginant que j'aurais du mal à dégager mon arme du cadavre de son compatriote. En même temps, il n'a pas tort, mais ce ne sera pas un problème...

Je tends la main vers le monstre qui lève sa hache au dessus de sa tête et j'invoque un vent coupant. Je pourrais le décapiter à cette distance, mais je me sens joueur alors je vise ses bras. Ses membres sont immédiatement dans une gerbe de sang qui l'aveugle, mais il n'a pas le temps de hurler de douleur car sa hache vient s'enfoncer dans son crâne. Ce n'était pas prévu, mais si ça me permet d'économiser ma mana, ça me va...

Mon dernier adversaire s'effondre au sol comme une masse pendant que je récupère mon arme avant de prendre le temps de respirer. Dire qu'il y a moins de dix ans, j'aurais pu en pourfendre le double sans sourciller, je suis vraiment trop vieux pour ces folies.

Je ne perds pas plus de temps et reprend mon avancée. J'ignore si j'aurais d'autres horreurs à pourfendre sur ma route, mais s'il y en a, je n'aimerais pas être à leur place...

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