Trahison
Aux prises avec la formidable émotion déclenchée par l'aveu d'Albert il y a quelques secondes, je remarque néanmoins la panique dans son regard quand il voit la grenade rebondir près de lui. Son calme revient toutefois rapidement lorsqu'il remarque que l'engin n'a pas été dégoupillé.
— Je sais que tu doutes de moi et tu as raison de le faire. Moi et mes amis avons bel et bien été envoyés ici pour te tuer, mais la situation est en fait encore plus compliquée...
L'esprit embrouillé, je peine à contrôler les muscles de mon corps et je suis à la merci de cet homme dont je ne parviens plus à saisir les intentions alors qu'il choisit d'être finalement honnête avec moi. Incapable de la moindre réaction, je l'observe en totale position de faiblesse alors que je suis à genoux devant lui,
— Vois-tu, poursuit-il d'une voix monotone, il y a deux groupes distincts qui te pourchassent en ce moment. Ceux envoyés par ton père et qui veulent effectivement t'éliminer, puis les autres qui cherchent désespérément à te garder en vie, bien que prisonnier de cet endroit...
— Je ne comprends pas... annoncé-je d'une voix étonnamment faible pour mon immense stature.
— Tout est de la faute de mon idiot de paternel. C'est à lui que tu dois la vie, mais aussi ta condamnation. Il t'a recueilli à ta naissance et laissé grandir dans ta prison de luxe pendant qu'il faisait construire ce dédale infernal qui allait devenir son terrain de jeu. Pendant toutes ces années, il s'est enrichi en proposant aux milliardaires de ce monde d'assister à tes victoires sanglantes sur tous ces pauvres criminels envoyés à leur mort entre les griffes du légendaire Minotaure...
— Je ne vois pas en quoi cela fait de lui un idiot... me permetté-je d'intervenir alors que je regagne progressivement le contrôle sur mes émotions.
— Pendant toutes ces années, il n'a eu d'yeux que pour toi et pour l'argent que tu lui rapportes ! Peu importe ce que je faisais, je n'ai jamais rien représenté pour lui... Un jour, ton père a eu vent de ma colère et m'a fait venir. Il m'a alors appris la trahison de mon géniteur à son endroit et son désir de te voir disparaître et j'ai accepté de collaborer avec lui...
— Mais pourquoi m'avoir sauvé la vie quand ces hommes ont pénétré la salle où nous étions ?
— D'abord pour sauver la mienne. La règle de ce jeu reste toujours la même : un seul survivant peut ressortir vainqueur et mériter le gros lot. Ils m'auraient tué sans hésiter et le plus futé des deux aurait attendu la fin pour réclamer son dû.
Remis du choc émotif qui m'a terrassé, je me relève lentement en gardant mon regard rivé sur celui que je n'arrive plus à qualifier comme ami ou ennemi. Très nerveux, celui-ci analyse le moindre de mes gestes, une main toujours glissée dans son sac et la grenade tenue dans l'autre.
— Mais si ces hommes ne souhaitent pas ma mort, que font-ils avec cette grenade ? me risqué-je à demander.
— Cet engin contient le même gaz qui est injecté à la fin de chaque cycle de jeu. C'est une sécurité fournie par mon père à ceux qui devaient te garder en vie. Leur portée est toutefois très limitée, fort heureusement pour moi et mes partenaires.
— Ton père ne peut-il pas déclencher à tout moment le système et ainsi tous nous enfumer ?
— Il n'a plus aucun contrôle sur cet endroit depuis que ton père a bousillé le système il y a environ une semaine. Il pensait pouvoir reprendre le contrôle avant l'arrivée des mercenaires, mais il n'avait pas prévu ma trahison...
— C'est donc toi qui es responsable de tout ceci...
— En effet.
— Donc tu n'as jamais eu l'intention de m'aider à sortir d'ici... lancé-je avec une voix gutturale ne laissant rien présager de bon sur mes intentions profondes.
— Je...
Concentré sur la main toujours cachée de mon adversaire, je ne lui laisse pas l'occasion de terminer sa phrase. D'un mouvement rapide, je saisis son bras et l'attire vers moi pour ensuite baisser avec force ma tête. Avec mon physique imposant qui le domine largement, je m'attends ainsi à percuter le sommet de son crâne avec mon front. À mon grand désarroi, je bascule toutefois vers l'avant lorsque celui qui allait être victime de ma colère se contorsionne avec grande habileté et se défait de mon emprise.
Déstabilisé par ce revirement soudain, je lance un regard ahuri vers cet homme qui me surprend à chaque seconde un peu plus. À sa main, qui est sortie du sac dans le mouvement qu'il vient de faire, je remarque la présence d'une menace plus grande que toutes celles rencontrées jusqu'ici.
Un pistolet.
Malgré mon physique impressionnant, il est clair que je n'ai aucune chance contre une arme de ce genre. Résigné, j'adopte néanmoins un visage stoïque et fixe celui qui sera bientôt connu comme étant l'assassin du célèbre Minotaure.
— Vas-y, dicté-je d'une voix assurée, remplis ta mission et terminons-en avec ce jeu ridicule.
Je le vois qui lève son arme et la pointe sur ma tête, tout juste entre mes yeux qui se ferment instinctivement dans l'attente de la conclusion inévitable de mon histoire. Les dents serrées, j'écoute l'instant de silence qui précède la détonation qui va annoncer ma mort.
Le son qui parvient à mes oreilles est cependant tout autre : le tintement métallique d'un objet qui rebondit quelques fois sur le sol avant de s'arrêter contre mes orteils. Intrigué, j'ouvre les yeux et voit la grenade qui gît à mes pieds, sans sa goupille.
S'ensuit un nuage inodore qui envahit rapidement l'étroit corridor où nous nous trouvons. Devant moi, Albert porte la main à sa bouche et y glisse la pilule rose que j'avais trouvé un peu plus tôt. Je comprends alors que celle-ci est un antidote à ce gaz qui commence déjà à emporter mon esprit.
— Je suis désolé.
Voilà les dernières paroles qui parviennent à mes oreilles de la part de celui qui, je l'ai cru un instant, aurait pu être un ami dans cette vie ignoble que j'ai vécue.
Une vie où j'ai dû prendre sans jamais donner.
Une vie où j'ai dû semer la mort sans rien récolter.
Une vie à errer sans atteindre aucun objectif.
Une vie simplement destinée à disparaître.
Assailli par les vapeurs toxiques qui envahissent mon système nerveux, je me perds peu à peu dans mes réflexions lorsque cette détonation que j'ai attendue pendant plusieurs secondes survient finalement.
Le coup de feu résonne pendant de nombreuses secondes, puis s'estompe.
Puis viennent deux autres détonations.
Étrangement, je ne ressens aucune douleur, mais cela ne me surprend pas tellement puisque tous mes sens m'abandonnent.
Mon père peut se réjouir, le monstre que je suis ne lui fera plus honte.
Il a gagné contre le légendaire Minotaure.
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