Mort de la bête

Mon crâne menace d'exploser et la douleur à mon bras est insoutenable.

Deux phénomènes étranges puisque je pensais être mort.

Je pense, donc je suis.

C'est fou comment cette citation de ce cher Descartes prend tout son sens quand on est convaincu que la Mort nous a pris sous son aile...

Confus, j'ouvre les yeux et analyse la scène macabre sur laquelle je trône. Près de moi repose un flacon comme celui que j'ai trouvé un peu plus tôt, vide. Dans ma bouche, une sensation pâteuse que je ne reconnais pas m'intrigue. À quelques pas de moi se trouvent deux corps, étendus et immobiles. Je ne les reconnais pas et cela m'insuffle une détermination soudaine à me relever.

Étourdi, je parviens néanmoins à me tenir debout et je vois le point rouge qui marque le front de deux individus. L'image fait appel à mes souvenirs et je me remémore mes derniers instants de conscience.

Il y a eu trois détonations.

Troublé, je me retourne et constate avec un mélange d'indignation et de peine sincère Albert assis par terre, le dos appuyé contre le mur juste à côté de moi. La vue est difficile à supporter puisque sa poitrine est couverte du sang qui s'écoule de la plaie laissée par la balle l'ayant atteint à l'épaule.

Je remarque avec surprise que, bien que ses yeux soient fermés et son visage émacié, sa poitrine se soulève et s'abaisse encore à un rythme régulier. Lentement, je me penche et pose une main sur son épaule, ce qui le fait sursauter. Son regard affolé se calme toutefois rapidement en me voyant.

— Tu es réveillé, prononce-t-il avec difficulté, affaibli par sa blessure sérieuse.

— Tu m'as donné cette pilule, n'est-ce pas ?

— Oui. Il fallait que tu te réveille...

— Pourquoi ? C'est toi-même qui a lancé la grenade !

— C'était la seule façon que j'ai trouvée pour ne pas devoir t'abattre comme un animal. Tu as toutes les raisons de vouloir me tuer...

— J'y ai songé. Plusieurs fois même. Tu restes néanmoins ma seule chance de sortir d'ici...

— Je te jure, j'aimerais que ce soit possible, mais nos pères ne le permettront pas. Maintenant que tout le monde ici est mort, mon père va bientôt envoyer son équipe de nettoyage et tout va reprendre comme avant. Du moins jusqu'à ce que ton père tente une nouvelle fois de te faire tuer...

— Tu as pourtant dit que tu avais un plan ?

— Je pensais pouvoir gagner contre eux, mais c'est impossible... Je suis désolé.

— Pourquoi m'avoir réveillé dans ce cas ?

— Pour que tu puisses décider par toi-même pour une fois... Quand ils vont rentrer, ils vont certainement enfumer tout le labyrinthe et ils ne s'attendront pas à ce que tu sois encore debout. Tu pourras alors te venger de ce qu'ils t'ont fait.

— Puis d'autres viendront et me tueront...

— C'est certain, mais tu auras au moins eu ta vengeance.

Pendant un moment, j'avoue que l'idée de laisser exploser ma rage contre ceux qui m'ont privé de ma liberté est vraiment alléchante, mais quelque chose en moi m'empêche de prendre cette voie meurtrière.

La bête en moi est morte.

— Non.

Ce mot tout simple semble frapper mon compagnon comme un coup en plein visage. Il me fixe avec deux yeux ronds complètement ahuris avant d'afficher un sourire faible.

— Tu préfères abandonner, c'est ça ? lance-t-il sans aucune malice.

— Je n'abandonne pas. Tu as gagné, c'est tout.

— C'est à mon tour de ne pas comprendre ce que tu dis...

— Si tu prouves aux hommes de ton père que tu m'as terrassé et qu'ils m'emmènent, tu seras vainqueur et tu pourras sortir d'ici, non ?

— Et toi ?

— Tu m'as donné l'antidote... Je pourrai faire semblant d'être inconscient et ainsi nous donner une chance à tous les deux de sortir d'ici. Le reste est entre tes mains.

— Que veux-tu dire ?

— Tu as dit que ton père veut m'avoir ici pour son jeu macabre et le mien veut me voir mort. Il va sans dire que ces deux hommes n'hésiteront pas à s'entretuer pour avoir une chance de mettre la main sur moi. Je suppose que tu as un moyen d'indiquer à mon père que tu as rempli ta mission ?

— Si je sors de cet endroit, je peux le rejoindre, en effet.

— Et ton père est-il au courant de ta trahison ?

— Non. Il ne sait même pas que je suis ici en fait.

— Il serait fier de savoir que son propre fils a capturé le légendaire Minotaure, ne penses-tu pas ?

— Certainement. Tu es conscient que ton plan est complètement loufoque, n'est-ce pas ? conclut Albert avec un sourire un peu plus intense que le précédent.

— Si je dois choisir entre cet Enfer ou une possibilité de rédemption, le choix n'est pas difficile. Où devons-nous aller pour avoir une chance de sortir d'ici sans que tu te vides de ton sang ?

— Le point d'extraction par lequel arrivent les équipes d'intervention n'est pas très loin d'ici... Tu es certain de vouloir tenter le coup ?

— Je n'ai pas l'intention de faire une tentative, mais bien de réussir un coup d'État !

Animé d'un espoir nouveau, je me redresse et tend la main vers mon ami pour l'aider à se relever. Je prends ensuite les sangles des sacs sur les cadavres autour de moi et compose une sangle de fortune avec laquelle j'attache son bras pour minimiser les efforts sur sa blessure. Celui-ci m'aide ensuite à faire un rapide pansement sur la mienne.

Ainsi parés, nous rejoignons la zone indiquée pour attendre l'arrivée des nettoyeurs comme les appelle Albert.

Ceux-ci arrivent comme prévu dans un nuage de fumée supposé me neutraliser et je m'étends donc sur le sol en espérant de tout cœur que mon subterfuge fonctionne tel que prévu.

De son côté, mon compagnon reste debout et attend patiemment que les mercenaires récupèrent mon corps en le glissant sur un brancard qu'ils peinent ensuite à soulever de terre.

En quelques minutes, nous nous retrouvons à l'extérieur et une forte odeur d'iode envahit soudainement mes narines. Surpris, je réalise que nous sommes entourés d'eau. Plutôt logique quand on y pense pour un lieu qui doit demeurer secret...

Le plan va bon train jusqu'à ce qu'un mot sorte soudainement de la bouche d'Albert.

— Papa !?

Un bruit sec suivi d'un hoquet de surprise de mon ami m'indique que la situation vient de s'envenimer et je décide d'ouvrir les yeux. Je le vois alors s'écrouler, une fléchette plantée dans l'épaule. À quelques pas de lui, plusieurs mercenaires pointent leurs armes sur moi et un homme richement vêtu me regarde fixement un moment avant de s'adresser à moi.

— Je vois que le plan de mon fils se déroulait plutôt bien... me lance-t-il d'une voix assurée. Il est toutefois hors de question que quiconque me dérobe mon Minotaure.

— Je n'appartiens à personne ! grogné-je d'un ton menaçant.

— Oh que si mon cher. Avec tout l'argent que j'ai investi ici, je peux vous assurer que vous m'appartenez.

Résigné, je n'ai pas d'autre choix que de le croire quand une voix résonne soudainement dans ma tête.

— Mon fils, plus personne ne s'en prendra à toi !

C'est alors qu'une vague de plusieurs mètres balaie soudainement tout sur son passage, ne laissant que moi et Albert intouchés.

Une silhouette au-dessus de l'océan abaisse peu après son trident et disparaît une fois de plus dans les profondeurs.


- Fin - 

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