Chapitre 9
Jamais Tristan n'aurait pensé que rencontrer les parents de sa petite amie soit aussi complexe. L'Alpha les avait accueilli dans sa demeure après avoir congédié les autres membres de la meute. Bien que son ton se soit considérablement radouci, il persistait à le fixer de ses yeux froids comme dans un constant avertissement. Alors, bien décidé à surmonter ce test d'intimidation que lui imposait Azriel, Tristan soutenait son regard avec audace et tentait d'agir de la manière la plus naturelle et courtoise possible. Il avait bien compris qu'un seul faux pas le mettrait à la porte.
Ils s'étaient installés au bout de la longue table dans la salle à manger. La pièce ressemblait à la galerie de chasse des vieux châteaux de France, avec des trophées et des tapis recouvrant les murs en bois et le sol. Une imposante cheminée servant sûrement de chauffage central réchauffait la pièce dans des craquements de bois. Au-dessus de l'âtre régnait en pièce maîtresse, parmi les têtes d'animaux empaillées, la gueule d'un ours immense et qui, même mort, fit frissonner Tristan. Ils avaient pris place à la table en bois massif. Azriel était au bout, présidant la petite assemblée, avec sa femme à sa droite et sa fille à sa gauche. Lui était assis à côté d'Alexandra, là où était à présent sa place. Car sans qu'on ait eu besoin de l'en informer, Tristan avait deviné que les loups-garous se plaçaient selon leur rang.
Depuis qu'ils étaient entrés, Alexandra n'avait pas dit un mot, laissant son père harceler son âme-sœur avec toutes sortes de questions. Tristan avait l'impression d'être à un interrogatoire. Il répondit pourtant le plus sincèrement possible à chaque demande de l'Alpha. Qui était-il ? D'où venait-il ? Que faisait-il dans la vie ? Cela le gênait-il que son âme-soeur soit un loup-garou ? Tristan sembla répondre correctement car les questions cessèrent après que l'Alpha se soit assuré qu'il ait compris le fonctionnement de la meute.
Azriel se leva et tous l'immitèrent. Il s'approcha de sa fille et lui sourit tendrement. À ce moment précis, Tristan compris que le rôle d'Alpha n'était qu'une façade, une des dizaines de facettes qui composaient le vieil homme. Il posa ses longs doigts sur la joue de sa fille.
- Je suis fier de toi, ma fille, dit-il. Et j'accepte votre lien.
Tristan ressentit la vague de soulagement et de fierté qui déferlera sur Alexandra. Elle se redressa, comme si tout le poids sur ses épaules venait de s'envoler. L'œil d'Azriel s'arrêta sur le cou de sa fille et il descendit sa main jusqu'aux marques qui parcouraient sa peau claire.
- Tes marques ont encore grandi. Bientôt, tu seras prête.
Tristan sentit un horrible malaise s'emparer de lui. Il ne put retenir un grognement et sa respiration s'accéléra. Sans comprendre pourquoi, la colère fit bouillir le sang dans ses veines et il réalisa qu'il était sur le point d'exploser. Il fusilla l'Alpha du regard et grogna à nouveau. Alors qu'il était prêt à lui sauter à la gorge, la voix mélodieuse de la Luna parcourut la salle.
- Azriel, ne tourmente pas ce pauvre petit. Lâche Alexandra.
Réalisant son erreur, l'Alpha s'éloigna de sa fille lentement. Dès que ses doigts quittèrent les marques d'Alexandra, le loup de Tristan se calma aussitôt et il plaqua une main sur sa bouche.
- Je... je suis désolé, bégaya-t-il, lorsqu'il se rendit compte de sa réaction. Je ne sais pas ce qui m'a pris...
- Ne vous excusez pas, le rassura l'Alpha. Je n'aurais pas dû toucher les marques de votre âme-sœur, votre réaction était légitime.
Tristan fronça les sourcils d'incompréhension. Il ne voyait pas vraiment le rapport entre sa perte de contrôle et les marques d'Alexandra. Percevant son malaise, celle-ci entreprit de lui expliquer.
- Les marques deviennent quelque chose de très intime lorsqu'un loup trouve son âme-sœur. La plupart du temps, il ne supporte pas que d'autres voient ou touchent les marques de sa moitié. Nous sommes territoriaux, nous n'aimons pas que quelqu'un touche à ce qui nous appartient. Il semblerait que ce soit également le cas pour les humains, plaisanta-t-elle.
À nouveau, la Luna prit la parole et tous se tournèrent pour écouter. Tristan ne savait pas pourquoi, mais il éprouvait un respect profond pour elle.
- Votre réaction pourtant m'intrigue. Votre lien avec Alexandra doit être très fort pour que vous ayez des réactions semblables à celles de notre race. Peu de loups cependant auraient osé défier l'Alpha comme vous l'avez fait. Il semblerait que la déesse ne se soit pas trompée, vous étiez destiné à nous rencontrer.
Sa voix ne trahissait aucun reproche, seulement de la curiosité. Mais le regard perçant qu'elle braqua sur Tristan lui glaça le sang. Il eut la terrible impression qu'elle scrutait son âme. Ses yeux clairs s'arrêtèrent juste sur son épaule, à l'endroit exact où se trouvait la morsure qui avait chamboulé sa vie, et il ressentit une vive brûlure sur la cicatrice. Puis, la Luna lui sourit tristement. La panique le gagna très vite lorsqu'il comprit le réel sens de ses paroles. Elle savait ce qu'il était vraiment. Elle savait qu'il mentait depuis le début. Terriblement mal à l'aise, il ouvrit la bouche pour s'expliquer, mais une fois de plus, il fut sauvé par Azriel, qui ne paraissait pas avoir remarqué l'échange silencieux entre sa femme et Tristan.
- Je me doute que tu n'es pas revenue uniquement pour me présenter ce jeune homme, dit-il à l'adresse de sa fille. Mais quoi que ce soit qui t'aie ammenée ici, cela peut attendre jusqu'à ce soir. Vous êtes tous les deux fatigés par votre voyage, vous feriez mieux d'aller vous reposer.
Alexandra remercia son père et entraîna son âme-soeur vers le couloir. Tristan n'avait pas prêté attention à ce qui venait de se dire mais se laissa quider par la jeune femme, plongé dans ses pensées. Son esprit et son corps s'étaient comme figés lorsqu'il vait réalisé que son secret avait été découvert. Comment avait-elle fait ? Son esprit scientifique clamait qu'il avait halluciné, que c'était impossible. Mais au fond de lui, il n'avait aucun doute sur ce qu'il venait de se passer.
Juste avant qu'ils ne quittent la salle, il échangea un dernier regard avec la Luna. Il l'implora silencieusement de ne rien dire et, contre toute espérance, elle hocha la tête et lui offrit un sourire rassurant. Il comprit alors qu'elle lui laissait l'opportunité de dévoiler son secret ou non. Et c'était son choix car elle, Tristan en était persuadé, ne dirait rien.
Alexandra le mena jusqu'à une pièce à l'étage, qu'il reconnut comme étant la chambre de la jeune femme. Il remarqua que leurs valises avaient été déposées dans un coin de la chambre. L'endroit était chaleureux et Tristan s'y sentit à l'aise dès qu'il passa la porte. Tout ici sentait Alexandra et il se noya dans ce parfum envoûtant. La jeune femme le fit asseoir sur le lit et insista pour jeter un œil à ses blessures. Docilement, il obéit et ôta son pull ainsi que sa chemise, prenant bien garde cette fois de dissimuler la cicatrice de sa morsure. Il n'avait aucune envie qu'Alexandra découvre qu'il était un monstre sanguinaire.
Après avoir appliqué une pommade sur les bleus et les plaies qui le recouvraient et changé les pansements, elle s'écarta et le déshabilla du regard. Il sentit ses yeux s'arrêter sur chaque cicatrice, comme si elle essayait de les compter. Gêné, Tristan détourna le regard. Il savait qu'elle éprouvait de la pitié pour lui mais aussi de la fureur pour les auteurs de ces marques.
- D'où te viennent toutes ces cicatrices ?
Elle commença à en suivre certaines du bout des doigts et Tristan s'empressa de recouvrir ses épaules avec son pull. Alexandra le fixait, attendant une réponse qui ne vint pas. Il n'avait pas le cœur à lui mentir, elle saurait forcément qu'il lui cachait quelque chose et elle lui en voudrait. Il leva vers elle des yeux tristes et fatigués puis, il l'attira à lui, posant sa tête contre sa poitrine. Il songea qu'il devait avoir l'air d'un cadavre avec son teint pâle, ses cernes, ses cheveux décoiffés, ses bleus et sa lèvre fendue. Mais son apparence lui importait peu, tout ce qui l'intéressait se trouvait entre ses bras. Carressant ses cheveux d'un brun terne, Alexandra fit un petit bruit pour signifier qu'elle attendait toujours une réponse. Il soupira.
- Je n'ai pas très envie d'en parler. Pas maintenant.
Il était tellement épuisé par les dernières vingt-quatre heures qu'il ne put empêcher sa voix de prendre des intonnations de supplication. Heureusement, elle n'insista pas. Puis, sans prévenir, elle se déshabilla rapidement sous les yeux exorbités de Tristan. Il ne put se retenir de contempler le corps musclé et les courbes sublimes de la jeune femme. Le rouge aux joues, il déglutit difficilement. À présent en sous-vêtements, elle se glissa dans les draps froids, juste à côté de lui. Il se leva précipitemment.
- Je vais...euh... dormir sur le fauteuil, bégéya-t-il en traversant la chambre.
Dès que ses yeux avaient rencontré le velouté de sa peau claire et ses marques sombres, il avait ressenti le besoin irrépréssible de la toucher. Cependant, il se fit violence pour ne pas céder à ces pulsions. Il refusait catégoriquement de perdre une nouvelle fois le contrôle et de se laisser dominer par cette envie toujours plus forte qui prenait forme tout au fond de lui. Il entendit Alexandra rire doucement dans son dos.
- Ne fais pas l'idiot, dragul meu.Nous somme âmes-sœurs, c'est tout naturel d'être intimes. Et puis, nous ne faisons que partager un lit pour profiter d'une sieste bien méritée. Ce n'est pas comme si tu allais encore me plaquer contre le mur et déchirer ma chemise.
Le ton plaisantin d'Alexandra le perturba et il fit volte-face pour la dévisager. Elle ne semblait pas lui tenir rigueur de sa dernière perte de contrôle au laboratoire numéro 5, ce qui le soulagea. Elle s'était allongée sur le côté, le coude enfoncé dans l'oreiller et sa main soutenant sa tête, dans une position d'attente. Il ne bougea pas pendant un moment, réfléchissant activement. Ses parents étaient dans la maison et entendaient certaienement tout ce qu'ils disaient.
Il hésita encore un instant, pesant le pour et le contre, avant d'enlever ses chaussures et son pantalon. Il enfila rapidement un T-Shirt pioché au hasard dans sa valise, puis rejoignit Alexandra dans le lit. La jeune femme entoura ses bras autour de son torse et ils s'endormirent dans l'instant chacun apaisé par le contact de l'autre.
Azriel et Elanora étaient assis côte à côte dans le canapé du salon et écoutaient avec attention leur fille expliquer le réel motif de sa venue. Tristan, que les quelques heures de sommeil avaient remis d'applomb, observait la scène d'un regard alerte. Un verre d'alcool à la main, il faisait des allers-retours derrière le siège qu'occupait son âme-sœur, pensif.
- Cela explique votre état, Tristan, déclara l'Alpha lorsque sa fille eut terminé. Je me demandais bien ce qui avait pu vous arriver. Mais dites-moi, que pouvez-vous nous dire sur cet homme ?
Le jeune homme interrompit ses pas et se tourna vers lui.
- Peu de choses, j'en ai peur. Il a la cinquantaine passée, à en juger par son allure, il a fait l'armée. Il est allemand, je crois, et semble s'intéresser de près aux loups-garous.
Il donna les informations tel quel, sans prendre la peine de les organiser. Tout pouvait être utile, pensa-t-il, même les petites intuitions. Un silence emplit la pièce, chacun réfléchissant à la situation. Tristan ressentit une culpabilité qui n'était pas la sienne, et il s'accroupit près d'Alexandra, posant une main réconfortante sur sa joue.
- Ce n'est pas ta faute, mon cœur. Tu ne peux pas t'en vouloir de l'avoir épargné.
Alexandra pressa sa joue contre la paume de Tristan. Ce simple contact de son âme-sœur regonfla son cœur.
- Il a raison, affirma la Luna, ne te blâmes pas. Cependant, cet homme reste dans la nature en possession d'une information inestimable. Que devons-nous faire, Azriel ?
L'Alpha ne semblait pas écouter. Il était perdu dans ses pensées, son regard lointain suivant le mouvement circulaire de la vodka qui tournayait dans son verre. Il se carressait la mâchoire pensivement, les sourcils froncés.
- Je ne suis pas sûr, finit-il par murmurer. Nous lancer à sa poursuite pourrait nous mener droit dans un piège. Mais ne rien faire nous exposerait à un danger encore plus grand.
Puis, il se leva, comme revenu dans le monde des vivants, et se dirigea vers la porte. Son pas était assuré, il s'était débarrasser de tous ses doutes.
- Je vais prévenir le Conseil. Cette décision ne nous revient pas. Tous les loups-garous sont concernés.
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