Chapitre 7

La vue depuis le Pont Auguste était magnifique. Les édifices du centre éclairés aux couleurs de Noël projetaient sur l'eau tranquille de l'Elbe des faisceaux de lumières. Sur le fleuve dansaient ainsi les répliques des majestueuses silhouettes du fameux opéra - le Semperoper - , et de la Cathédrale de la Sainte-Trinité - la Katholische Hofkirche. Toute cette lumière contrastant avec l'obscurité de la nuit rendait cette vision à couper le souffle.

Cependant, Tristan ne s'arrêta pas pour profiter de ce spectacle nocturne alors qu'il traversait l'Augustusbrücke. Plus il approchait du point de rendez-vous, plus il sentait ses mains dans le fond de ses poches devenir moites. Il n'avait pas pour habitude d'être froussard, mais cette entrevue ne lui disait rien qui vaille. Après tout, il n'avait pas la moindre idée de ce qui l'attendait au bout de ce pont.

Avant qu'il n'ait eu le temps de se poser une centième fois la question de savoir s'il était bien sage de s'y rendre ou non, il était arrivé sur la rive Nord. Dressé au milieu de la sortie du pont, Tristan observa les alentours. Sa condition de lycanthrope lui permettant une vision nocturne très développée, il scruta les rues qui débouchaient plus loin. Il ne vit rien. Mettant à profit ses autres sens développés, il tendit l'oreille puis huma l'air. A part les clapotis de l'Elbe, les vibrations des voitures au loin et sa propre respiration, il n'entendit rien. Et c'est alors qu'il capta une odeur chimique toute proche qui le fit frissonner. Il n'avait pas la moindre idée de ce dont il pouvait s'agir, mais il reconnut du moins les relants acides qui lui agressaient les narines. Suivant son odorat, il s'approcha du bord du pont de pierre et se pencha par dessus la balustrade. Un van noir était garé en contre-bas, à quelques mètres seulement de l'eau. Une terrible impression de déjà vu le saisit à la gorge. Puis un détail le frappa, confirmant ses soupçons. La portière gauche de la Volkswagen était rayée en travers. Il s'agissait bien là du van qui l'avait suivi un mois plus tôt.

Sans s'en aperçevoir, il se mit à trembler, submergé par une trop forte vague d'adrénaline. L'idée de retourner de là où il venait lui traversa l'esprit. Son instinct lui hurlait de faire demi-tour, exactement comme cette fameuse nuit, lorsqu'il était sorti du Karl May Bar. Toujours balancé entre ses deux options ; descendre ou fuir, il ressentit soudain cette désagréable sensation d'être observé. Baissant les yeux vers le van, il remarqua pour la première fois l'homme en noir qui le fixait. Trop tard. Il ne pouvait plus faire marche arrière. On l'avait vu. Tristan vit l'homme s'éloigner du van pour aller se dissimuler sous les arcs du pont. Inspirant profondément, il descendit sur la rive.

- Vous n'êtes pas un homme facile à trouver, Professeur Versipel. Dit une voix grave qui se répercuta contre les parois en brique de l'arche.

Il s'était adressé à lui en Français mais son accent prononcé avait trahi son origine allemande. Tristan fit encore quelques pas pour mieux le voir. L'homme qui lui faisait face devait avoir environ quarante-cinq ans. Son visage marqué et sévère laissait penser qu'il avait vécu la vie de plus d'un homme. L'expérience et le savoir pouvaient très clairement se lire sur les rides de son front. Il était rasé de près, ses cheveux blancs coupés très courts, il portait des grosses bottines à lacets et une épaisse veste sombre comptant de multiples poches. Il était grand et malgré une carrure peu massive, il semblait robuste. Tout dans son allure indiquait que Tristan pouvait bien avoir à faire à un militaire.

- Je dois dire que je ne m'attendais pas à ce que vous veniez, poursuivit l'homme.

- Difficile de prendre une décision lorsqu'on reçoit ce genre de message.

Le ton sarcastique de Tristan fit sourire le militaire, ce qui marqua encore davantage les plis de son visage. Le jeune homme trouva dans cette grimace un aspect menaçant qui tendit tous les muscles de son corps.

- Qui êtes-vous ? Demanda-t-il finalement, refusant de lui laisser croire qu'il était paralysé par la peur.

L'homme perdit son rictus et soupira, faisant quelques pas vers Tristan. Il savait avant même qu'il ouvre la bouche, que le militaire ne répondrait pas à sa question. Cet homme avait l'air d'être tout sauf honnête.

- Vous savez Professeur, je vous cherche depuis près de quatre ans. Depuis que j'ai aperçu votre bête en Auvergne, en plein cœur de la France. J'ai tout de suite su que je n'avais pas affaire à un loup ordinaire. Le vôtre est bien plus large, bien plus féroce.

Tristan déglutit mais ne dit rien. Choqué par les révélations de l'homme.

- Fasciné par cette puissante créature, je l'ai traquée. J'ai suivi son parcours. Mais lorsque vous êtes venu vous installer en Allemagne, j'ai bien cru que je vous avais perdu. Ça m'a pris trois longues années pour vous retrouver.

Tristan ne bougeait pas. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il devait faire. L'homme continua son récit, réduisant toujours un peu plus la distance qu'il y avait entre eux.

- Alors que j'avais décidé de consacrer tout mon temps à l'étude de ce nouveau spécimen, j'assistai à un événement auquel je ne m'attendais pas. Sous les premiers rayons du soleil, au lendemain d'une pleine lune, le loup géant se transforma en homme. Qui aurait cru que la légende du loup-garou était réelle ?

L'homme lâcha un petit rire nerveux comme si cette découverte l'impressionnait encore. Une goutte glacée glissa entre les omoplates de Tristan. Il n'aimait pas l'allure que prenait cet entretien.

- Il ne me restait plus qu'à trouver qui était le lycanthrope dans sa vie civile. J'ai alors commencé à vous faire suivre. Mais vous avez remarqué mes hommes. Je dois avouer vous avoir un peu sous-estimé. Alors je leur ai dit de garder leurs distances. Jusqu'à ce soir du moins.

Comme pour illustrer ses propos, deux hommes apparurent derrière Tristan, qui se sentit pris au piège. Il sentit son sang quitter le haut de son corps pour se concentrer dans ses jambes. Son instinct de survie prenait le dessus. Il était prêt à courir au moindre signe suspect. Cependant, il ne bougea pas et ancra ses yeux dans ceux du militaire.

- Que voulez-vous ? Demanda-t-il avec assurance.

- Mais je veux vous aider. Depuis le début, vous cherchez à trouver un remède à votre lycanthropie. Je peux vous aider.

Les paroles de l'homme sonnèrent faux à ses oreilles. Rien n'était vrai, il le sentait. Le militaire avait d'autres projets en tête que de l'aider à guérir.

- Je ne vous crois pas. Dit-il sèchement.

Le sourire de l'homme quitta à nouveau ses traits.

- Je vous offre un choix, Professeur Versipel. Soit vous vous associez à moi, soit j'informe le monde entier de votre condition. Vous vivrez comme une bête de foire, sans cesse pourchassé par des chercheurs, mais rejeté par tous.

Tristan grogna dangereusement sous cette menace. Il n'essaya même pas de retenir son loup qui menaçait de prendre le contrôle à tout moment. Il n'avait aucunement l'intention de prendre une quelconque décision. Il n'avait pas besoin d'aide, s'il y avait un remède à la lycanthropie, il le trouverait lui-même. Mais surtout, son secret ne serait jamais divulgué à qui que ce soit.

Alertés par l'absence de réponse, les deux hommes derrière lui se rapprochèrent dans un but d'intimidation. Ils réagirent trop tard. Le plus grand des deux ne fut pas assez rapide pour esquiver le poing droit de Tristan qui vint s'écraser dans sa mâchoire. Un autre coup dans le ventre acheva de le faire tomber au sol. Sans perdre une seconde, il se tourna vers son deuxième adversaire. Ce dernier lui fonçait droit dessus, un couteau à lame large dans la main. Tristan para de justesse quelques assaults. Il ne s'était jamais vraiment battu avec quelqu'un et manquait terriblement de technique. Il comptait sur la puissance que lui procurait sa maladie pour vaincre ses adversaires expérimentés. Dans un mouvement rapide, il attrapa le bras qui brandissait les couteau et le tordit violemment. Les os craquèrent dans un bruit sinistre, arrachant un cri de douleur à son ennemi. Sans avoir le temps de comprendre comment, il se retrouva projetté au sol. Sa respiration se coupa avec le choc et une vive brûlure s'empara de ses côtes. Il sentit son T-Shirt se tremper de sang en un instant. Sa blessure de la pleine lune s'était rouverte. Il jura entre ses dents et tenta de se redresser. À peine fut-il debout qu'un coup dans le sternum le plia en deux. Instinctivement, il esquiva un crochet du gauche déstiné à sa tempe et chargea le plus grand de ses ennemis. Il lui agrippa la gorge des deux mains et se mit à serrer de toutes ses forces. L'homme commença à rougir de manière alarmante. Tristan fut brusquement tiré en arrière. Il vit la lame du couteau briller et foncer vers lui. Il se protégea avec son bras gauche et dévia l'arme, qui ne manqua pas de lui entailler l'avant-bras. Un violent coup de poing l'envoya au sol. Il secoua énergiquement la tête pour tenter de retrouver ses esprits. Sa vision se troubla sous le choc d'un autre coup au visage. Il était à présent étalé sur les graviers et la tête lui tournait. Ses côtes le lançaient atrocement. Il reçut un coup de pied dans le dos, ce qui n'arrangea rien, suivi de plusieurs autres. Lorsque ce fut enfin fini, il sentit qu'on le soulevait par les bras et qu'on le traînait. Une main agrippa ses cheveux et releva sa tête. Ses yeux presque clos croisèrent ceux du militaire.

- Vous auriez dû accepter mon offre, Professeur, se moqua-t-il avant de relâcher sa prise. Aller, emmenez-le.


Alexandra choisit ce moment précis pour débouler sur la rive de l'Elbe. Ce qu'elle vit lui glaça le sang. Tristan était traîné par deux hommes vers un van et semblait être dans un sale état. Un troisième homme marchait devant eux. Elle sentit son corps bouillir de rage et oublia instantanément la raison de sa présence ici. Son âme-sœur était en danger. Elle ne prit pas le temps de réfléchir aux conséquences et se transforma. Elle s'élança vers lui et bondit sur l'un des hommes qui le tenait. Le pauvre n'eut pas le temps de réaliser ce qui lui arrivait, que sa gorge fut transpercée par les crocs d'Alexandra. La louve se tourna vers le second homme et sa patte partit s'écraser sur son torse. Les griffes de l'animal traversèrent sans peine le tissu et la peau, laissant de profondes entailles sanguinolantes en travers du buste de l'homme. Celui-ci tomba à genoux et observa son torse, effrayé. Puis, il s'effondra après qu'un coup de griffes précis lui ait tranché la carotide. Alexandra était folle de rage. Elle se positionna entre Tristan et le dernier homme comme un rempart protecteur. Elle fléchit ses pattes, prête à bondir, montra ses crocs rougis par le sang et renversa ses oreilles en arrière. Elle grondait de manière menaçante. L'homme jeta un bref coup d'œil aux deux cadavres dont le sang maculait les graviers, puis il recula lentement, monta dans le van et s'enfuit.

Alexandra attendit d'être certaine que le véhicule ne ferait pas demi-tour avant de reprendre forme humaine. Son corps nu fut immédiatement saisit par le froid et elle frissonna. Elle attrapa son sac à main qui traînait dans les lambeaux de ses vêtements et fouilla le contenu à la recherche de sa tenue de rechange. Ses nombreuses expériences en tant que loup-garou lui avaient appris à toujours avoir de quoi se vêtir après une transformation imprévue. Elle enfila rapidement un jogging et un T-Shirt puis se précipita vers Tristan. Il s'était redressé sur les genoux, le visage ensanglanté. Mais il ne semblait ressentir aucune douleur en cet instant, ses yeux gris stupéfaits étaient rivés sur elle.

C'est alors qu'elle réalisa. Voyant son âme-sœur en difficulté, sa louve s'était spontanément imposée. Elle s'était transformée devant quatre humains sans réfléchir et l'un d'entre eux avait pris la fuite. La fureur monta en elle. Comment avait-elle pu être aussi stupide pour épargner cet homme ? Elle laissa cette réflexion pour plus tard et s'agenouilla devant Tristan. Il avait la lèvre et l'arcade sourcilière fendues, ainsi que la pommette explosée. Son bras gauche saignait et il se tenait le flanc, respirant bruyamment. La louve d'Alexandra gémit de douleur, le voir dans un état aussi pitoyable lui était insupportable. Son regard épuisé était toujours perdu dans le sien, comme refusant de lâcher prise tant qu'il n'aurait pas eu d'explications. Elle allait devoir tout lui dire. Le moment qu'elle avait tant redouté était arrivé.


Malgré ses efforts, Tristan ne parvenait pas à assimiler ce qu'il s'était passé. Tout était arrivé très vite. Alors qu'il avait abandonné tout espoir de s'échapper, il avait sentit ce parfum si agréable de forêt. Mais ce n'était pas Alexandra qui était apparue. Il avait été sauvé par un loup immense au pelage auburn et aux yeux mordorés. L'animal avait tué les deux hommes qui le maintenaient en un temps record et s'était interposé entre lui et le militaire. Lorsque l'homme était parti, il avait pensé être la prochaine victime du carnivore. Mais ce qui s'était alors produit l'avait complétement chamboulé. Le loup s'était comme métamorphosé en une splendide jeune femme qu'il avait reconnu au premier coup d'œil. C'était Alexandra. Trop choqué pour dire ou faire quoi que ce fut, il était resté tout bonnement là, agenouillé sur les graviers au bord de l'Elbe, à la regarder bêtement. Il avait sentit ses yeux à nouveaux bleus parcourir sa peau alors qu'elle s'était abaissée à sa hauteur.

- Tristan ? L'avait-elle appelé. Tu vas bien ?

Pas de réponse, ni même un mouvement.

- Je voulais te le dire, crois-moi.

Son ton était désespéré. Mais à nouveau, aucune réaction. Il s'était contenté de la suivre du regard alors qu'elle enfilait la veste d'un des hommes avant de revenir vers lui et de le mettre debout.

- Allez viens. Je t'expliquerai tout, promis. Mais il faut d'abord partir d'ici.

Elle l'avait soutenu jusqu'à Rampische Strabe. il n'en avait pas pris pleinement conscience, plongé dans ses pensées. Il s'était persuadé que tout ceci n'était qu'un rêve et qu'il allait se réveiller d'un instant à l'autre.

Mais maintenant il était là, assis dans la cuisine d'Alexandra, sa douleur lui assurant qu'il n'avait pas rêvé. Il regardait dans le vide, la tête baissée vers le carrelage gris. Il resta silencieux alors qu'Alexandra s'activait autour de lui. Elle approcha un tabouret face à lui et pris place, les mains pleines de produits pharmaceutiques.

- Il faudrait que tu enlèves ton pull, Tristan, pour que je puisse jeter un œil à ces blessures.

Sa douce voix le fit sortir de sa torpeur et il releva ses yeux troublés et fatigués vers elle. Son corps réagissant presque mécaniquement, il ôta ses vêtements, dévoilant son torse et son dos couverts de cicatrices. Il vit les yeux d'Alexandra s'attarder sur certaines d'entre elles. Sûrement se demandait-elle comment il avait pu en amasser autant. Heureusement pour lui, elle ne formula pas sa question. Il n'avait pas le courage d'expliquer quoi que ce soit ou d'inventer un mensonge. Sans bouger, il la laissa laver le sang séché qui recouvrait une partie de son torse, son avant-bras et son visage. Il l'observa panser ses blessures dans des gestes lents empreints de tendresse. La douleur que cela lui procurait ne semblait pas atteindre son cerveau car il ne dit rien. Il avait l'impression d'halluciner, de flotter dans un autre monde. Son esprit refusait catégoriquement de fonctionner. C'était comme s'il ne trouvait rien de rationnel pour expliquer ce qu'il avait vu.

- J'imagine que tu dois avoir un tas de questions, dit-elle une fois qu'elle eut fini de ranger les bandages et les crèmes. Alors, vas-y, je t'en prie. Demande-moi ce que tu veux.

Il est vrai qu'il avait d'abord été assaillis d'interrogations. Mais leur nombre était tel qu'il ne savait pas par où commencer. Que lui répondre ? Il opta pour la plus basique d'entre elles, même s'il connaissait déjà la réponse.

- Qu'est-ce que tu es ? Demanda-t-il de but en blanc avant de s'aperçevoir de son manque de tact. Enfin, je veux dire, qu'est-ce que c'était, tout à l'heure ?

Alexandra sourit et leur servit deux bières. Un peu d'alcool ne serait pas de trop alors qu'elle s'apprêtait à dévoiler son plus grand secret.

- Je suis un loup-garou, commença-t-elle. Je viens de la plus grande meute d'Europe : les Loups Gris de Roumanie. Je sais bien que ça a l'air dingue, mais crois-moi, c'est bien réel.

Le mot qu'il redoutait d'entendre avait été prononcé. Il en existait d'autres. Après toutes ces années, il avait enfin trouvé des personnes souffrant du même mal que lui.

- Des lycanthropes, murmura-t-il, perdu dans ses pensées.

- Nous n'apprécions pas trop cette appelation. Nous trouvons que ça sonne trop sauvage, comme si nous étions malades. Hors, ce n'est pas le cas, nous vivons en harmonie avec notre loup. Contrairement à ce que croient certains humains, nous contrôlons parfaitement notre seconde nature. Nous ne faisons qu'un avec lui.

Cette révélation le choqua plus que tout le reste. Comment pouvaient-ils tous être en parfaite symbiose avec leur loup, quand le sien était incontrôlable et dangereux ? Etait-il réellement le seul à être habité par une bête féroce ? Ou bien existait-il d'autres cas comme le sien ? Il fronça les sourcils, en pleine réflexion. Alexandra interpréta mal ce geste et posa sa main sur sa cuisse pour le reconforté.

- Je suis vraiment désolée. J'aurais dû te le dire dès le début. Mais je n'ai pas osé, j'avais peur de ta réaction. Et puis, il faut une excellente raison pour dire notre secret à un humain quand la loi l'interdit formellement.

Elle le prenait pour un humain. Il sourit intérieurement. Si elle savait. L'idée de lui dire qu'il lui ressemblait bien plus que ce qu'il n'y paraissait traversa son esprit. Mais comment le pouvait-il, lui qui avait tant honte de sa particularité, alors qu'elle en parlait avec fierté ? Il restait dangereux. Il ne contrôlait pas son monstre. Une vague de honte l'envahit et il renonça définitivement à cette idée saugrenue.

- Pourquoi me l'avoir dit alors que vos lois vous l'interdisent ? Remarqua-t-il.

Cette question la prit de court et elle se figea, sa bière à quelques centimètres de sa bouche. Tristan la vit rougir sévèrement et se demnda ce que cette question avait de si embarrassant. Elle reposa lentement sa bouteille et s'éclaircit la voix.

- Hum... Eh bien parce que... hum... la loi ne s'applique pas dans le cas d'âmes-sœurs. Si un loup-garou a un humain pour âme-sœur, il peut choisir de lui dévoiler la vérité sans risquer de sanction.

Tristan tilta immédiatement sur l'étrange mot qu'elle venait d'employer.

- Des âmes-sœurs ? Qu'est-ce que c'est ?

Les joues d' Alexandra s'empourprèrent davantage et elle évita son regard interrogateur en fixant le sol.

- Ce... C'est un... euh... un lien spécial chez les loups-garous, bégéya-t-elle, gênée. On parle d'âmes-sœurs quand deux loups sont attirés l'un par l'autre de manière très forte. Tous les loups ne trouvent pas leur âme-sœur. C'est la déesse qui bénit certains d'entre nous avec cette chance. Ce lien particulier dépasse l'amour. Il est bien plus fort et dure pour toujours. Les âmes-sœurs sont liéespour la vie et sont le complément l'un de l'autre. Un loup ayant trouvé son âme-sœur est moins instable qu'un autre loup.

Elle fit une courte pause et but une gorgée de sa bière avant de reprendre.

- Il se peut que l'un des deux refuse le lien, mais l'un sans l'autre, ils finissent par mourir. Il est très rare cependant que l'âme-sœur d'un loup soit un humain, mai ce n'est pas impossible.

La tête de Tristan tournait avec toutes ces nouvelles informations. Ce pourrait-il que l'attirance qu'il éprouvait pour elle soit due à ce curieux lien ? Cela expliquerait un bon nombre de choses. Notamment pourquoi il réagissait de manière impulsive avec elle.

- Alors je suis... enfin, tu es... mon âme-sœur ?

Elle hocha vigoureusement la tête et il se pinça l'arrête du nez entre les doigts en murmurant un « excellent ». Bien qu'elle ne s'attendait pas à ce qu'il assimile tout immédiatement, cette remarque la blaissa profondément. Tristan sentit comme un étau lui comprimer la poitrine. Il ressentit une peine immense mais qui lui paraissait si lointaine. Il se rendit compte que ce sentiment ne lui appartenait pas, il venait d'Alexandra. Il comprit qu'il l'avait blessée et s'en voulut.

- Je suis navré, je ne voulais pas être méchant. Viens-là, dit-il en écartant les bras.

Trop heureuse de pouvoir enfin avoir un contact physique avec son âme-sœur, elle se blottit contre son torse. La peine d'Alexandra s'envola en un instant. Instinctivement, Tristan referma ses bras sur elle de manière protectrice. Tout lui semblait si naturel à présent. L'avoir près de lui était maintenant un besoin vital. Et alors il le sentit pour la première fois, ce lien invisible qui les unissait, comme une chaîne reliant leurs deux cœurs l'un à l'autre.

- Tu m'as fait tellement peur, tout à l'heure, reprit-elle. J'imagine que tu as dû lire le mot que ces hommes m'avaient laissé au labo, et que tu t'es rendu au rendez-vous, ton instinct protecteur ayant pris le dessus.

Tristan se figea. Elle avait trouvé le courrier que lui avait remis Karen et avait cru qu'il lui était adressé. C'était pour cela qu'elle était arrivée pile au bond moment. Il pensa que s'il n'avait pas eu la négligence de laisser le mot sur la paillasse au labo, il serait certainement dans une situation critique à cette heure-ci. Cependant, il se garda de lui avouer la vérité et repassa cette étrange soirée dans sa tête. Un frisson désagréable le parcourut lorsqu'il se rappela que le militaire avait pris la fuite. Il reviendrait, c'était certain.

- Qui a-t-il ? S'inquiéta Alexandra, toujours collée contre lui.

- Je pensais à cet homme qui s'est enfui. Il t'as vu, il connaît ton secret. Que comptes-tu faire ? Il peut tout dévoiler au monde entier.

La jeune femme se détacha de lui et se leva. Ses traits prirent un aspect déterminé et autoritaire alors qu'elle commença à faire les cents pas. Au bout d'un court temps, elle s'arrêta et lui fit face.

- Pour l'instant, nous avons encore le temps, déclara-t-elle. Il n'a aucune preuve à ce que l'on sache et il va certainement mieux préparer son prochain coup. Cependant, il reste un danger majeur pour notre race. Nous devons nous rendre en Roumanie pour prévenir le Conseil. L'Alpha doit être informé de la situation sans délai.

- Nous ? S'étonna Tristan.

Alexandra plongea ses yeux dans les siens, un sourire narquois sur les lèvres.

- Oui, nous. Tu viens avec moi.

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