Chapitre 22
Tristan se servit un autre verre et retomba lourdement dans le fauteuil en soupirant. Il avait fini par reprendre cette vieille habitude. L'alcool. Cela le ramenait des années en arrière, peu après qu'il ait été mordu. Il n'arrivait à accepter ce qu'il était devenu ni ce qu'il avait fait. Alors la boisson l'avait aidé à oublier. C'était sa nouvelle obsession de trouver un remède à la lycanthropie qui l'avait sevré. Mais aujourd'hui, tout était différent.
Il avala une autre gorgée de whisky. Le liquide ambré ne lui brûla pas la gorge, il était comme insensible. Son esprit enivré était brouillé de vapeurs masquant les noires pensées qui tentaient de s'imposer et son corps semblait anesthésié du tumulte d'émotions de son âme-sœur. Tristan ne supportait plus d'être secoué par la rage d'Alexandra et son sentiment d'injustice.
Dès la fin des combats et le retrait des troupes ennemies, Azriel avait été transporté dans sa demeure sous les soins d'un médecin, de l'Oracle, d'Elanora et de sa fille. Tristan redevenu humain c'était empressé de trouver de quoi se couvrir et s'était précipité vers la chambre de l'Alpha. Mais une fois de plus, Alexandra l'avait repoussé. Il avait donc décidé de respecter le choix de sa moitié et de rester à l'écart. Cela faisait bientôt deux heures qu'il était affalé dans un fauteuil du salon, écoutant chaque plainte de l'Alpha qui agonisait à l'étage.
Malgré la froideur de son âme-sœur, Tristan avait essayé d'être compréhensif. La jeune femme était blessée et inquiète pour son père. Terrorisée par ce qui pourrait arriver de pire, elle avait décidé d'éloigner celui qui était responsable de l'état du vieux loup. Tristan ne s'inquiétait pas. Dès qu'Azriel irait mieux, Alexandra reviendrait vers lui. Cependant, ce fol espoir n'avait pas duré longtemps dans l'esprit de Tristan. Il se sentait coupable. Terriblement coupable. L'état d'Azriel empirait de minute en minute et tout cela était de sa faute. C'était lui qui avait mis la meute en danger, lui qui avait manqué d'attention. Et c'était pour lui que l'Alpha des Loups Gris s'était sacrifié.
Tristan soupira à nouveau puis termina son verre. Comme il aurait aimé que les choses soient différentes ! Que cette lettre ne lui soit jamais parvenue, que le rendez-vous sous le pont Auguste n'ait jamais lieu. À cause de tous ces événements, il était sur le point de tout perdre. Ecore. Les loups ne tarderaient pas à l'exiler une nouvelle fois si ce n'était l'enfermer ou le mettre à mort pour avoir tué un Alpha. Azriel ne survivrait certainement pas à la gravité de ses blessures et Alexandra ne lui pardonnerait jamais cela.
En une nuit, il avait perdu la seule famille qui l'ait vraiment accueilli, l'homme qu'il considérait comme son père et la femme qu'il aimait. Il avait entendu parler des horreurs de la guerre, mais jamais il ne s'était attendu à les vivre. Il s'était attendu à mourir pendant cette bataille mais il avait survécu. Et alors qu'il aurait dû être le plus heureux des hommes, il regrettait d'être toujours là.
Le grincement d'une poignée de porte le tira de ses pensées morbides. Il releva subitement la tête vers l'escalier menant à l'étage, espérant de tout cœur voir apparaître une Alexandra au grand sourire qui lui dirait que l'état d'Azriel s'était soudainement amélioré et qu'il s'en sortirait. Mais ce fut Anca qui entra dans le salon, fondant droit sur lui, un verre d'eau à la main.
- Tu ne peux pas te morfondre toute la journée, Tristan, roula sa voix aux accents prononcés. Les soldats dehors ont besoin de toi.
Les paroles de l'Essentielle sonnaient presque comme un ordre. Tristan leva les yeux au ciel. Il n'avait pas mis un pied en dehors de la maison depuis qu'Azriel y avait été transporté à la fin des combats. Certes, il avait laissé les autres Alphas repousser les derniers soldats, regrouper les loups et s'occuper des blessés et des morts, mais il ne voyait vraiment pas en quoi il pourrait bien leur être d'une quelconque utilité.
Poussant un nouveau soupire pour toute réponse, il se pencha vers la bouteille bien entamée pour remplir son verre déjà vide. Mais Anca fut plus rapide que lui et s'en saisit avant, la posant sur le rebord de la cheminée, hors de portée du lycanthrope. Il leva vers elle des yeux vides de toute expression, rendus brillants par l'alcool, et se décida à lui répondre.
- Je ferais mieux de rester ici, baragouina-t-il, au cas où ils auraient besoin de moi. Les autres sont déjà bien encadrés par les Alphas.
Contrairement à ce qu'il avait espéré, sa coopération ne rapprocha pas la bouteille de whisky de son verre, mais lui valut un regard excédé de l'Essentielle.
- Il n'y a rien que tu puisses faire ici, Azriel est déjà bien entouré, répliqua-t-elle sèchement. Les loups ont besoin de te voir.
- Je ne vais pas aller me pavaner dans le camp !
Il avait presque aboyé ces paroles et s'était levé d'un bon. Il regretta immédiatement son mouvement lorsqu'une violente migraine s'empara de son crâne et le fit vaciller. Il grimaça. L'alcool le faisait surréagir, comme d'habitude.
Malheureusement pour lui et son mal de tête, Anca ne se démonta pas.
- Tristan ils doivent te voir ! Ils doivent savoir qu'ils ne se sont pas battus pour rien et qu'ils ont fait le bon choix en misant sur toi !
- Eh bien justement, ils se sont tous trompés ! Je ne suis pas un loup sur lequel on peut compter ! Je ne me suivrais pas moi-même !
Il commençait à s'exciter, hurlant de plus en plus fort. Anca l'interrompit dans ses vociférations en lui envoyant une claque sèche qui mit immédiatement fin à sa crise.
Sonné par le coup, Tristan sembla doucement se rattacher au monde réel. Il fixa Anca comme s'il venait de s'apercevoir qu'elle était là et voulut se donner une seconde claque lorsqu'il réalisa ce qu'il avait dit. Il n'avait pas le droit de lui parler de la sorte, pas après ce qu'elle avait fait. Elle lui avait sauvé la vie et il avait une dette éternelle envers elle. Honteux de son comportement peu respectable qui lui ressemblait si peu, il se racla la gorge. Rajustant ses vêtements débraillés dans des mouvements nerveux et mécaniques, il s'excusa.
- Je suis navré, murmura-t-il, mal à l'aise. Tu as raison, je devrais aller leur parler.
Un sourire étira les lèvres de l'Essentielle et elle lui tendit le verre d'eau qu'il vida d'un trait avant de sortir.
Tous les loups et les Essentiels s'étaient rassemblés dans le campement des Loups Gris. Les guerriers encore valides montaient la garde autour des chalets, se tenant prêts dans l'hypothèse où les militaires seraient assez fous pour relancer une offensive. Mais l'homme de Dresde mort et une moitié de ses effectifs décimée, le scénario paraissait improbable. Dès l'aube, des mesures avaient été prises pour éviter que la diffusion de cette bataille n'ait lieu. Un accord avait été signé entre le supérieur du général allemand et les représentants des loups-garous, classant le dossier secret-défense. Ainsi, même si les survivants parlaient, personne ne les croirait. Officiellement, les soldats avaient trouvé la mort dans une catastrophe lors d'un exercice sur le terrain et leurs corps avaient déjà commencé à être rapatriés en Allemagne. Tristan avait été sidéré par une telle organisation. Mais après tout, il n'était pas dans l'intérêt de l'armée allemande de reconnaître publiquement la perte de contrôle totale sur tout un bataillon ainsi que l'égarement de plusieurs caisses d'armes et autre matériel militaire. Ils s'étaient donc empressés d'enterrer l'incident.
Le froid mordant de l'hiver le fit frissonner. Il déambulait dans le camp qui grouillait comme une fourmilière, essayant d'apparaître serein. Certains guerriers s'employaient à monter des tentes le plus rapidement possible pour protéger les blessés de la température, d'autres bourdonnaient autour des lits minimalistes dispersés partout où il y avait de la place. Les blessés gémissaient, hurlaient, se tordaient de douleur. Bien que le nombre de morts et de blessés soit moindre que celui des militaires, Tristan avait tout de même l'impression d'avoir échoué et essuyé une cuisante défaite. Il voyait aujourd'hui plus de morts et de mourants que dans toute une vie. C'était donc cela la guerre.
Il passait lentement dans les rues tristement animées, reconnaissant à peine le village accueillant qu'il avait visité quelques mois auparavant en compagnie d'Alexandra. Ce souvenir lui pinça le cœur mais il n'en laissa rien paraître. Il devait être fort et montrer que tout allait bien. Il sentait tous ces regards braqués sur lui, inquiets et épuisés. Alors il se força à diffuser une aura chaleureuse et réconfortante.
Alek était penché vers Dimitri lorsque Tristan pénétra dans la tente. L'Alpha de Pologne finissait d'enrouler le bandage autour du torse de son amant. Tristan se prit à les envier. Il aurait aimé s'occuper des blessures de son âme-sœur.
- Tiens, voilà donc notre vainqueur ! S'exclama Dimitri en se levant, le ton toujours aussi rieur.
La lourde poigne d'Alek le força à se rasseoir. Dimitri gronda mais obtempéra. Dans d'autres circonstances, cette scène aurait fait sourire Tristan, mais aujourd'hui, son cœur n'y était pas. Alek jeta un T-Shirt à Dimitri et se tourna vers lui, l'air préoccupé.
- Comment va Azriel ? Demanda-t-il.
- Son état empire d'heure en heure, avoua Tristan. Alexandra refuse toujours de me voir. Elle me tient pour responsable de ce qui est arrivé. Mais comment l'en blâmer ?
Abattu, Tristan se laissa tomber sur une chaise. Alek lui asséna une bonne tape dans le dos. Tristan grimaça de douleur. Les blessures que lui avaient infligé Nelu et Azriel n'étaient pas totalement insensibles.
- T'inquiète pas, le rassura Dimitri, ça lui passera. Elle est instable car le rite du sang n'a toujours pas été opéré, c'est normal.
Tristan soupira.
- Que va-t-il se passer, maintenant ? Questionna-t-il en se passant une main fatiguée sur le visage.
- Si Azriel survit, son avis lors du Conseil sera primordial, expliqua Alek. S'il te reconnaît comme Roi, les autres membres du Conseil n'auront pas le choix de se ranger de son côté par crainte d'un soulèvement en Europe.
Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Tristan avait gardé un très mauvais souvenir de son dernier Conseil. Alek poursuivit.
- S'il ne survit pas, il désignera un nouvel Alpha qui ...
Il fut interrompu par Nicolae, qui entra en trombe dans la tente. Le jeune homme avait le souffle court et les joues rosies par l'exercice. Son regard affolé balaya la pièce jusqu'à ce qu'il reconnaisse Tristan.
- Il faut que vous veniez, le pressa-t-il, c'est Azriel. Il vous demande.
Tristan entra dans la maison en courant et s'élança dans les escaliers. Les plaintes de l'Alpha s'étaient tues et le jeune homme craignit le pire. La porte de la chambre s'ouvrit et un homme qu'il ne connaissait pas sortit, accompagné d'Elanora. La Luna lui sourit tristement, les yeux rougis par les larmes.
- Il souhaiterait te parler, dit-elle de sa voix douce. Tatjana est avec lui, elle veille sur ses derniers instants.
Le cœur de Tristan s'alourdit d'un seul coup, semblant réaliser tout le poids de la peine causée par cette révélation. La porte de la chambre s'ouvrit à nouveau pour laisser apparaître le regard sévère d'Alexandra. Elle passa à côté de lui sans même le regarder et disparut dans les escaliers. Immobile sur le palier, Tristan luttait contre l'envie de la rattraper. La main d'Elanora l'apaisa légèrement et lui donna la force de franchir le pas de la porte.
La pièce était plongée dans l'obscurité, seule une petite lampe murale diffusait une lumière tamisée. Il faisait chaud, presque trop pour que la chambre soit agréable. Dans le coin, à l'opposé de la porte, se tenait Tatjana, tapie dans l'ombre. Elle adressa un sourire encourageant à Tristan tandis qu'il s'approchait du lit. À moitié assis, Azriel reposait sur une multitude d'oreillers. Son torse découvert dévoilait un épais bandage trempé de sang. L'Alpha respirait péniblement, les yeux presque clos, immobile. Il avait l'air si fragile dans ce lit. Vulnérable. Un des plus grands Alphas du monde arrivant au bout de son parcours. Son aura s'était considérablement affaiblie.
- Approche, Tristan, ordonna-t-il doucement.
Le jeune homme s'exécuta et vint s'asseoir sur une chaise près du lit. La puissante odeur d'hémoglobine l'agressa, lui donnant presque la nausée.
- Je voulais d'abord... m'excuser, articula-t-il difficilement. Je n'aurais pas dû te traiter aussi injustement. J'ai... manqué de jugement et... j'en suis désolé.
- Ce n'est rien, j'aurais fait pareil si j'avais été à votre place.
Tristan n'en avait jamais voulu à Azriel pour ce qu'il avait fait. Qui aurait pu se vanter d'avoir agi autrement dans de telles circonstances ? Il était lui-même devenu Alpha et avait compris qu'Azriel n'avait eu d'autre choix pour protéger son clan.
- Cela n'excuse pas mes actes mais... ma conscience est tranquille, poursuivit l'Alpha. Tu es bien plus fort que ce que je pensais. Pourtant... tu as su te servir de cela pour faire ce que personne n'aurait osé faire... : rassembler les loups.
Le souffle de plus en plus court, il marqua une pause. Son front perlait de sueur et chaque mouvement le mettait au supplice.
- Tu as fait ce que j'ai... échoué à faire et... je suis fier de toi. Tu feras un excellent Alpha... et un excellent... Roi.
Le coeur de Tristan s'envola et les larmes lui embuèrent les yeux. Jamais il n'aurait cru entendre à nouveau ces mots sortir de la bouche d'un homme qu'il considérait comme son père, qui l'avait accueilli et reconnu. Une vague fraîche d'assurance renouvelée lui traversa le corps.
- Mais je voulais te parler... car j'ai une faveur... à te demander.
Tristan se pencha en avant, à l'écoute, prêt à accepter n'importe quoi.
- ... prends soin... de ma fille..., lâcha-t-il dans un souffle.
De tout ce qu'il aurait pu lui demander de faire, il lui avait demandé la chose la plus impossible à réaliser. Tristan s'en sentait totalement incapable. Comment veiller sur Alexandra si elle ne voulait pas le voir ?
Un râle de douleur le ramena brusquement à la réalité. Il n'avait d'autre choix que d'accepter.
- Je vous le promets, murmura-t-il finalement.
Le visage crispé dans une grimace de souffrance, Azriel trouva quand même la force de sourire à Tristan. L'Alpha commençait à s'agiter sous les couvertures et Tristan jugea qu'il était temps de partir. Saluant une dernière fois Azriel, il s'inclina respectueusement et quitta la pièce dans un trouble complet.
Incapable de rester sans rien faire, il décida d'aller marcher. Il traversa à nouveau le camp et se trouva bien vite à l'extérieur. Il continua tout droit, entre les arbres tordus de la forêt de Transylvanie. Le pas rapide, Tristan ne faisait pas attention à sa trajectoire.
Un hurlement retentissant et chargé d'émotions emplit le calme de la forêt. La charge supplémentaire de souffrance et de peine qui s'abattit sur lui ne le trompait pas. Azriel avait rejoint la déesse. Confirmant ce qu'il savait déjà, une brûlure qui lui était devenue familière se répandit dans le haut de son dos. Ses marques s'étendaient encore.
Tristan ne se rappelait pas la dernière fois qu'il s'était senti aussi mal. Probablement quand il avait décidé de quitter la France et de fuir sa famille, des années plus tôt. Mais, bien que cette perte parût se renouveler aujourd'hui avec la mort d'Azriel et le rejet d'Alexandra, le jeune homme ne comptait pas partir sans s'être battu. Il ne voulait pas se retrouver à nouveau seul, à devoir se cacher comme un paria. La présence de son âme-sœur lui était devenue indispensable.
Décidé à reconquérir ce qui lui appartenait, il escalada l'escalier à toute allure et s'enfonça dans le couloir menant à la chambre d'Alexandra. Tristan passa devant celle où se trouvait Azriel, quelques heures auparavant. Conformément à la coutume, son corps avait été transporté dans le temple du campement en attendant la cérémonie d'adieu qui aurait lieu le soir même. Le jeune homme eut un pincement au cœur mais poursuivit sa route.
Il se stoppa devant la porte de bois clair et tendit l'oreille. Aucun bruit ne s'échappait de la chambre. Le lieu était tellement silencieux qu'il aurait pu penser qu'il était désert. Mais le parfum si reconnaissable d'Alexandra qui embaumait l'air attestait de sa présence. Tristan inspira profondément pour se donner du courage et toqua faiblement à la porte.
- Alex ? Appela-t-il doucement. Alex, c'est moi. Je peux entrer ?
Il n'y eut aucune réponse. Tristan hésita un instant. Devait-il la laisser seule ou bien entrer ? Son côté gentleman lui intimait de lui accorder davantage de temps tandis que son loup le pressait d'ouvrir cette satanée porte. Le dilemme ne dura qu'un bref moment. Il avait désespérément besoin de la voir, de lui parler, de la réconforter. Sa main se posa sur la poignée mais son mouvement fut interrompu par le bruit du verrou. Elle venait de s'enfermer à clef. Une ombre sous la porte lui indiqua qu'elle se tenait juste derrière le panneau de bois.
Blessé par l'attitude de la jeune femme, il relâcha la poignée et posa son front contre le battant, comme pour se mettre au plus près de sa moitié.
- Je t'en prie Alexandra, laisse-moi entrer.
Pour toute réponse, un objet lourd frappa la porte violemment de l'autre côté. Tristan imaginait bien son âme-sœur déverser sa colère sur la planche. Il en aurait ri dans d'autres circonstances. Cependant, il ne renonça pas.
- Très bien. Si tu ne veux pas me voir, au moins écoute ce que j'ai à te dire.
Une pluie de coups s'abattit sur la porte, rendant le dialogue totalement inadéquat. Lorsque le vacarme cessa, Tristan saisit sa chance pour libérer les mots qui pesaient sur son cœur. Chargée d'émotions, sa voix trembla.
- Je suis terriblement désole et... je t'aime...
C'était tout ce qu'il était parvenu à dire. Tous les autres mots lui avaient semblé superflus. Pourtant, malgré toute la sincérité dont il avait fait preuve, Alexandra ne répondit pas.
Et le choc fut terriblement violent. D'un seul coup, tout son corps parut se vider des émotions partagées avec Alexandra. Ce tumulte sentimental avait disparu, comme s'il avait été aspiré hors de son corps, laissant un froid polaire s'installer à l'intérieur du jeune homme. Il se sentit faiblir, privé de cette force qui le maintenait en vie depuis ce qui lui paraissait être une éternité. Une horrible sensation de solitude l'envahit à la place et un frisson glacé lui traversa le corps.
Tristan reprit conscience de l'instant présent lorsqu'il sentit l'air manquer dans ses poumons. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il suffoquait. Tentant de se calmer, il se laissa glisser contre la porte et se recroquevilla par terre, laissant des larmes qu'il n'avait pas senties monter dévaler ses joues. Il aurait voulu mourir. Alexandra l'avait abandonné. Elle avait brisé leur lien.
Hagard, il déambulait dans le camp, sans avoir de destination, les yeux toujours grands ouverts du coup qu'il venait de recevoir. Ses sens s'étaient endormis, sonnés par le vide qui grandissait en lui, tordant ses entrailles. Il ne sentait pas la neige s'engouffrer dans son manteau et lui brûler la peau. Plus rien ne pouvait l'atteindre. La seule chose qui aurait pu le tuer ne l'avait pas fait, le laissant vide mais bien vivant. Une véritable torture.
La douleur mit plusieurs heures à devenir supportable et lorsqu'il refit surface dans le monde des vivants, la nuit était tombée. Combien de temps était-il resté là ? Tristan n'en avait absolument aucune idée. Mais après tout, qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Comme pour se raccrocher à une réalité qui ne lui appartenait déjà plus, il consulta sa montre mécaniquement. Il sursauta. La cérémonie avait commencé.
Il arriva sur la place devant le temple, essoufflé. Une foule dense se serrait autour d'une estrade. Le temple religieux était trop petit pour accueillir toute l'assemblée, alors le Passage d'Azriel se ferait sous les rayons de la lune. Tristan sourit amèrement en levant les yeux vers l'astre de la nuit. Les Dieux étaient les choses les plus injustes du monde.
S'approchant au plus près qu'il le put, il assista à la fin de la cérémonie. L'Alpha des Loups Gris étaient allongé paisiblement sur une pierre blanche, brillante comme la lune. Un autel probablement, pensa Tristan. Il était entouré des autres Alphas ainsi que de ses proches. Seul lui manquait à l'appel. L'Oracle était en plein discours.
- ... Il nous quitte aujourd'hui mais laisse derrière lui une meute unie et forte ! S'exclama-t-elle, solennellement. Sa fille est marquée comme la future Chef de Meute des loups de Roumanie et remplira son devoir aussi bien que son père...
L'évocation d'Alexandra lui fit perdre le fil. Ses yeux se bloquèrent sur la jeune louve toute vêtue de blanc. Avec sa peau pâle et ses cheveux dorés, on aurait cru voir une statue, comme dans les églises. Mais elle était bien réelle, avec son expression de souffrance qui durcirait les traits fins de son doux visage. La douleur ne pouvait être fidèlement représentée dans le marbre. Des cernes noirs encerclaient ses yeux rougis par les larmes et son regard était perdu, comme si elle contemplait un autre univers qu'elle seule pouvait voir.
Tristan détacha difficilement ses yeux d'elle et reporta son attention sur Tatjana.
- ... mais j'aimerais que vous sachiez qu'avant de mourir, Azriel a reconnu Tristan comme Roi.
L'annonce laissa un silence de plomb tomber sur l'assemblée. Mais bien vite, les premières protestations résonnèrent sous les cimes des arbres. Les premiers à s'insurger furent évidemment les membres du Conseil qui étaient arrivés juste avant la cérémonie. On entendit des grognements s'élever de la foule et certaines querelles débutèrent. Mais les mots ne suffisaient plus dans un instant pareil et certains en vinrent aux mains, défendant chacun leur parti ardemment.
Se sentant trop exposé, Tristan s'éloignant pour se dissimuler dans un coin sombre près d'un chalet.
L'intervention d'Alek calma les ardeurs des loups et la cérémonie reprit. L'Oracle se saisit d'une torche et prononça des incantations que Tristan ne comprit pas. Puis, elle déposa le flambeau près du corps d'Azriel. Mais ce qui se passa surprit Tristan. Le corps de l'Alpha ne s'embrasa pas mais il parut se mettre à briller. Des petites flammes blanches s'élevèrent de sa chair et le consumèrent. La fumée s'éleva dans le ciel sombre.
Malgré la chaleur qui se dégageait de l'autel, Tristan sentit un frisson glisser dans son dos. Il releva les yeux pour croiser le regard froid et vide d'Alexandra. Il déglutit sentant le malaise l'envahir à nouveau.
Le passage accomplit, les protestations sur la nomination de Tristan reprirent dans la foule qui s'anima à nouveau. Le Conseil était sur le point d'avoir lieu et cette nouvelle révélation changeait la donne.
Mais Tristan avait pris sa décision finale. Il ne serait pas Roi.
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