Chapitre 21
Positionné à une vingtaine de mètres du camp des loups-garous, il observait avec la plus grande attention l'agitation qui animait les troupes. L'heure de l'assaut approchait. Perché sur une aspérité dissimulée par les conifères, il pouvait voir sans être vu. Son regard froid, assombri par ses sourcils froncés, sillonnait les alentours, méfiant. Le visage sévère, les traits tirés et une barbe naissante lui donnait un air terrifiant. Inspirant bruyamment, il se campa solidement sur ses jambes, les mains jointes dans le dos. Il avait presque l'impression d'être invincible.
En effet, de l'extérieur, il avait certainement l'air d'être un homme redoutable, sournois adversaire. Mais en réalité, le volcan de ses sentiments avait explosé à l'intérieur de lui. Tristan s'était instantanément retrouvé submergé par toutes ces émotions libérées trop vite. Il se sentait terriblement instable. Le grognement mécontent de son loup emplissait ses oreilles. Le tressaillement impatient de l'animal résonnait à l'intérieur de sa cage thoracique, faisant vrombir ses organes et provoquant une sensation très désagréable. Sa peau se mit à brûler et les os de ses mains craquèrent d'une manière alarmante, peu naturelle. Tristan inspira à nouveau profondément pour tenter de se calmer, et d'éviter une transformation inopportune.
Son loup se retrancha au plus profond de lui, non sans protestations, et Tristan put enfin se détendre un peu. Il relâcha ses muscles tendus, desserra les dents et ferma les yeux. Toute cette pression finirait par avoir raison de lui. Comment allait-il bien pouvoir survivre à tout cela ? Le loup ne se leurrait pas, il était conscient qu'il serait chanceux de sortir indemne de la bataille. Mais, cette idée folle lui paraissait moins improbable que de s'imaginer diriger les loups du monde entier. Tristan ne se sentait pas prêt. Tout ce qu'il avait toujours voulu, c'était pouvoir retrouver sa vie normale, son quotidien.
Tristan soupira face à cette chimère. Les loups les plus influents du continent lui avaient demandé de les guider, et il n'avait eu d'autre choix que d'accepter. Alek avait étalé devant ses yeux une réalité qu'il refusait de voir. La déesse l'avait choisi. Et, comme il l'avait appris au cours de ces derniers mois, rien dans les choix de cette divinité n'était laissé au hasard. Tous les loups et les Essentiels qui s'activaient plus bas comptaient sur lui. Il devait remplir sa tâche ou bien fuir et les abandonner à leur sort. Le choix avait été rapide, mais douloureux.
Le flot de pensées lycanthrope fut interrompu par un craquement tout proche. Alerté par le bruit, ses yeux gris se braquèrent sur la silhouette qui s'extirpait des buissons avec aisance. À la vue de Nicolae, Tristan se détendit.
- Que puis-je pour toi, Nicolae ? Demanda Tristan doucement, ses pupilles à nouveau fixées sur le camp en contre-bas.
- Pardon, Monsieur. Je ne voulais pas vous déranger.
La voix peu assurée du jeune Loup Gris intrigua Tristan. Cela ne ressemblait pas au jeune homme de douter de lui. Perplexe, il se retourna et le détailla. Nicolae paraissait avoir rajeuni de plusieurs années, comme un enfant peureux. Et le mot convenait bien à l'odeur qui s'était répandue autour de lui. Il n'avait suffi que d'un reniflement à Tristan pour la sentir. Chaude, âcre, lourde. L'odeur de la peur.
- Tu ne me dérange pas, viens t'asseoir, proposa-t-il au jeune homme.
Comme pour l'inciter à obéir, Tristan s'assit sur la roche partiellement recouverte de neige et tapota la place sur sa gauche. Nicolae le rejoignit mais n'ouvrit pas la bouche. Ses yeux fuyaient ceux de son Alpha, mais ce dernier ne comptait pas laisser le jeune loup se faire consumer par cet horrible sentiment. Non pas que Tristan fut tout à fait serein lui-même, mais il devait l'aider en tant qu'Alpha et Roi. Un rire sarcastique raisonna dans sa tête. Il mettrait un certain temps à s'approprier cette nouvelle appellation.
- De quoi voulais-tu ma parler ?
Le jeune homme semblait hésiter. Comme plongé dans ses pensées, ses yeux étaient fixés sur le sol, ses doigts traçant distraitement les aspérités de la roche. Ne voulant pas le brusquer, Tristan attendit.
Au bout de quelques instants, Nicolae releva la tête.
- C'est étrange, commença-t-il, sans pour autant croiser le regard de son aîné. J'ai attendu ce moment toute ma vie, depuis que je sais me tenir sur mes quatre pattes. J'ai toujours su qu'un jour, je participerais à quelque chose de grand.
Il marqua une pause, le regard dans le vague.
- Tout s'est affirmé quand je vous ai rencontré. Immédiatement, j'ai senti que vous me guideriez et que tout allait changer. Je vous ai reconnu comme Alpha, je vous ai aidé contre mon clan, j'ai espionné pour vous...
Sous l'émotion naissante, sa voix semblait s'éteindre. Finalement, il planta son regard dans les prunelles grises de Tristan.
- Mais maintenant que j'y suis, je me sens perdu. J'ai peur.
Tristan sourit. Il ne savait pas pourquoi le jeune homme avait décidé de se confier à lui, mais il admirait sa sincérité et sa force mentale. Peu de personnes seraient capables d'admettre leur peur dans une situation pareille. L'Alpha ramena ses jambes à son torse et posa ses coudes sur ses genoux.
- Je vais te dire une chose, Nicolae. Moi aussi, j'ai peur. Je suis terrorisé même
Sa phrase se ponctua d'un rire léger pour ne pas effrayer d'avantage son jeune ami. Ce dernier le fixait à présent avec les yeux grands ouverts.
- Vous avez peur ? S'exclama-t-il. Mais... mais vous êtes l'Alpha, vous êtes Roi ! Vous êtes invincible, votre aura pourrait terrasser n'importe qui !
Le jeune homme semblait avoir une toute autre vision de Tristan, ce qui fit à nouveau rire le lycanthrope.
- Seuls les simples d'esprit se croient invincibles, philosopha Tristan.
- Mais de quoi pouvez-vous bien avoir peur ?
Tristan soupira. La liste était longue.
- J'ai peur de ce qu'il se passera pendant la bataille, de perdre ceux qui m'ont accueilli comme un ami et non pas comme un monstre. Je suis terrorisé à l'idée de perdre Alexandra. J'ai peur de ce qui arrivera après les combats, du rôle que j'aurai à jouer.
Nicolae l'écoutait avec attention et admiration. Cette confession allégea le cœur de Tristan qui sentit soudain l'air frais de l'espoir le revigorer. Exprimer ses peurs, c'était presque comme y remédier. Finalement, le jeune homme l'avait probablement plus aidé que l'inverse.
Sentant une nouvelle motivation s'emparer de lui, Tristan se redressa et releva Nicolae.
- Mais le plus important, c'est de ne surtout pas laisser cette peur nous envahir totalement. Après tout, la vie n'est qu'une simple succession de sentiments sur lesquels nous pouvons influer. À nous de décider lequel mettre en avant.
D'un pas déterminé et plus léger, le lycanthrope entreprit de retourner au campement. Le soleil déclinait, la bataille arrivait, et il avait besoin de voir quelqu'un avant que tout ne commence. Ils descendirent la petite pente en silence, tous deux méditant sur les dernières heures qui leur restait.
Ils avaient à peine passé les premières tentes qu'Alek apparut et fit signe à Nicolae de le suivre. À nouveau fidèle à lui-même, le garçon avait bombé le torse, un petit sourire satisfait sur les lèvres. Mais avant qu'il ne parte fanfaronner, Tristan le retint, posant une main sur son épaule.
- Avant que tu ne partes, je voulais que tu saches que j'ai été honoré de t'avoir pour membre de mon clan.
Les mots étaient solennels, véritables. Et le sourire de Nicolae s'élargit, dévoilant une rangée de dents blanches parfaitement alignées. Il montra sa gorge en signe de respect et disparut entre les tentes.
Lorsque Tristan fit irruption sous les drapés, Alexandra se figea. Elle reposa immédiatement les vêtements qu'elle avait dans les mains et lui fit face. Après le conseil de guerre et la résignation de Tristan à endosser ce nouveau rôle, le lycanthrope s'était précipité à l'extérieur. Il avait quitté le campement, laissant Alexandra seule, ballottée dans un tumulte d'émotions qui ne lui appartenaient pas. Mais la jeune femme n'avait pas cherché à le suivre, comprenant combien il pouvait être dur de jouer un rôle dont personne ne voulait. Alors elle avait patiemment attendu qu'il revienne, désespérant de pouvoir se blottir contre lui.
La jeune femme ne fit aucun mouvement pour se rapprocher de son âme-sœur. Elle attendait qu'il lui en donne la permission. Pourtant, Tristan n'en fit rien, se contentant de laisser ses iris se promener sur le visage d'Alexandra.
- Où étais-tu ? Demanda-t-elle finalement, sur le ton le moins agressif qu'elle put.
- J'étais avec Nicolae, répondit distraitement Tristan en se rapprochant doucement.
Alexandra remarqua son changement. Il paraissait soulagé, presque joyeux, ce qui dénotait dans un moment pareil. Elle sourit. Il avait accepté son sort et elle était fière.
Dans un mouvement d'une rapidité fulgurante, Tristan avala les derniers mètres qui les séparaient et prit la jeune femme dans ses bras. Alexandra s'y sentit tout de suite en sécurité et sa louve gronda de plaisir, faisant écho à son âme-sœur. La main de Tristan se glissa dans ses mèches et se mit à caresser ses cheveux, tandis que l'autre avait glissé dans le bas de son dos. Il déposa un baiser sur son front et plaça son menton sur le sommet de son crâne. Le lycanthrope se noya dans l'effluve de son âme-sœur, profitant de cet instant de paix.
- Qu'allons-nous faire des quelques heures qui nous restent ? Questionna Alexandra.
Sans prévenir, Tristan la souleva et la déposa sur le lit de fortune constitué d'un pauvre matelas à même le sol et d'un amoncèlement de couvertures. Il se blottit contre elle, l'encerclant de ses bras protecteurs, puis il tira quelques étoffes pour recouvrir leur corps. Lovés l'un contre l'autre, ils profitèrent pleinement de ce dernier moment de sérénité.
La nuit était tombée et les rayons de la lune qui traversaient la canopée éclairaient le sol enneigé, faisant briller les flocons. Tout était calme, aucun son excepté les respirations alentours ne parvenaient aux oreilles du loup de Tristan. Pourtant, ce silence était loin d'être tranquille et apaisant. Il était lourd, enveloppant, oppressant, si pesant qu'il en devenait presque assourdissant.
Ainsi baissé sur ses pattes, le ventre rasant le sol, Tristan aurait certainement senti ses muscles se tendre de douleur dans d'autres circonstances. Mais pas ce soir. L'adrénaline qui irriguait son corps l'immunisait contre le mal, physique ou mental, et le rendait impatient. Sa queue battait l'air d'un rythme lent et régulier, ses yeux étaient braqués droit devant lui, ses oreilles s'orientaient dans toutes les directions, percevant le moindre bruit. Aux aguets, il attendait le signal.
L'escadron était parti du camp le denier. Ils avaient supervisé la formation des autres unités, réparti de manière équitable les loups et les Essentiels, puis, ils avaient sécurisé leur base de repli, s'assurant que personne ne fouinait autour. Enfin, après avoir reçu la confirmation que toutes les unités étaient en place, ils étaient partis à leur tour. La petite troupe avait contourné la future zone de bataille par l'Est et s'était positionnée au Sud du campement des Loups Gris, comme convenu.
L'objectif était de s'introduire dans le campement d'Azriel pour prévenir la meute du plan d'attaque et diriger le reste du combat de là-bas. Alek voyait dans cette tactique plusieurs avantages qu'il avait expliqué à Tristan. Selon lui, cela leur donnerait une possibilité de repli au cas où les choses ne se passeraient pas comme prévu, en plus d'une zone de contrôle influente qui regrouperait les deux Alphas les plus puissants ainsi qu'un bataillon supplémentaire pour soutenir les Loups Gris.
Toutefois, Tristan n'était pas dupe. Derrière cette stratégie se cachait quelque chose de plus important pour Aleksander. Il voulait que ce soit Tristan qui libère le campement d'Azriel, et personne d'autre. L'Alpha des Loups des Montagnes comptait sur cela pour obtenir le soutien d'Azriel et ainsi légitimer le statut de Tristan. Mais malgré la confiance et le respect qui régnait entre les deux hommes, Alek s'était bien gardé de lui expliquer toutes ses intentions.
Tristan n'aimait pas qu'on se serve de lui. Cependant, il avait choisi de taire ses reproches. Qu'avait-il de mieux à proposer que cette intrusion chez les Loups Gris ?
Une vague de chaleur des plus agréables envahit son corps, détendant sensiblement ses muscles. Tristan n'eut aucun mal à reconnaître cette sensation. C'était Alexandra qui la partageait avec lui. Elle voulait le rassurer après leur séparation difficile. Il avait confiance en Alexandra. Elle était courageuse et déterminée. Lui en revanche, n'était pas entraîné à se battre.
Un grognement sur sa droite attira son attention. Le loup d'Alek, aussi impressionnant que sous sa forme humaine, s'était avancé et humait l'air. Tristan l'imita et son flair capta une odeur qu'il connaissait bien. Le vent leur portait l'effluve dérangeante de l'Aconit Napel. Alertés par cette nouvelle information, les six loups de l'escadron se mirent à grogner, sentant venir l'assaut.
Soudain, un hurlement canin déchira le calme de la forêt d'Hoia Baciu. La bataille avait commencé.
Tristan sentit ses congénères s'agiter derrière lui, faisant claquer leur mâchoire dangereusement. Jugeant que le moment était venu, ils se mirent en marche. La troupe avançait rapidement vers le Nord, guidée par Alek et Tristan. Les yeux vifs, la truffe haute et les oreilles dressées, les loups étaient à l'affût du moindre renseignement sur les positions ennemies.
Les premières détonations vrillèrent leurs tympans. Tristan s'arrêta net. Les bois étaient épais et les sons se perdaient entre les troncs, ricochant contre les arbres, si bien qu'il était presque impossible de discerner leur provenance. Des jappements et des grognements se joignirent bientôt aux cris des hommes et aux coups de feu.
A nouveau, la troupe s'agita mais resta en position, attendant les ordres de Tristan. Ce dernier se sentait guidé par une force invisible, un instinct primitif qui lui dictait quoi faire. Et cet instinct lui disait de patienter.
Une odeur métallique leur envahit bientôt les narines. Le sang coulait sous les cimes tranquilles et immobiles des arbres ancestraux de Transylvanie. Tendu par l'activation de son odorat, Alek lança un regard interrogateur à Tristan. Ce dernier ne bougeait pas, semblant attendre quelque chose.
Comme répondant aux interrogations de l'escouade, un homme en treillis agrippant fermement son arme dans une main, apparut dans leur champ de vision. Il courait dans leur direction, un talkie-walkie plaqué contre ses lèvres qui hurlaient des informations incompréhensibles. Le regard terrorisé et le souffle court, le soldat fuyait.
Tristan se baissa pour na pas être aperçu, imité par les autres loups. Si les militaires apprenaient l'existence de cet escadron, l'objectif serait compromis. Ce soldat ne devait pas transmettre l'information.
Tristan échangea un regard entendu avec Alek qui se détacha du groupe, toujours au ras du sol, et se dirigea vers le soldat. Le prédateur s'avança lentement vers sa proie qui courait droit sur lui, trop effrayée par ce qui se trouvait derrière elle pour se préoccuper de ce qui se trouvait devant.
L'attaque fut fulgurante. Dans un bond spectaculaire et silencieux, Alek renversa le soldat qui n'eut pas le temps de crier. Écrasant sa proie de tout son poids, le loup ne perdit pas une seconde et planta ses crocs dans sa gorge, sectionnant la jugulaire dans un geste maîtrisé et précis. Le sang de sa victime éclaboussa le museau de l'animal, souillant son pelage clair d'écarlate.
Tristan sentit un frisson lui raidir l'échine lorsqu'il vit son ami recouvert d'hémoglobine et ses yeux briller d'un éclat carnassier. Tristan aurait pu le jurer, ce meurtre avait plu à Alek. Il secoua le museau pour stopper ses pensées, et ne voulant perdre davantage de temps, il s'élança vers le campement d'Azriel. Ils devaient impérativement arriver avant l'Homme de Dresde que l'équipe d'Alexandra ne pourrait peut-être pas retenir bien longtemps.
La forêt raisonnait de bruits qui ne lui appartenaient pas. Hurlements, grognements, couinements, cris, plaintes, détonations. Hoia Baciu semblait se réveiller pour devenir le lieu hanté des histoires populaires. La senteur de l'écorce humide et de la terre détrempée était presque totalement recouverte par les relents métalliques et chimiques du sang et du poison tue-loup.
Lorsque le groupe parvint aux bordures du camp des Loups Gris, ils furent assaillis par la violence des combats. Des Essentiels, perchés au sommet des barricades de fortunes qui protégeaient le campement et la meute d'Azriel, tiraient sur les militaires en contre-bas qui ripostaient farouchement. Des loups déchiraient les chairs, coupaient des gorges, arrachaient des membres. Des soldats tiraient sur les canidés, plantaient leur couteau entre leurs côtes. Toute cette effusion de sang mit Tristan mal à l'aise. Le son et l'odeur ne lui parvenaient plus maintenant qu'il avait les combats devant ses yeux. Mais c'est lorsqu'il baissa la tête que son sang se glaça et que son cœur s'arrêta. La neige était cramoisie, presque noircie par tout le sang qui s'écoulait des cadavres jonchant le sol. Des loups et des hommes, étalés entre les arbres, figés dans des postures terrifiantes, le masque dérangeant de la mort plaqué sur leur visage.
Une atroce brûlure le sortit de son état de transe. Son épaule gâche semblait être en feu et pourtant, aucun projectile ne l'avait atteint. Cette douleur n'était pas la sienne. Ses yeux se mirent à chercher frénétiquement son âme-sœur dans tout ce chaos. Un couinement plaintif lui échappa quand il l'aperçut, une vingtaine de mètres plus loin, à moitié effondrée au sol. Sans perdre une seconde, il s'élança à travers les combats pour lui venir en aide. Évitant de justesse des balles perdues, il l'atteignit rapidement et frotta son museau contre le sien pour la réconforter. Il lécha la plaie laissée par le projectile sur l'épaule d'Alexandra et la soutint pour la relever. Leurs yeux se croisèrent et ils restèrent là, au milieu de toute cette haine.
Alek vint bousculer Tristan qui se ressaisit. Le loup des Montagnes le poussa vers le campement, lui rappelant l'objectif. Bien décidé à achever sa mission malgré l'état de son âme-sœur, Tristan trouva la force de s'éloigner d'elle. Il hurla pour rassembler sa troupe qui s'était dispersée dans la bataille et contourna les barricades. Ils s'introduisirent avec aisance dans le camp et découvrirent que le combat y faisait rage. Certains soldats avaient réussi à se faufiler malgré les gardes et les Essentiels.
D'un mouvement de tête, Tristan ordonna à la troupe de se disperser afin de trouver Azriel. Les loups obéirent, s'engouffrant entre les maisons de bois. Tristan se dirigea vers la demeure du chef de clan.
Un choc violent le propulsa sur le côté. Il s'étala au sol dans un grognement de surprise. Il n'eut pas le temps de se redresser qu'un loup noir bondit sur lui, montrant les crocs. Dans ses prunelles emplies de haine, Tristan reconnut Nelu. Refusant d'être menacé de la sorte par un vassal dans un moment pareil, le loup de Tristan devint plus agressif et, d'un puissant coup de patte, il renversa son assaillant. Les deux loups se faisaient à présent face, grondant dangereusement. Ils commencèrent à se tourner autour, faisant claquer leur mâchoire. Mais Tristan n'avait pas de temps à perdre, il devait trouver Azriel. Il s'avança vers Nelu, les crocs sortis et les oreilles renversées. Ses yeux lui ordonnaient de se soumettre et son aura se développait autour de lui. Malgré sa ténacité, le chef de Guerre des Loups Gris finit par céder, oppressé par la puissance de Tristan. Le loup noir courba l'échine en signe de soumission, ce qui procura à Tristan une certaine satisfaction.
Sans perdre plus de temps, Tristan reprit sa route. Il arriva devant la demeure de l'Alpha et y trouva Azriel, comme il s'y attendait. Seulement, le père d'Alexandra s'élança vers lui. Tristan hésita. Il ne pouvait se battre avec Azriel, son aura lui paraissait trop forte. Cette seconde d'hésitation lui coûta cher. Le vieil Alpha était sur lui et lui assena un coup de griffe sur le museau. Tristan lâcha un couinement de douleur, mais ne riposta pas. Il n'était pas là pour se battre contre les autres loups. Comme il venait de le faire avec Nelu, il tenta de forcer Azriel à arrêter ses assauts. Mais ce dernier semblait plus résistant à son aura et lui sauta sur le dos, plantant ses crocs dans la chair de Tristan, qui eut l'impression de se sentir aussi impuissant que lors de son agression au Pont Auguste. Une décharge électrique parcourut ses nerfs, le mettant au supplice. Azriel continuait de percer sa peau. Alors Tristan se roula par terre pour décrocher le chef de clan de son dos. Cela fonctionna et, avant qu'il ne puisse l'attaquer à nouveau, Tristan le projeta au sol violemment. Pour le dissuader de tenter une autre attaque, il vint gronder près de sa gorge, marquant ainsi sa supériorité.
Une plainte dans son dos lui fit faire volte-face. Alexandra le fixait, tout comme la frêle louve blanche à ses côtés. Tristan reconnut immédiatement Elanora. Dans les yeux de la Luna, il lut une terreur et une supplication. Elle l'implorait de laisser son âme-sœur en vie. Tristan s'éloignant instinctivement d'Azriel, mettant fin à la frayeur des deux louves, et se rapprocha d'Alexandra.
Cependant, il reconnut l'odeur trop tard, il ne distingua pas le crissement des pas sur la neige derrière lui. Il se retourna trop lentement lorsque la voix s'éleva dans son dos.
- Monsieur Versipel ! L'interpella l'Homme.
Le coup de feu partit dans son dos.
Il n'avait pas été assez rapide ni assez vigilant.
Le monde autour de lui sembla s'arrêter avec la détonation et il plongea ses yeux dans ceux de son âme-sœur. Alexandra était aussi terrorisée que lui.
Mais la douleur ne vint pas. Une masse s'écroula derrière Tristan suivie d'un jappement plaintif. Tristan se retourna finalement pour trouver Azriel étalé sur le flanc, une tâche pourpre naissant entre ses côtes. Il respirait avec difficulté dans un sifflement alarmant. Alexandra et Elanora s'étaient déjà précipitées sur lui.
Sous le choc, Tristan finit par relever la tête vers l'Homme qui pointait à nouveau son arme sur lui. Mais cette fois-ci, bien qu'il fût face à lui, Tristan ne bougea pas. La peine d'Alexandra et les horribles plaintes d'Azriel le tétanisaient. Il se tenait droit devant l'Homme, prêt à recevoir la prochaine balle.
Un nouveau coup de feu fut tiré. Tristan resta de marbre, droit et face à celui qui venait d'assassiner Azriel. Le visage de l'Homme se contracta, dans une affreuse grimace, comme sous le Pont Auguste. Ses traits se creusèrent, sa bouche se tordit, ses rides devinrent plus visibles. Mais ses yeux, contrairement à la nuit de Dresde, n'affichaient pas une satisfaction. Ils roulèrent dans leur orbite. Un filet de sang s'échappa de ses fines lèvres et il s'effondre au sol. Mort.
Derrière l'imposante stature du militaire apparut Anca, un revolver dans une main, Ilan dans l'autre. L'Essentielle se précipita vers eux et s'agenouilla près d'Azriel. Elle lâcha son Beretta et la main de son fils pour appuyer sur la plaie de son chef de clan. Ses doigts fins ne parvenaient pas à empêcher le filet de vie de quitter son propriétaire et en furent bientôt vite recouvertes.
- Les combats doivent cesser, Tristan ! S'exclama Anca en le regardant avec insistance.
Reprenant pied, Tristan hocha la tête. Il leva la gueule vers le ciel et hurla à la lune, signalant la fin des conflits.
Toujours secoué par la peine d'Alexandra couplée à la sienne, Tristan couina de détresse. Il se sentait responsable de ce qu'il venait de se produire. Dévasté par cet affreux drame, il s'approcha d'Azriel qui gémissait encore. Alexandra le repoussa. Elle grogna et fit claquer ses crocs en guise d'avertissement. Ses oreilles en arrière et le museau retroussé. Le message était clair, bien que douloureux. Elle ne voulait pas de lui près de son père.
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