Chapitre 19
- Dimitri ! Enlève tes fesses du capot de ma voiture !
Bien que Tristan se voulait autoritaire, il ne parvint pas à dissimuler son amusement. Il était d'une humeur particulièrement joyeuse aujourd'hui, cependant, il était hors de question qu'il tolère le comportement de son ami. Personne n'avait le droit de s'assoir sur sa Mercedes. Le grand blond se redressa, haussant les épaules, un sourire niais plaqué sur le visage.
- Quelqu'un a passé une nuit agréable, on dirait. Tu es moins ronchon que d'habitude, plaisanta-t-il.
Tristan échangea un regard gêné avec Alexandra qui lui tenait la main, et une légère teinte rouge vint colorer leurs joues.
- Ne prenez pas cet air, les tourtereaux ! Les gens prudes sont ennuyants !
La remarque de Dimitri fit mouche. Alexandra explosa de rire tandis que Tristan prit un air faussement outré.
- Cesse de les tourmenter, Dimitri, lança la voix sérieuse d'Aleksander.
- Ah, voilà ma conscience, murmura le blond en enfouissant ses mains dans ses poches.
Cette fois, Alexandra essaya de retenir son rire, ne voulant pas vexer leur hôte. Mais l'air désespéré qui traversa l'unique œil de l'Alpha les informa que la remarque de Dimitri était parvenue à ses oreilles. Fidèle à lui-même, Alek ne prit pas la peine de répondre à la plaisanterie et les rejoignit. Ils étaient à présent tous les quatre sur le plateau qui surplombait la vallée. Le soleil commençait tout juste à émerger derrière les pics rocheux qui s'élevaient à l'horizon, répandant une lueur rose dans le ciel dégagé. L'air était frais en ce premier janvier et avait comme figé la nature dans un calme parfait. Malgré leur court séjour dans les montagnes, Tristan avait pris goût à cette ambiance harmonieuse qui rendait leur départ plus difficile encore. Comme il aimerait tout oublier et rester ici. S'apercevant de sa soudaine mélancolie, Alexandra pressa tendrement sa main et lui offrit un sourire encourageant.
- Bien, il est temps, annonça Aleksander.
Tristan se ressaisit immédiatement, retrouvant sa détermination.
- Retrouvez-moi dans deux jours en Roumanie, déclara-t-il. Nous discuterons du plan d'attaque sur place. D'ici là, répandez la nouvelle dans les autres meutes. Chaque loup nous est précieux.
- Ne t'en fais pas. Dimitri part dans la journée vers les clans détachés les plus proches. Moi je reste ici pour préparer notre départ.
Tristan hocha la tête en approbation. Dimitri s'approcha, tout en fouillant dans sa poche. Il en sortit des clefs de voiture qu'il lui tendit.
- Allez-y, une longue route vous attend, dit-il alors que Tristan s'emparait des clefs, un air réprobateur sur le visage. Ça va, pas de panique, j'ai juste fait le plein.
Tristan lui envoya un regard empli de doutes mais ne dit rien. Il ne voulait pas savoir comment son ami s'était procuré les clefs de sa voiture.
- Soyez prudents, conseilla Alek en échangeant une poignée de main avec Tristan.
Dimitri lui accorda une accolade amicale, incapable de se contenter d'un au-revoir formel. Alexandra les embrassa sur les joues, puis ils montèrent dans la Mercedes. Tristan s'installa, mit le contact et programma le GPS. Il observa à nouveau ses amis et cet endroit d'un air triste. Il avait cet étrange sentiment qu'il ne reverrait jamais rien de tout cela.
- Nous reviendrons, dragul meu, le réconforta Alexandra en posant sa main sur la sienne. Je te le promets.
Le regard certain que son âme-sœur lui lança lui donna assez de courage pour démarrer. Après un dernier au-revoir à Alek et Dimitri, ils reprirent le petit chemin qui slalomait sur le flanc de la montagne.
Ils ne firent presque aucun arrêt sur la route, trop pressés d'arriver. Lorsque Tristan conduisait, Alexandra avait le nez plongé dans les cartes d'Anca. Cela faisait des jours qu'elle analysait les possibilités tactiques qui s'offraient à eux, changeant ses plans à chaque fois que leur nombre augmentait. Tristan était rassuré de l'avoir à ses côtés. Sans elle, il ne saurait pas comment gérer toute cette pression. De plus, il était incapable de mettre en place un plan d'attaque aussi perfectionné qu'elle. Après la bataille, il lui demanderait de lui donner une formation d'Alpha aussi complète que celle qu'elle avait reçue.
Les âmes-sœurs n'avaient pas encore discuté de cet avenir proche, mais Tristan savait quelle décision prendrait la jeune femme. Elle l'exhorterait à devenir l'Alpha de tous, le chef de tous les clans, et à répandre son pouvoir jusqu'en Amérique. Alexandra l'imaginait invincible, conquérant. Mais ce n'était pas le cas. Son passé avait fait de lui un solitaire, un pacifiste. Sa détermination des dernières semaines était uniquement provoquée par les évènements à venir. Une fois le danger écarté, il redeviendrait le paria qu'il avait toujours été.
Une vibration sonore interrompit le flux de ses pesées. Alexandra retira une main du volant pour saisir son téléphone portable, enfoui au fond de sa poche.
- Les deux mains sur le volant, la réprimanda Tristan.
Alexandra avait une fâcheuse tendance à conduire au-delà de la limitation de vitesse ce qui terrifiait son âme-sœur. Cependant, elle ne releva pas la remarque de Tristan et se mit à déverrouiller l'appareil pour consulter ses messages, jetant occasionnellement de rapides coups d'œil à la route. Ce fut cet instant précis que choisit la voiture de devant pour se rabattre sur leur voie. Heureusement, Alexandra freina un grand coup, toujours absorbée par son écran. Tristan s'agrippa de toutes ses forces à la poignée de la portière qui craqua plaintivement sous la pression de sa main.
- Mon coeur, regarde la route, gronda-t-il. Tout ce que nous avons entrepris ces derniers jours n'aura servi à rien si nous mourrons dans un accident de voiture.
A son grand soulagement, Alexandra posa le téléphone et reporta son attention sur la route.
- Je ne vous pensais pas si froussard, professeur Versipel.
Tristan se fit violence pour ne pas s'emporter. Il souffla longuement pour expulser tout le stress qui s'était accumulé dans son corps, le tendant comme un arc, et se promit de ne plus jamais laisser son âme-sœur prendre le volant. Il se redressa sur son siège et réajusta ses vêtements, frottant les plis et tirant sur les manches. C'était un tic qu'il avait pris pour redonner de la prestance à son image d'Alpha après chaque difficulté rencontrée. D'ailleurs, il trouvait cela totalement ridicule. Depuis quand l'image qu'il renvoyait aux autres le préoccupait à ce point ? N'ayant pas le courage de se lancer dans une nouvelle introspection, il revint au message que venait de recevoir Alexandra, curieux.
- J'espère au moins que ce SMS était important, pour que tu risques nos vies de la sorte.
Un immense sourire naquît sur les lèvres de la jeune femme, illuminant son visage et se répandant jusque dans ses yeux clairs. Tristan rendit les armes immédiatement. Ce sourire pourrait lui faire faire n'importe quoi. Si elle lui avait demandé de se mettre à chanter à tue-tête en lui souriant de la sorte, il l'aurait très certainement fait sans aucune hésitation. Fort heureusement pour lui, elle n'en fit rien.
- Il semblerait que tu sois à la tête d'une véritable armée, dragul meu. Les messagers d'Aleksander sont revenus avec d'excellentes nouvelles. Thea, l'Alpha des loups de Norvège peut nous procurer quarante-trois loups formés pour le combat. Et Pavel envoie cinquante-quatre guerriers russes.
Tristan resta muet de stupeur pendant un moment. Jamais il n'avait pensé obtenir des réponses positives des amis d'Aleksander.
- C'est bien plus que ce à quoi je m'attendais, murmura-t-il, songeur.
Il fit rapidement les calculs dans sa tête. Au total, la Pologne, la Russie et la Norvège procuraient environ deux-cents loups. Ils étaient deux fois plus nombreux que leurs ennemis. Et cela, c'était sans compter sur les Loups Gris. Un espoir rassurant s'insinua en lui. Peut-être qu'ils la gagneraient cette bataille après tout.
- Et ce n'est pas tout, poursuivit Alexandra d'un ton enjoué. D'après Dimitri, Thea et Pavel souhaitent te rencontrer le plus tôt possible. Probablement pour te faire allégeance.
Tristan ressentit à nouveau se sentiment de puissance et de supériorité. Il avait beau essayer de se convaincre qu'il n'était pas fait pour diriger une meute, les réactions de son corps le trahissaient. Son loup était tout à fait prêt à exercer son pouvoir sur d'autres et cela l'effrayait. À chaque fois qu'il ressentait l'excitation de sa domination future, les images du massacre d'Alassar lui releva nient en mémoire. Et si malgré tous ses efforts, il devenait comme lui ?
Ils arrivèrent enfin aux frontières de la meute de Croatie. Le campement était censé être sur la côte de la Méditerranée. Main dans la main, ils partirent donc en direction de la mer, affrontant courageusement le vent glacial qui balayait les falaises. La nuit était tombée depuis quelques heures déjà, enveloppant le paysage d'un épais drap noir. Ils firent de leur mieux pour ne pas trébucher sur les aspérités de la roche, ce qui leur fut relativement aisé grâce à leur vision nocturne. L'effluve salée et le bruit des vagues devenait de plus en plus fort, leur indiquant qu'ils s'approchaient de la plage. Tranquillement, ils continuèrent leur progression, une appréhension se formant petit à petit dans leur esprit. Tristan se tint sur ses gardes, les sens en alerte et il sentit Alexandra faire de même. Quelque chose n'allait pas.
- C'est étrange, murmura-t-elle en scrutant les alentours. La carte qu'Anca m'a donnée indique clairement que nous avons pénétré les terres des loups de Croatie. Mais il n'y a personnes. Pas de gardes, pas d'habitations.
Tristan hocha gravement la tête. La forte odeur de sel et le vacarme du vent et des vagues empêchaient de sentir ou d'entendre quoi que ce fut. Un endroit parfait pour se dissimuler des humains, pensa-t-il. Mais aussi propice aux embuscades. Il sentit l'affolement l'envahir, pourtant son loup était calme. Il tourna la tête vers Alexandra et vit son regard paniqué. Elle était arrivée à la même conclusion que lui mais son instinct semblait lui hurler de fuir. Tristan entrelaça leurs doigts et pressa doucement sa petite main dans la sienne, ce qui eut pour effet de la calmer immédiatement. Il lui offrit un sourire rassurant et la tira doucement vers la falaise. Il ne savait pas pourquoi mais il était persuadé que quelque chose l'attendait là-bas.
Lorsqu'ils arrivèrent au bord de la roche, leurs yeux furent agressés par la lumière s'élevant de la plage en-dessous d'eux. De grands brasiers étaient allumés sur le sable et des silhouettes sombres s'affairaient tout autour. Tristan fut surpris de ne distinguer aucune habitation du haut de son perchoir. À quelques pas de là, il remarqua un petit escalier taillé à même la roche, descendant sur la plage de manière assez abrupte. Ne voyant aucun signe d'hostilité émanant des personnes en contre-bas, Tristan décida de les rejoindre. Trainant toujours Alexandra derrière lui, il descendit quelques marches mais fut brutalement retenu en arrière. Son âme-sœur était figée sur place, le visage très pâle.
- Que se passe-t-il ? S'enquiert Tristan. Tu vois bien qu'il n'y a aucun danger en bas.
Alexandra ne répondit pas. Ses yeux terrorisés étaient fixés sur l'escalier étroit. Tristan ressentait toute l'appréhension de son âme-sœur et ce fut lorsqu'il la vit vaciller qu'il comprit. Elle avait le vertige. Tristan trouva cela très ironique. Elle, la téméraire, la bornée, la future Alpha, qui n'avait peur de rien, avait le vertige. Cependant, il se garda bien de se moquer et remonta le peu de marches qu'il avait descendu. Il lui prit le menton et la força à le fixer.
- Tu me fais confiance ? Chuchota-t-il, ses yeux gris plongés dans les siens.
Alexandra hocha la tête plus par réflexe que par volonté. Puis, elle se sentit soulevée dans les airs et ses mains paniquées s'accrochèrent au manteau de Tristan. Ce dernier la portait comme une princesse, serrant fermement son corps tremblant contre son torse. Il descendit prudemment le long de la falaise, le souffle chaud d'Alexandra glissant sur son cou. Une fois arrivé sur le sable, il la déposa délicatement sur la terre ferme et la jeune femme sembla se ressaisir en un instant. Le campement était à une vingtaine de mètres devant eux et ils s'avancèrent. En bas, le vent était moins violent mais la température n'en était pas plus tendre.
Tristan se sentait bien ici, il respira l'air marin avec plaisir. Ils passèrent bientôt à côté du premier brasier sans que personne ne les arrête. Les loups qu'ils croisaient les regardaient avec curiosité, certains chuchotaient quelques mots entre eux, d'autres montraient leur gorge en signe de respect. Tristan se fit la remarque qu'un couple d'Alphas dont un était mordu, devait forcément attirer l'attention.
- J'avais entendu dire que Tatjana dirigeait sa meute de façon peu commune, mais de là à ne mettre aucun garde à ses frontières... commenta Alexandra, surprise.
- Il y a certainement une explication logique à tout cela. Tâchons pour l'instant de la trouver.
Alexandra émit un son approbateur et ils continuèrent leur progression. Le camp était en pleine ébullition. Tous étaient actifs, comme pressés par le temps. Des caisses étaient transportées d'un bout à l'autre de la plage pour être empilées par dizaines, des sacs étaient réunis autour des brasiers. Quelque chose se préparait.
- Que font-ils, tous ? S'interrogea Tristan, perplexe.
- On dirait qu'ils se préparent à un départ.
Tristan fronça les sourcils. Où pouvaient-ils bien se rendre ? Il se dit que seule l'Alpha pourrait répondre à ses questions alors il interpella un vieil homme qui soulevait avec une aisance étonnante un sac en toile bien plus gros que lui.
- Hé ! Où peut-on trouver ton Alpha ?
L'homme leva vers lui un regard inexpressif et ne dit rien. De toute évidence, il n'avait pas compris un traitre mot de ce que Tristan venait de dire. Pourtant, il posa son fardeau et tendit un bras maigre vers le bas de la falaise. Son doigt osseux pointait une alcôve creusée dans la pierre, comme un grand trou noir s'enfonçant dans les abysses des terres. En ajustant sa vision, Tristan aperçut de petits points de lumière lézardant les parois du tunnel et il remarqua les loups qui entraient et sortaient chargés d'affaires.
Le couple remercia le vieillard et s'engouffra dans les entrailles de la falaise. Ils suivirent les lumières et découvrirent avec stupéfaction des dizaines de galeries souterraines qui gangrenaient le cœur de la pierre.
- Ah ! Vous voilà ! Pile à l'heure pour le dîner ! S'exclama une voix joyeuse.
Surpris, ils se tournèrent vers une femme d'un âge indéfinissable au sourire avenant. Elle avait de longs cheveux d'un blanc immaculé qui tombaient en cascade sur ses épaules. Sa peau était pâle et lisse comme celle d'une jeune fille, mais son regard sombre reflétait une indéniable maturité. Elle portait une ample robe argentée qui retombait avec élégance sur son corps frêle. Tristan fut choqué dès que ses yeux se posèrent sur elle. Elle était d'une beauté resplendissante, presque trop belle pour être réelle. Mais ce qui le perturba le plus fut sa ressemblance avec la femme qui lui était apparue en rêve. À quelques détails près, il aurait juré qu'il s'agissait bien là de la même personne. La seule différence notable étaient les signes brillants qui parcouraient la peau veloutée de ses épaules et de ses bras découverts. Une lueur attirante semblait émaner des symboles qui recouvraient son corps, comme s'ils voulaient attirer l'attention de ceux qui la regardaient.
- Bienvenue, Alexandra Lupesco, fille d'Azriel, dit la femme d'une voix mélodieuse. Et bienvenue à toi, Tristan Versipel, dé-lùkos-sôtêr.
Tristan sortit de sa contemplation et tous ses muscles se tendirent. Il reconnut sans peine ces mêmes mots prononcés par la déesse dans son rêve.
- Comment connaissez-vous ces mots ? Demanda-t-il méfiant.
- Je sais beaucoup de choses, répondit-elle simplement. Je sais qui tu es tout comme je sais ce que tu viens faire ici.
- Vous êtes une Oracle, souffla Alexandra, impressionnée. Vous avez le don de voyance.
La femme hocha la tête en approbation et leur fit signe de la suivre. Tous trois empruntèrent un tunnel sur la droite et montèrent un escalier qui s'enfonçait dans la roche. Ils pénétrèrent dans une immense salle aux murs de granit au centre de laquelle était disposée une longue table de bois sculpté ainsi que des chaises. Elle les invita à s'asseoir et haussa la voix pour donner quelques ordres en croate. Aussitôt, deux jeunes filles arrivèrent, les mains chargées de plateaux recouverts de nourriture, qu'elles déposèrent sur la table. Puis, elles apportèrent la vaisselle et une carafe de vin. Tristan nota leur effort particulier à ne pas croiser son regard.
- Je vous en prie, servez-vous. Vous devez être affamés après votre longue route.
La femme - que Tristan avait fini par identifier comme étant Tatjana - désigna les différents plats par signe de la main d'une grâce comparable à celle de la déesse. Le lycanthrope continuait de se demander par quelle sorcellerie cette femme savait autant de choses. Alexandra avait parlé d'un don de voyance. Se pouvait-il réellement que Tatjana soit pourvue de la capacité de voir le futur ?
- Vous vous attendiez à notre visite, n'est-ce pas ? Conclut Alexandra en se servant un verre de vin.
- En effet. Je suis le parcours de Tristan avec grand intérêt depuis plusieurs mois. J'ai attendu longtemps avant que la déesse ne mette quelqu'un sur son chemin pour l'aiguilleur. Et je dois avouer avoir été surprise de constater que tu serais cette personne.
Alexandra s'interrompit dans son mouvement, stoppant son verre à quelques centimètres de ses lèvres.
- Que voulez-vous dire ?
- La déesse ne tire pas au hasard les âmes-sœurs, expliqua Tatjana. Votre couple est très particulier : la future Alpha de la plus puissante meute d'Europe voulant faire ses preuves et un Damné marqué comme chef de tous les loups. Notre déesse a de grands projets pour vous deux, c'est certain.
Tristan n'y comprenait plus rien. Tatjana avait vu venir les derniers évènements mais était incapable de leur dire ce qu'ils devaient faire de si important. Il pensait de plus en plus que cette femme se payait leur tête.
- Tu doutes, et je le comprends, dit-elle en fixant ses prunelles sombres dans celles de Tristan. Pourtant, la déesse s'est présentée à toi. Elle t'a mise en garde.
Alexandra se tourna brusquement vers lui, l'air profondément choqué.
- Tu as vu la déesse ? Et tu ne m'as rien dit ?
- Ce n'était qu'un rêve, mon cœur, rien de plus. N'importe qui aurait pu rêver de ça.
- Ce genre de rêve est pris très au sérieux chez les loups, Tristan. Tu aurais au moins pu m'en parler !
Tristan baissa la tête et resta silencieux. Il n'avait pas la force de se disputer avec elle pour quelque chose d'aussi négligeable. La frustration et le sentiment de rejet d'Alexandra vibrèrent dans son corps et il fit de son mieux pour les ignorer.
- Inutile de se quereller, déclara Tatjana sur un ton solennel. La déesse ne voulait pas que tu sombres vers le pouvoir qui s'offrait à toi, et elle a envoyé Alexandra pour t'apprendre à te maîtriser. Vous vous complétez. Ensemble, vous êtes puissants. Et vous êtes parvenus à réunifier les meutes. Ton destin s'accomplit, Tristan dé-lùkos-sôtêr, Sauveur-de-loups.
Tristan releva subitement la tête. Tatjana venait enfin de mettre un sens sur les mystérieuses paroles de la déesse. Depuis le début, elle lui avait donné pour mission d'unir les loups. Tout devenait clair.
- Que devons-nous faire à présent ? Demanda-t-il.
- Vous battre. Le vrai combat n'est pas celui contre les humains mais celui pour refaire des loups une seule et même famille. Le conflit aux frontières d'Azriel n'est qu'un prétexte pour te légitimer auprès des Alphas, pour qu'un jour, tu deviennes le Roi.
A peine eut-elle fini sa tirade que Tristan se leva brusquement. Sa main gauche le gardait en équilibre, le retenant contre la table, tandis que sa main droite était posée sur son front. Alexandra sut immédiatement que son esprit se rebellait. L'idée ne lui plaisait certainement pas. À l'intérieur, il avait l'impression d'être déchiré en deux. D'un côté son loup jappait d'excitation à l'annonce de ce nouveau rang, de l'autre, Tristan regrettait sa vie tranquille. Incapable de tenir en place, il se mit à faire les cent pas autour de la table. Que les choses avaient changées en quelques mois ! Il n'était pas encore prêt à abandonner l'espoir de pouvoir retrouver son quotidien à Dresde.
- Je ne peux pas faire ça. Ce ne peut pas être moi. Enfin, regardez-moi ! S'écria-t-il en s'arrêtant pour faire face aux deux femmes. Je suis un paria, un Damné ! La déesse m'a donné une deuxième chance en me permettant de connaître l'âme-sœur, et je lui en suis très reconnaissant. Mais je ne peux pas diriger des milliers de loups !
Désemparée par le surplus d'émotions qui submergeaient son âme-sœur, Alexandra se leva et posa ses deux mains sur ses joues. Tristan s'apaisa à ce simple contact et lui lança un regard triste.
- Je suis un chercheur, mon coeur, pas un chef de clan.
- Tu étais un chercheur. Nos destins changent. Le plus souvent ils prennent des chemins bien différents de ce que nous avons connu. Regarde-moi. J'étais la future Alpha des Loups-Gris, et aujourd'hui, je m'apprête à devenir la Reine des loups du monde entier. Ce n'est pas parce que j'ai été élevée à diriger une meute que je n'ai pas aussi peur que toi.
- C'est différent... souffla-t-il.
- Non, ça ne l'est pas ! Tu es fait pour ça, dragul meu, je l'ai bien vu. Les autres loups veulent de toi comme guide. Tu ne peux pas les abandonner.
Tristan soupira et attira la jeune femme contre lui, l'emprisonnant entre ses bras. Comme d'habitude, elle avait raison. Il avait donné sa parole à Aleksander et à Dimitri. Nicolae aussi comptait sur lui. À présent, il était trop tard pour faire marche arrière. Il réalisa alors combien il était chanceux d'avoir Alexandra à ses côtés pour ne pas affronter cela tout seul. Déposant un tendre baisser sur ses cheveux, il l'éloigna gentiment pour faire à nouveau face à Tatjana.
- Nous aiderez-vous ?
- Cinquante-neuf de mes guerriers partiront avec vous demain, et trente-sept loups du clan d'Ukraine de l'Ouest vous rejoindront sur place. Wolodymyr a toujours beaucoup respecté la volonté de la déesse.
Tristan fit un rapide calcul.
- Nous serons donc presque trois-cents sans les Loups Gris. C'est bien plus que ce que j'espérais.
- Comme je vous l'ai dit, vous remporterez cet affrontement. La vraie lutte qui vous attend concerne les Alphas. Cependant, ne prenez pas ce combat à la légère. Le sang coulera quoi que vous fassiez.
Un frisson désagréable traversa le corps de Tristan mais il ne fit aucun commentaire.
- Finissez de manger et tâchez de dormir. Votre chambre se trouve en haut de ses marches. Demain, nous partirons à l'aube.
Sur ces paroles, Tatjana disparut dans les boyaux rocheux, rendant la pièce bien moins accueillante. C'était comme si toute la lumière était partie avec l'Oracle. Ne voulant traîner davantage dans cet endroit devenu austère, ils finirent de se rassasier, puis montèrent la volée de marches menant à leur chambre.
Ce qu'ils virent leur coupa le souffle. La salle était aussi creusée dans la falaise mais de grandes arches donnaient directement sur l'extérieur, comme un balcon des palais imaginaires. La lumière de la lune qui perçait à travers les nuages venait baigner la chambre d'une lueur blanche. L'air marin s'introduisait à l'intérieur, embaumant l'endroit d'une douce odeur, et faisant danser les flammes du feu allumé au centre. Le mobilier était très simple mais raffiné. Il y avait une commode, un fauteuil, une petite table et un somptueux lit à baldaquin. Les voiles qui y étaient accrochés flottaient dans la pièce, soulevés par la brise nocturne. Étonnement, bien que l'endroit fût ouvert aux quatre vents, une chaleur exquise y régnait.
Ce fut alors avec le plus grand plaisir que les âmes-sœurs se glissèrent sous les draps et sombrèrent dans un sommeil sans rêve.
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